[DÉFOULOIR] La dépression, loisir de riches ?

Cette semaine, j’ai dit au revoir à ma psychologue. Pour mon bonheur, j’ai quitté l’appartement dans lequel j’ai fait deux tentatives de suicide et j’ai quitté la ville dont je connais le mieux les urgences psy. Pour mon malheur, je suis obligée de changer de thérapeute, en effet, la psy, en France, est sectorisée. Pour être suivie dans le public, je dois l’être dans le bon secteur. Or en déménageant, je change de secteur.

Illustration : Louise Aloupic

Dernière séance. Je sors en larmes. Je ne voulais pas la quitter du tout. Je ne voulais pas que ça s’arrête. Même si une amie m’avait prévenue : même chez les psychologues, la perle rare n’existe pas. Celle-ci n’est peut-être pas si bien que ça. Il y en aura une autre, une mieux. En gros, le discours qu’on tient à sa pote qui vient de se faire larguer. Et c’est bien ça que je ressens, cette impression de vivre une rupture amoureuse. Tout allait bien mais le sort s’est acharné contre nous et nous avons dû nous séparer. D’ailleurs, moi je n’étais pas capable de dire que c’était la dernière séance, je m’accrochais. « Non, encore une fois, laisse-moi une chance. » C’est elle qui a tranché. « Je dois vous l’annoncer, c’est notre dernière séance. » Vraiment ? Comme ça ?

En réalité ce n’est pas si soudain que ça, j’ai déménagé il y a quatre mois, c’est un peu comme si on avait repoussé une échéance inéluctable, on savait qu’on allait dans le mur mais on n’a pas pu éviter l’inévitable. Cette fois, c’est fini.

Pendant toute la séance, je suis arrivée à prendre du recul. Elle m’a rappelé notre première séance, au centre de crise où j’étais hospitalisée. J’ai souri, un peu. Elle m’a rappelé que cette fois-là, et les autres après, je ne voulais pas lui parler et j’étais en colère contre la terre entière, je refusais l’hospitalisation, le traitement, la dépression, le suicide, tout. Puis, je lui ai dit que notre rencontre était la seule bonne chose que je garde de cette période. Je lui ai dit que quitter le lieu où j’avais vécu ce que – malgré tout ce que j’ai vécu par ailleurs – je considère comme les pires moments de ma vie me faisait bizarre, mais que c’était aussi le lieu du réconfort. L’endroit où je venais la retrouver chaque semaine, où j’ai pleuré plus qu’ailleurs, où j’ai grandi aussi. Je lui ai aussi parlé de la thérapeute que m’a conseillée mon psychiatre, je lui parlais de mes craintes, de mes doutes. Elle m’a dit qu’une relation thérapeutique ça se construisait comme n’importe quelle relation et que je construirai quelque chose de différent avec ma nouvelle psy. Et elle me répondait comme elle l’avait fait pendant trois ans et quelques.

Puis est venu le temps de se dire au revoir. Le vrai dernier moment. Le tout dernier moment. Je me suis levée, j’ai cherché mes mots, longtemps. Je l’ai remerciée pour tout ce qu’elle m’a apporté, elle m’a remerciée aussi. Et j’ai pleuré. D’un coup. Quelque chose en moi s’est cassé. J’étais triste. Vraiment triste.

Avec le recul, je suis toujours triste, et inquiète aussi. Les premières séances avec un-e nouveau-elle thérapeute, c’est comme les premiers dates. Les mains moites et l’envie de bien faire, de bien présenter. Ça veut dire quoi, bien présenter pour une psy ? Qu’est-ce que je vais trouver à lui dire ? Elle ne me connaît pas, elle. Il va falloir tout lui expliquer, tout lui raconter, et je n’ai pas envie de refaire ce trajet-là, c’est un chemin que je n’ai pas envie d’emprunter. Alors, je repense à Mélanie – c’est le nom de mon ancienne psy – et je l’entends m’expliquer que je n’ai pas à refaire le trajet. Que le trajet est en moi, que le travail, je l’ai fait, que j’arriverai avec ce que je suis aujourd’hui, et que c’est ça qui compte, au final. Mélanie, elle avait toujours les mots justes, en fait. J’espère que la prochaine saura trouver les mots. J’espère que je trouverai la bonne, en somme.

