Amnésie Collective de Koleka Putuma

Ils sont rares les recueils de poésies dont les textes vous font comprendre que vous tenez un véritable classique de la littérature. Du moins, ils sont rares à être écrits aussi récemment que Amnésie Collective de Koleka Putuma, sorti à l’origine en 2017. Considéré comme un véritable monument de la littérature sud-africaine, le recueil devient le plus gros succès en librairie de l’histoire du pays pour un ouvrage de poésie.

En France, il a fallu attendre 2022 et l’intervention de la maison d’édition LansKine pour qu’une traduction du recueil en français puisse enfin voir le jour. Une épreuve assez difficile à passer, tant la langue de l’autrice, poète et dramaturge, semble difficile à transposer. Les notes de bas de pages aident les lecteurs·trices français·es à se familiariser avec le contexte sud-africain et tous les choix ont été faits en accord avec l’autrice. Il est aisé de faire le parallèle avec la version originale, chaque texte étant accompagné de sa version en anglais.

Tout est donc fait pour conserver à la fois la puissance de la forme et du fond de l’écriture de Koleka Putuma. Très vite, c’est le rythme qui vient vous frapper, l’alternance de textes tantôt courts tantôt longs, de phrases qui s’étendent ou d’autre hachées, découpées par des ratures, des points, des sauts de lignes. Les poèmes de l’autrice n’utilisent jamais ces astuces comme des tours de passe-passe censés donner un air moderne, nouveau, comme beaucoup de textes aujourd’hui le font. Tout est calculé, tout semble à sa place.

Et puis le fond des textes s’infiltre en vous, par des chemins détournés ou élégants ou au contraire, par une façon de raconter plus directe, davantage coup de poing. L’autrice raconte son expérience de lesbienne, de femme noire et le poids du racisme et du colonialisme. Les mots sont durs, alourdis par la colère, la peur ou le deuil. Elle raconte l’héritage familial, les non-dits, les violences sexistes et sexuelles…

Et pourtant, le premier poème, Black Joy, nous met en garde :

« J’écris, aussi, des poèmes d’amour

Mais

vous ne voulez voir ma bouche que déchirée par la révolte »

Car oui, on fait face à de la vraie poésie, gorgée de colère mais aussi parfois pleine de lyrisme, celle des arrachées comme des amoureuses, de la poésie qu’on crache autant qu’on la susurre. Koleka Putuma allume des feux d’une variété folle, qui savent s’affronter et se compléter. Des incendies de colère, des poèmes qui se consument comme des braséros, des bougies étincelantes qui réconfortent. Ce recueil est un incendie qu’il est bon d’accueillir en soi et de ressentir au fond de ses entrailles.

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