J’ai découvert Barbara Butch en 2013 alors qu’elle célébrait l’adoption du Mariage pour Tous·tes par une mixtape entraînante : ÉGALITÉ JE DIS OUI. Depuis, Barbara Butch a su s’imposer comme une figure incontournable de la lutte pour l’égalité des LGBTI. Elle s’apprête à sortir le morceau « Muy bien, muy lesbienne » le 29 septembre prochain, qui annonce un EP du même titre. Alors qu’elle multiplie les projets plus excitants les uns que les autres, elle nous a accordé un peu de temps pour répondre à nos questions.
Peut-être que l’on peut revenir un peu en arrière : tu as été célébrée par les OUT d’or en 2021 en obtenant le prix de la personnalité LGBTI de l’année. Est-ce que tu peux me parler du sens que tu donnes à ton engagement militant ?
C’était assez incroyable parce qu’on sortait du covid qui a été une épreuve pour la communauté, notamment en raison de l’isolement dont les queer sont déjà souvent victimes. Je me suis beaucoup investie pendant cette période, parce que moi, je m’investis tout le temps, et recevoir ce prix m’a bouleversée, parce que je m’y attendais pas. Je suis toujours hyper surprise, même d’être citée dans des articles, etc. J’ai souvent un syndrome de l’imposteure – et je travaille sur moi pour accepter les choses – mais ça représentait énormément de choses pour moi en tant que lesbienne de plus de 40 ans. On a peu de représentations de lesbiennes : en ce moment on entend parler de Muriel Robin, on l’entend dire qu’elle est la première lesbienne out du cinéma mais pendant combien d’années elle ne l’a pas assumé ? Ça n’a pas été un role model pour moi dans la mesure où elle ne l’assumait pas alors qu’il y a une époque où ça nous aurait sans doute fait du bien cette visibilité. Mais il faut bien que quelqu’un le fasse et soit visible pour les autres et moi c’est vraiment le chemin que j’ai choisi de prendre. Le fait d’être récompensée par ce prix, ça me montre que le chemin que je prends n’est pas si mauvais que ça et que je peux peut-être représenter la lesbienne que j’aurais aimé voir plus jeune.
Ta visibilité a entraîné des vagues de cyberharcèlement assez violentes contre toi. Comment ça va ?
Y a « Muy lesbienne » qui sort, et j’ai vraiment décidé de me réapproprier le mot lesbienne. Avant, j’utilisais énormément le mot gouine qui me semblait plus politique parce que j’avais l’impression que le mot lesbienne appartenait surtout à des lesbiennes de droite. C’est un mot qu’il faut se réapproprier et qui est important car on ne l’écrit jamais. Dans les médias, à part dans les médias ciblés, il est très rare de voir écrit le mot lesbienne – à part quand on parle d’Alice Coffin, et heureusement ! – mais sinon on ne l’utilise jamais. Donc je sais que l’utiliser avec ce morceau, ça va me ramener encore une fois une vague de cyber-harcèlement et en même temps, je l’assume complètement parce qu’on a vraiment besoin de ça. C’est hyper dur de subir les insultes, d’autant que je suis à l’intersection de plein d’identités en tant que femme juive lesbienne et grosse. Mais ce sur quoi je subis le plus de violences, ce n’est pas sur mon homosexualité, c’est sur mon corps. Et la violence ne vient pas que de la société hétérosexuelle, elle est aussi intracommunautaire. On va appeler un chat un chat mais une grosse lesbienne, les lesbiennes, elles en veulent pas.
En terme de visibilité du corps, tu es aussi une égérie pour Jean-Paul Gaultier. Comment tu perçois et vis cette visibilité-là ?
Quand la maison Jean-Paul Gaultier m’a proposé de faire une campagne avec eux, j’ai été extrêmement touchée parce que ça devenait un espèce de rêve qui se réalisait. J’avais jamais osé rêver de pouvoir être aussi visible et surtout pour une marque de luxe. Ça a été un moment incroyable. Le fait que ce soit reçu comme ça, que ça buzze de tous les côtés, ça m’a donné énormément d’espoir sur la suite et sur l’acceptation du corps gros, en général, dans la mode, etc. J’ai pensé que ça allait vraiment ouvrir des portes à plein de jeunes modèles grosses. J’avais énormément d’espoir dans ces campagnes mais finalement aujourd’hui je redescends parce que l’inclusivité, ça marche un temps. Il y a des effets de mode, on veut faire bonne figure mais on ne tient pas le truc parce que le capitalisme est toujours là pour nous rappeler que les grosses, ça vend moins bien que les minces.