En attendant, je suis triste mais je suis surtout en colère. Je suis en colère, parce que désormais je vais être suivie dans le privé et que chaque séance de psy va me coûter 90€. J’ai traîné sur le site de ma mutuelle de longues heures pour tenter de comprendre à quelle hauteur je serai remboursée. Je n’ai toujours pas trouvé. Dans un forum, j’ai lu quelque chose de l’ordre de 10 à 20€.

J’ai été suivie suite à deux TS et j’ai été hospitalisée au CAC puis suivie au CMP. C’était gratuit. Souvent pourri mais gratuit. Sauf qu’à part en cas de crise grave, on n’a pas accès à ces structures. J’en ai rigolé avec mes ami.e.s : il me faudrait une nouvelle TS pour que je sois prise en charge dans le public. Et je ne suis pas très fan de cette option. Moi, je vais pouvoir m’arranger, je vais pouvoir rogner sur certaines dépenses, je ne suis pas seule ni dans le besoin. Mais je suis quand même très en colère.

Pas parce que je vais payer. Mais pour toutes les personnes qui n’ont pas les moyens de se permettre un tel suivi. Comme si les pauvres n’avaient pas besoin de suivi psy.

Or, et peu d’études récentes en font état, la dépression est une maladie particulièrement présente chez les personnes précaires. Des conditions de vie difficiles entraînement des états de stress et d’anxiété qui débouchent sur des états dépressifs. Le lien entre précarité et maladie mentale est un thème récurrent dans la littérature sociologique. Michel Foucault déjà produisait en 1961 des travaux sur l’origine historique du rapprochement des pauvres et des fous à l’époque du « grand renfermement ». L’enquête Santé mentale en population générale qui s’est déroulée entre 1999 et 2003 – et qui est sans doute ce que l’on a de plus récent mais je ne suis pas sociologue – indique que 47,4 % des chômeurs-ses sont atteints d’au moins un trouble de la santé mentale (dépression, trouble de l’anxiété, addictions, troubles d’allures psychotiques) contre 24,2 % chez les cadres et les professions intellectuelles supérieures. Quant au risque suicidaire, il est de 21,9 % chez les chômeurs-ses contre 9,5 % chez les cadres et professions intellectuelles supérieures – je reprends les termes de l’enquête. Où sont d’ailleurs les travaux récents sur les liens entre précarité sociale et santé mentale ? Pourquoi dois-je aller chercher des études vieilles de 20 ans pour trouver des réponses ? Parce que tout le monde se fout des pauvres et des fous. Sans parler de grande précarité sociale, combien de mes ami-e-s, précaires ou marginaux-ales, sont atteint-e-s de troubles de la santé mentale ? Ce qui me fout en rogne, c’est que ce sont les personnes que la société malmènent qui ont besoin de soutien psy, ce sont elleux qui sont fragilisé-e-s par des conditions d’existence extrêmes. C’est elleux que le système devrait protéger, accueillir, soigner.

Aujourd’hui, les places dans les centres d’accueil et de crise sont rares, j’en ai fait par deux fois l’expérience. J’ai éprouvé la difficulté de l’hôpital psychiatrique public en banlieue parisienne. C’est tout ce que la psychiatrie publique a à offrir aux personnes précaires. Pas de places et des conditions pitoyables. J’ai le luxe d’avoir pu aller dans une clinique privée, j’ai le luxe de pouvoir être suivie par un médecin excessivement cher, j’ai le luxe d’avoir des thérapeutes qui coûtent une fortune. Mais il ne s’agit pas d’un petit confort personnel. Il s’agit de vie ou de mort. Quels sont les chiffres récents des précaires suicidé-e-s parce qu’abandonné-e-s ? Qui s’en soucie ? Il n’y a même personne pour en tenir le registre. Ce sont les personnes que la société abîme, les précaires, les marginaux-ales, les minorisé-e-s, ce sont elleux qui ont besoin d’écoute, d’accompagnement, de traitements adaptés. Ce sont elleux aussi qui ne peuvent pas débourser 100€ de l’heure pour parler à un-e psy. Comme si la dépression était un loisir de riche. Une maladie réservée à quelques bourgeois-e-s endimanché-e-s aux nombres desquel-le-s je compte.

Alors ce soir, je suis triste mais je suis surtout en colère.

Certain.e.s thérapeutes proposent des suivis gratuits ou à moindre coût pour les personnes précaires

Illustration : Louise Aloupic

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