Amal – Vacarme #3 – extrait 4/9

A la base, je voulais sortir le fanzine Vacarme numéro 3 à la Zine Fair de la Queer Week parce que l’année dernière, ça avait été un événement lumineux, riche de belles rencontres et d’échanges assez extraordinaires.

Et puis : advint le confinement.

Alors, parce que tout est prêt, et aussi parce que merde à la fin, on va pas en plus de s’enfermer, verrouiller nos créations sous clé jusqu’à la fin de cet enfer, deux textes du 3ème volume du fanzine seront hébergés par Friction chaque semaine jusqu’à épuisement. Un gros mois, donc.

Comme d’hab, pour celles et ceux qui connaissent pas Vacarme, c’est pas super drôle. Ça parle de sexe, de violences, des deux en même temps, ça parle de dépendances, de travail du sexe, ça parle de santé mentale. Ça parle de choses importantes à mes yeux, de douleurs qu’on partage parfois sans le dire. Ça parle aussi, un peu, d’amour, pour une fois et ça me réjouit de les publier ces textes-là. La version papier sortira à prix libre dès qu’on le fera, nous aussi. Tenez le coup. Et ne lisez que si vous sentez que ça peut vous faire plus de bien que de mal. Ça m’en a fait à moi de les écrire. Et de les offrir.

Amal

Playlist : The Cure – Boys don’t cry

Iel est venu.e au date en skate. Avec une casquette, un t shirt blanc, un binder et une tête d’ado de super bonne humeur. 22 ans, c’est jeune. Beaucoup trop pour pas prendre de précautions en tous cas. Je l’estime déjà beaucoup, intellectuellement, politiquement, mais je fais attention au déséquilibre, ça empêche rien. Je pouvais pas regarder ailleurs. J’étais wet direct. Là, à la terrasse de l’Horloge. J’ai serré les cuisses un peu fort. On s’est parlé à l’écart des autres et iel racontait des trucs drôles et fantasques à une vitesse incroyable en sentant la lessive. J’ai toujours aimé ça chez les gens, cette odeur bizarrement artificielle et naturelle de fraîcheur. Je la regardais et je le respirais et j’écoutais plus du tout ce qu’iel disait. Je l’avais pas encore embrassé que j’avais déjà envie de rentrer avec. Ses dents sont parfaitement en désordre. Ses cheveux aussi. L’intérieur de sa tête surtout l’est. C’est ce qui me plait le plus. Je suis si contente et curieuse de la connaître, de le découvrir.

Des semaines plus tard, au milieu de notre été calme et brûlant à la fois, il y a cette nuit où on s’allonge enfin épuisé.e.s l’un.e contre l’autre, le jour levé depuis des heures déjà. Et j’entends soudain son souffle dans mon oreille juste un peu trop rapide, juste un peu trop saccadé et je ne sais pas bien la lire, je ne sais pas si sa peau le brûle comme la mienne de le sentir si proche ou si elle est simplement en train de s’endormir. Alors j’attends, je respire à peine. Je ne suis même pas sûre de savoir ce que je veux, moi. La relation qu’on a ne tient pas tant à ça qu’à tout le reste. 

Qu’est ce que je veux ? Garder son corps dans mes bras ou l’embrasser, lui enlever ses vêtements, me coller contre elle, laisser les frissons courir sur ma peau et la sienne ou rester là, proches, intimes sans rien de plus. J’attends. J’écoute. Je sais de plus en plus ce que j’aimerais, je crois, je suis pas sure, c’est toujours si complexe et si simple entre nous. L’entendre soupirer, poser mes mains sur elle me plairait tant. Mais aussi être là, immobiles et collées, parce qu’on n’a pas vraiment besoin de ça, lui et moi, même si parfois on en a envie. 

Iel bouge, doucement au début, je suis toujours dans l’attente de comprendre ce qu’iel veut, ses bras caressent les miens, ses lèvres dans mon cou, très loin. On veut touTes les deux la même chose, on dirait. Ou peut-être que non. Il est si tard. Si tôt. On est resté.es physiquement distant.e.s toute la journée et j’ai eu souvent envie de la toucher, de l’embrasser. Les vêtements volent et les lèvres se collent et les corps se rapprochent et se pressent. On plaisante à voix basse car elle a une IST douloureuse et moi j’ai pris l’engagement de ne plus commencer à baiser après 4h du matin. Trop d’ivresses, je veux me souvenir de son odeur et de ses bruits et du goût qu’il a. Alors elle essaye de me faire revenir sur ma promesse. On sait tous les deux que ça n’arrivera pas mais le jeu est dévorant et drôle. Je sens la paume de ses mains qui me presse, ses doigts qui se faufilent sous l’élastique de ma culotte, qui me caressent à peine, lentement, de haut en bas puis se retirent. Délicieuse torture lente et les oiseaux qui chantent dehors et couvrent les soupirs. J’ai tellement envie de lui à ce moment-là, je pourrais hurler que c’est pas du jeu. Je referme mes cuisses sur sa main emprisonnée et c’est moi qui bouge. Ça la fait rire. Ses doigts reprennent leur danse légère entre mes jambes et je pourrais jouir je crois. 

Alors on arrête exprès, juste à temps, suant.e.s, haletant.e.s, d’un commun accord silencieux comme nous seul.e.s savons les conclure, nos corps tendus, sensibles. Elle reviendra bientôt, guéri. Il sera temps alors de finir, peut-être ou peut-être jamais, ce qu’on a commencé ici.

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