Toujours dans cette idée de visibilité, tu as participé en tant que juré à Drag Race France saison 2 dans l’épisode qui a récolté la meilleure note de toute l’histoire de la franchise. Pourquoi est-ce important à la fois en tant que femme lesbienne et grosse de participer à un tel show grand public ? Comment est-ce que tu as vécu ta participation à cet épisode qui est particulièrement marquant pour nos communautés ?
Le fait qu’on m’ait demandé de participer à Drag Race en tant que guest judge, déjà, ça m’a surprise et pour moi, c’était vraiment un honneur de faire partie du cast. Je mets souvent ma place de lesbienne au centre d’un peu tout mais je me suis dit « Enfin une lesbienne dans le cast ! » parce que j’ai été la première. Et j’ai vu qu’il y avait Virginie [ Despentes ] deux semaines après et c’était vraiment génial. Cet épisode était incroyable et je cherchais un moyen de faire passer un message. La journée de tournage est très longue donc dans l’épisode qu’on peut voir, on n’entend pas tout ce que je dis mais au moins on entend ce « Muy bien, muy lesbienne ».
C’est d’ailleurs devenu iconique et c’est ça que tu reprends dans le morceau qui va sortir le 29 septembre. Comment t’est-elle venue cette réplique déjà culte ?
En fait, je parlais avec Raphael Cioffi, le producteur de l’émission lors de l’entretien pour savoir comment on allait se présenter et ça nous est venu comme ça. Le fait de le dire à voix haute et de le voir à la sortie de l’épisode, je me suis dit qu’il fallait absolument que j’en fasse quelque chose. Et ça a donné le morceau « Muy bien, muy lesbienne ».
C’est un morceau qui a beaucoup de succès chez Friction…
J’aimerais bien qu’il y ait une trend lesbienne sur les réseaux avec ça ! J’ai envie qu’il y ait plein de lesbiennes visibles qui se servent de ce morceau pour se montrer sur les réseaux. D’autant qu’il y a un enjeu qui est hyper politique sur les réseaux sociaux. Il faut vraiment que le mot lesbienne soit récupéré par les lesbiennes. Depuis que je fais la promo sur Instagram de ce morceau, mon taux d’engagement a baissé de 80%. Depuis le premier jour où j’en ai parlé, j’ai perdu énormément de visibilité. J’ai 55 000 followers mais mes stories sont vues par 200 personnes en ce moment. Si un mouvement se crée autour de ça, peut-être que ça va faire changer les choses. Je pense que les algorithmes détestent l’accumulation corps gros et lesbienne. La vraie photo d’album arrive et je pense que mon compte va être désactivé par Instagram…
Il y a un vrai enjeu dans le fait de pouvoir se nommer comme on le souhaite sur les réseaux, c’est la même chose avec le terme pédé par exemple…
J’avais rencontré la direction d’Instagram France quand mon compte avait été désactivé à cause de la couverture de Télérama, beaucoup de choses avaient été dites, notamment qu’ils allaient faire des formations au niveau des modérateurs mais en réalité, il y a très peu de modérateurs et c’est finalement une intelligence artificielle qui gère toute la modération. Et elle peut pas faire le tri dans la mesure où elle ne comprend pas les propos. Ce sont des mots qui sont ciblés. C’est terrible parce que du coup on essaie d’utiliser des stratagèmes, comme mettre une lettre à la place d’une autre, ou des caractères spéciaux. On peut pas dire viol, on peut pas dire les hommes ci ou ça…alors qu’on peut faire des généralités sur les femmes d’ailleurs…
Ce morceau « Muy bien, muy lesbienne » va faire partie d’un EP qui va aussi sortir prochainement, en décembre, et qui porte le même nom. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?
En fait, il y aura deux EP : un d’hiver, vraiment back to the club, pour nous envelopper pour l’hiver et un EP qui va sortir au printemps et qui sera beaucoup plus solaire et qui va nous guider sur les plages et les autoroutes des vacances.
Tu es connue pour savoir faire danser tous les publics : comment envisages-tu ta place dans la scène électronique française ?
