Rencontre sous Bot’ox

Rencontre avec Julien Briffaz et Cosmo Vitelli à l’occasion de la sortie de leur deuxième album « Sans Dormir » (label I’m a Cliché) qu’on écoute en boucle depuis un bon mois. Également DJs avertis, ils nous parlent de l’évolution du clubbing, de musique, de Kim Fowley, de psychologie et de « La Fiesta », de Troie à Moscou.

 

 

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Pourquoi appeler votre l’album « Sans Dormir » ?

C’est une référence au monde de la nuit, des soirées, des matins ou tu te couches à 8h. En plus, on trouve que c’est cool d’utiliser une expression française pour un titre, c’est presque un peu étonnant, surtout que les chansons sont en anglais, avec un style plutôt international.

 

Vous mixez toujours en tant que DJs ?

Cosmo : Le plus possible, oui je suis DJ, c’est comme ça que je gagne en partie ma vie. J’aime bien les boîtes de nuit, j’aime bien passer des disques, un peu moins les fréquenter.

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C’est ce qu’on ressent lorsqu’on regarde vos visuels..

Cosmo : L’idée c’était de montrer la réalité de la fête pour pas mal de gens, telle qu’on la connait aussi de par notre métier, parce que quand tu es DJ, tu ne mixes pas forcement devant 5000 personnes les bras en l’air tous les soirs. Tu te retrouves dans des soirées quasiment désertes, surtout quand tu as une carrière un peu alternative. Le monde de la fête n’est parfois pas si festif.

 

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Ce soir, on va en discothèque, soirée Norbert !

 

 

Objectivement, si toi tu es né avec une chance inouïe qui fait que toutes tes soirées sont un succès, tu as de la chance. Concrètement, en tant que DJ, si tu n’es pas poussé par un succès fulgurant, les soirées réussies ne sont pas si fréquentes, il y a des fins de nuit honteuses, et aussi des moments festifs.

 

On a constaté une représentation quasi exclusive de la fête et de la nuit comme un endroit ou il y a plein de monde qui s’amuse, les bras en l’air, les duckfaces et les photos de soirées, les casquettes, la décadence… En fait quand tu sors, ça se passe comme ça de temps en temps, mais pour plein de gens ça peut être un peu glauque. Donc au lieu de calquer ces représentions systématiques, sur notre pochette on a choisi une sorte de bunker, de drakkar de nuit, un peu inquiétant, à la Mad Max. Et en plus, c’est une vraie boîte !

 

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Ici, ils ont filmé Mad Max. Photo : Matt Lindsay .

 

D’ailleurs, comment trouvez-vous ces images ?

Julien: On les cherche avec ‘Google earth’ et on va les photographier avec un professionnel. Après, on essaie d’arranger les photos pour que les clubs aient l’air un peu fantomatique, mais les boîtes sont réelles et il y a des gens qui sortent là-dedans.

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Tonight c’est soirée palmiers !

 

 

Vous allez/sortez dedans ?

Cosmo : Pas toujours : la plupart étaient fermées mais une fois oui, et en fait ce qui est marrant ce sont les histoires qui vont avec. Le premier qu’on a pris en photo, pour le single, Basement love, c’était une petite maison tenue par une femme de 75 ans qui ouvre encore deux soirs par semaine. Elle dit que c’est le premier club créé en France, ouvert dans les années 50. Elle a commencé à 20 ans et après les orchestres, elle a passé des disques… 60 ans de nuit à son actif ! Le club s’appelle « La fiesta », une espèce de petite boite pourrie, avec un mur en crépi dégueu à Troie. Le lieu inspire tout sauf la fête et pourtant, c’est ça aussi, la fête !

 

 

 

Vous ne vouliez donc pas critiquer le monde de la nuit, la fin d’une certaine ère ?

Cosmo : Ah non, ces visuels ne sont pas un pamphlet, ça nous intéresse pas. On essaye juste de créer des images, des sensations pour les gens qui vont écouter la musique…

Julien : Surtout, on pensait que ça pouvait être joli comme pochette. On trouve ça presque plus beau qu’une boite pleine, c’est juste le standard la boite pleine. Aujourd’hui c’est quand même vraiment formaté, tous les clubs se ressemblent. Je me souviens, les premières fois que je tournais dans différents pays, les clubs au Mexique ne ressemblaient pas à ceux de Paris. Depuis, les représentations de la nuit ont vraiment circulé et tout s’est standardisé. La musique de club est devenue une culture de masse et aujourd’hui, le son électronique, club, c’est presque la culture dominante. C’est fini le rock..

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C’est pour ça que vous avez fait un album un peu plus « rock » ?

En cœur : Exactement !

Julien : Non mais clairement après minuit le rock c’est finit, mais si tu reviens 20 ans en arrière, les soirées rock à la Loco (ex Machine du Moulin Rouge) ça existait, il y a un effet de mode. A l’époque on me demandait de passer des titres rock en boite, aujourd’hui personne va te demander ces sons. Il est désormais acquis que tu ne vas pas écouter du rock en club. Il reste encore la rupture RnB/électro, le dernier clivage dans la musique de fête. Mais même le RnB et le Hip-Hop reluquent avec insistance vers les producteurs de musiques électroniques.

