Aux bies, à mes copines, à mes lesbiennes en devenir

[EDIT DE L’AUTEURE] La rédaction de cet article a été pensée en assumant le prisme de l’hétérosexualité et la binarité comme un outil colonial, blanc, dont les ramifications ont toujours une influence capitale. Les sexualités sont construites sur base d’une hégémonie qui doit être continuellement questionnée. Ce texte est une première mise en place pour une réflexion qui se doit, évidemment, d’être repensée et approfondie et, qu’il appartient à chacune de redéfinir, en fonction des spécificités de sa condition.

C’est peut-être une lettre, peut-être une invitation, peut-être une redondance, mais je crois qu’il est temps qu’on se parle.

Il y a quelques mois, j’ai lu quelque part sur Twitter « je vais devenir lesbienne si ça continue! ». Entendre par là, marre des hommes et de l’hétérosexualité. La lecture de ce tweet m’a révoltée. Pour moi, qui avait dû manœuvrer dans le noir avec mon amour des meufs depuis mes 15 ans, l’idée de choisir sa sexualité m’était impossible. Je n’avais pas choisi, personne ne pouvait choisir une telle chose…

Rétrospectivement, en fait: si, je l’ai choisi. Mais il m’a fallu du temps pour me rendre compte que ce choix était le fruit d’un parcours pas forcément pénible mais agencé par l’incertitude et l’hétérosexualité forcée. 

© Cindy Clark

Car oui, j’ai choisi de devenir lesbienne. À un moment de ma vie, je me suis dit « bi » puis lesbienne, puis à nouveau bi. Je croyais qu’il y avait une fluidité dans mes appartenances, que je devais faire avec. Mon attirance pour les hommes, c’était normal, objectivement parlant, je ne pouvais rien y faire. C’était normal de se sentir amoindrie, de s’auto-juger pour être certaine de plaire, d’avoir les bons gestes, les bons mots, de se plier à une conformité.

Petite, on m’a donc formée à l’hétérosexualité : on m’a demandé si j’avais un amoureux à l’école, on m’a poussé à étreindre des petits garçons, on m’a fait comprendre que c’était normal d’avoir six ans et de m’assortir à d’autres enfants comme si j’étais un accessoire. On m’a fait suivre des régimes à à peine 8 ans, parce que personne ne va vouloir de moi si je grandis en une adolescente grosse et aigrie. De toute façon, je finis par devenir une ado grosse et aigrie. À 10-11 ans, je suis la gothique nulle en maths qui parle peu en cours. Mon poids et mon allure font que je ne peux pas être une nymphe à la petite bouche glossée, qui sent la vanille -même si j’ai essayé, longuement, de m’accoquiner avec ces filles-là et de leur ressembler-. 

J’étais trop anormale, trop petite, trop grasse, trop mal-foutue. Ce souvenir qui me fait rire jaune, c’est quand je repense à tous ces garçons qui grimaçaient quand j’étais là, qui étaient effrayés de ma présence, qui faisaient tout pour que mes yeux ne tombent pas sur eux. J’étais la peste noire qu’ils étaient trop heureux de ne pas attraper. Avec le recul et du haut de mes presque 30 ans, je comprends qu’en fait j’ai longtemps cherché l’approbation de la classe des hommes, que je méprisais pourtant. J’ai cherché une approbation pour être validée. Qu’on valide mon existence, parce qu’on m’avait appris que tout ce que je faisais, disais, pensais, mangeais aller avoir une influence sur la manière dont les hommes me percevraient. Je n’ai jamais été à l’aise avec eux, et pourtant la moindre remarque négative à mon encontre qui sortait de leur bouche signifiait un échec.

Ce que je vivais, c’était de « la contrainte à l’hétérosexualité » (cf. Adrienne Rich), une forme invasive de coercition des femmes à aimer les hommes, à défendre une attirance pour eux ou à défendre leur place de femme hétérosexuelle coûte que coûte.

Je crois que ce qui ressort de mes expériences hétérosexuelles c’est surtout cette incapacité à rester moi-même, entière et pleinement heureuse de partager quelque chose avec quelqu’un. Toujours il y avait un rapport de pouvoir, toujours il y avait une obligation à montrer que je savais des choses, que j’étais cultivée, drôle, tout en étant le moins menaçante possible. Car oui, dès que nous sommes bonnes dans ce que nous faisons nous sommes une menace à l’Ego des hommes. Notre rapport à eux est formaté pour que nous ne soyons jamais plus fortes et plus habiles d’eux. 

J’ai choisi de devenir lesbienne à 23 ans. Je me suis détachée des hommes après une énième humiliation. Là, j’ai compris que c’était la fois de trop. Tant pis si ils étaient beaux, tant pis si je voulais avoir leur approbation, tant pis… Je valais mieux que ça.

J’invite souvent à la « lesbianisation des masses », à la nécessité de repenser les relations hétéro comme des dynamiques de pouvoir dans laquelle aucune femme n’est gagnante. Peut-être vos copains actuels sont gentils et attentionnés, peut-être font-ils de leur mieux, peut-être n’ont-ils jamais fauté. Très bien, et tant mieux pour vous. En attendant, nos parcours se distinguent. J’ai décidé de ne plus rien faire de mon attirance pour les hommes. Certaines, pour X raisons, décident d’encore « consommer » ces attirances, s’y épuisent, y mettent du leur. Un travail éreintant, dans lequel « trouver le bon » est une charge supplémentaire à laquelle les femmes doivent se plier dans l’hétérosexualité.

Je trouve triste le discours de celles qui naturalisent leurs attirances, qui disent être incapables de s’en détacher, qu’elles ont un « type », qu’elles tombent toujours dans le panneau. Je crois que l’hétérosexualité crée une dépendance; une dépendance à l’avis des hommes, au fait qu’ils nous « estiment », qu’ils nous trouvent belles et dignes de leur regard. Le sevrage est compliqué, soit parce qu’on a expliqué depuis l’enfance que c’est à eux qu’il faut plaire, soit parce que c’est l’emprise spécifique d’une personne sur une autre, soit parce qu’on a pas la confiance nécessaire pour se dire qu’on va vivre seule – la solitude, ce gros nuage menaçant sur la vie d’une femme-.

Nos discours lesbiens ne sont pas haineux, nous ne détestons pas les femmes bies, nous ne détestons pas les femmes hétéros, nous tentons simplement des mises en garde. On vous écoute, on vous conseille. Ça s’arrête là et on ne vous force à rien. Je sais que c’est difficile, toute cette remise en question ne va pas forcément de soi, du jour au lendemain. C’est un travail de longue haleine mais il reste valable pour vous aussi. L’hétérosexualité n’est pas une fatalité.

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