Pendant longtemps j’ai hyper complexé de pas être considérée par la scène électro ou house parce que j’ai aucun problème à passer Diam’s ou des trucs des années 80’s. Aujourd’hui, il y a beaucoup de gens qui reprennent des sons des années 2000 donc je suis un peu plus considérée. Mais je pense qu’avec « Muy lesbienne » je vais vraiment montrer que je suis là aussi en tant que productrice. J’espère que ça va me ramener de la crédibilité auprès de la scène française. Je suis de plus en plus considérée si on excepte le fait que j’aie toujours pas de booker ni de tourneur et que personne n’ait signé mon morceau. Pour sortir ce morceau, j’ai monté mon propre label : « Muy lesbienne records » et en me disant que j’allais pouvoir faire ce que j’aurais aimé qu’on fasse pour moi c’est-à-dire signer des jeunes artistes qui ne sont pas dans la norme, des lesbiennes qui ne trouvent pas où aller. En fait, il y a des critères partout, même les soirées lesbiennes de Paris ne m’invitent pas…
Ce sont aussi des espaces qui véhiculent une certaine image de la lesbienne…
Ça essaie de se racheter une image au niveau de l’inclusivité, ne serait-ce qu’en visibilisant les personnes trans et c’est super mais on ne va pas assez loin. Je réfléchis à organiser des « Muy lesbienne parties » avec des entrées à 5 balles, des DJ de qualité : faire des soirées vraiment accessibles à toutes les meufs. J’en ai un peu marre que la fête soit réservée à un public privilégié. On sait très bien comment c’est quand t’as 18 ans, que tu découvres ta sexualité, que tu découvres la fête et t’as pas forcément l’argent, c’est hyper important de recréer des espaces qui sont accessibles.
Je me demandais si grâce à tous ces projets où tu es visible tu as aussi une reconnaissance à l’étranger ?
Oui ! Cet été, c’était hyper cool, je suis quand même allée mixer à la Pride de Genève, à celle de Madrid et à celle de Montréal et c’est quand même pas rien. Là, je suis actuellement à Tel-Aviv où je vais jouer. Je commence à avoir une place un peu partout mais en même temps je travaille vraiment pour. Mon objectif dans la vie, c’est de faire le tour du monde des Pride !
Comment tu vois la place faite aux personnes en dehors des normes dans le monde de la musique ? Est-ce que tu as de l’espoir pour la suite ? Tu m’as dit que toi-même tu n’avais pas été signée pour sortir ton morceau malgré ta notoriété…
Comme aujourd’hui on peut s’autoproduire et qu’on est pas obligé·es d’attendre derrière des majors pour sortir des sons, j’ai de l’espoir pour la suite. Je pense qu’il faut aussi qu’au sein de la communauté on crée des espaces avec d’autres artistes queer pour faire une sorte de mentorat et accompagner les jeunes artistes et leur donner les clés pour avancer même s’iels ne rentrent pas dans les critères de sélection du ou de la DJ mainstream ou du ou de la producteurice qui va cartonner. C’est pour ça que j’essaie de monter mon collectif pour que toutes les personnes qui ne sont pas aidées et suivies puissent avoir un safe space qui soit Muy lesbienne.
Pour finir, je voulais te féliciter pour le collier ciseaux Muy lesbienne…
Sur tout le processus pour « Muy lesbienne » j’ai eu des visions de ce que je voulais faire et pour moi le symbole, c’était les ciseaux parce que je trouve ça drôle et que c’est un peu la question qu’on pose aux lesbiennes. Je me suis dit qu’il fallait que j’aie de gros ciseaux bien bling bling, un truc à l’américaine, un truc de gros rappeur. J’en ai parlé à mon ami Flávio Juán Núñez qui a fait ça qu’avec des matières recyclées, à partir de cuirs végans qui ont été utilisés sur des défilés, des strass qui ont été récupérés. J’en ai aussi fait faire une version prêt-à-porter qui a été faite par Jules & Lili et que je porte comme ça quand je sors. Ce collier est incroyable mais j’ai hâte de tout dévoiler, notamment les photos qu’on a faites avec Laetitia Bica et qui sont aussi extrêment puissantes. Je serais pas surprise que mon compte Instagram soit désactivé suite à ces photos… J’ai vraiment envie de casser les internets avec cette chanson. J’ai envie que ça nous fasse un hymne !
Muy bien, muy lesbienne, Barbara Butch, le 29 septembre prochain.