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Certains collectifs essayent quand même de faire des soirées « innovantes », par exemple les vogues ball des soirées Mona ou La Culottée par exemple, qui a programmé une troupe de batucada sur scène et des didgeridoos…

Cosmo : Oui, ça peut arriver mais c’est loin d’un standart. On est loin d’une période ou tu ne sais pas ce qui va se passer, ou tout serait débridé. C’est même flippant en voyageant car tu te demandes pourquoi tu es programmé, étant donné que les DJs jouent tous les mêmes tracks.. Il y a un tel accès à la musique que les playlists des Djs à Gualamara ou à Moscou sont les mêmes. Du coup, les gens qui sortent du lot, qui prennent des risques, ça s’entend.

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Pouvez-vous nous raconter quelque chose de spécial, qui aurait marqué la fabrication de cet album?
En réalité, malgré les histoires qu’on peut parfois lire dans la presse, la fabrication d’un album est quelque chose d’assez fastidieux, qui se fait dans la durée. Pour nous c’est un travail assez solitaire, tout se fait chez nous, dans notre studio, et on a collaboré uniquement avec des gens qu’on connait. Ça se passe beaucoup sur internet aussi, il y a même quelques personnes avec qui on a travaillé et qu’on a jamais vues.

 

Parfois, ça donne quand même lieu à des situations inattendues, comme ça a été le cas avec Kim Fowley (icône du rock underground nord-américain à partir des années 50), qui a maintenant plus de 70 ans, et qu’on avait contacté pour travailler ensemble sur un morceau de l’album. Le problème c’est qu’il nous a fait une proposition qu’on a pas du tout aimée, ce qui a donné lieu à une guerre intersidérale ! Tous les jours on recevait des messages d’insultes, jusqu’au jour où il nous a envoyé une photo de son chien de train de chier. Là on s’est dit que le mec était vraiment barré, et on l’a finalement trouvé sympathique. Après ça, on l’a recontacté pour lui proposer d’enregistrer un passage où il nous insulte, puisque quand il chantait, ça n’allait pas. C’est ce qu’il a fait, et nous avons pu exploiter l’enregistrement, dans le morceau Arrogant American Pig, qui figure aujourd’hui sur la version deluxe de l’album !

 

 

On a même poussé le délire plus loin en lui demandant de réaliser une vidéo pour le morceau, et on n’a pas été déçus : ce clip doit sûrement être le pire de l’histoire des vidéos musicales, mais c’est justement ça qui le rend génial !

 

 

 

 

Quelle est votre pire expérience de DJ ?
Julien : La pire expérience, ça a peut-être été à Madrid à une soirée d’after Goa, et au bout de 30 secondes, les retours ont coupé, dans un salle de 10 000 personnes. Sinon une fois, à Berlin, au Watergate, ma carte son a lâché au bout de 10 minutes ! Du coup je suis rentré à Paris…

 

Cosmo : Moi je suis un spécialiste des galères, mais je pense que la plus bizarre a été la fois, il y a une dizaine d’années, où j’ai été booké dans un gros club à Moscou. Sauf que ça a eu lieu en même temps qu’une attaque tchétchène dans la ville, où des rebelles avaient pris en otage plusieurs centaines de spectateurs dans un théâtre, ce qui a donné lieu à un couvre feu dans la ville. On y est quand même allé avec mon agent, et j’ai joué pendant trois heures dans une salle où il y avait seulement un barman et une strip-teaseuse. Le barman dormait dans un coin, la strip-teaseuse venait quand même de temps en temps danser à côté de moi, le son résonnait partout dans le club, c’était complètement surréaliste.

 

 

La vie de DJ, c’est donc loin des reportages de Resident Advisor si on vous écoute ?!
Cosmo : C’est vrai qu’on peut vite se laisser embarquer dans ce trip où on passe son temps à mixer un peu partout dans le monde, dans des gros clubs ou des énormes festivals. Ce mode de vie, c’est bien sûr un confort et un bon moyen de gagner de l’argent, mais au final tu ne prends plus de plaisir. On enchaîne les dîners avec des promoteurs, où ça ne parle que d’argent, l’aéroport devient le centre névralgique de sa vie… A moins d’avoir une vraie distance cynique, il faut vraiment à un moment se reconnecter avec des formats de soirées dans lesquels on se reconnait davantage.

 

Nous, même si on ne le critique pas, on a fait en sorte d’échapper à ce circuit, car ce n’est pas notre truc. Par exemple, je préfère largement les salles de 300, 400 personnes, comme La Java, où il peut se passer des choses imprévisibles, plutôt que les énormes clubs. Bon, là je viens un peu de faire la psychanalyse du DJ, mais c’est aussi un peu de ça que parle notre dernier album !

 

 

Album disponible sur le bon internet et dans tous les disquaires encore en vie.

 

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