Boulevard du queer : un spectacle théâtralement fluide

Depuis 2011, Mélanie Martinez Llense fait des performances au Générateur à Gentilly, un lieu dédié à la performance qui l’a toujours suivie dans ses projets. Elle y jouera samedi 17 juin, avec sa compagne Claire Lapeyre-Mazerat, le spectacle qu’elles ont créé ensemble : Boulevard du queer. Dans ce spectacle, Mélanie et Claire joue un couple de lesbienne qui tente de monter une émission de télévision, émission qui sera représentée le 18 juin, comme un prolongement dans la réalité de la fiction de la veille. Parmi les invité·es, on retrouve notre Nadiam’s le samedi soir pour une chronique, tandis que Matthieu Foucher participera à l’émission du dimanche aux côtés d’autres participant·es incroyables. Nous avons voulu en savoir plus. Rencontre. 

Est-ce que vous pouvez nous présenter rapidement Boulevard du queer ?

Mélanie : C’est une sorte de vaudeville cathodique. C’est né d’un mec trans qui cherchait son packing dans le salon et à la façon dont il disait « Où est ma bite ? Où est ma bite ? Je ne peux pas sortir sans ma bite ! » je me suis dit que je connaissais cette musique, moi qui viens du théâtre. Si je remplace « bite » par « haut de forme », c’est du Feydeau. Je me suis dit que ce serait intéressant de faire un Feydeau queer puisque Feydeau à son époque radiographiait la société blanche, hétéro bourgeoise de plus de cinquante ans qui venait le voir au théâtre, population de théâtre qui n’a pas beaucoup changé depuis cette époque-là. On s’est dit que ce serait intéressant de faire du Feydeau, de reprendre les codes du boulevard mais qu’avec des personnes trans, queer et lesbiennes. 

Dans la pièce, on fait comme si on montait une émission de télé parce que si tu veux faire un vaudeville aujourd’hui, tu fais un talk show. Donc on s’est dit que ce serait intéressant de faire que Claire et Mélanie montent une émission chez elles, mais qui râte. Comme elles n’ont pas d’argent, elles repeignent leur salon en vert et elles invitent des gens à faire des chroniques mais tout ne se passe pas comme prévu parce qu’on est dans un gros boulevard. 

Claire : On est un couple très bruyant, on s’engueule beaucoup et les gens nous disaient « vous êtes un boulevard sur pattes ». Le boulevard, c’est aussi beaucoup de bruit. Cette envie qu’on avait de parler des questions queer d’aujourd’hui avec les tensions qu’il y a sur les sujets politiques – ce qui est normal vu tout ce qu’on s’est pris dans la gueule -, on s’est demandé comment aborder ces sujets sans s’entretuer et c’est par l’humour. La forme du boulevard est arrivée comme une évidence. 

Mélanie : L’humour et ce qu’on appelle la queer joy étaient importants pour nous. On en a marre de voir les minorités, quand elles sont représentées, comme des problèmes, des traumas. On le dit dans la pièce : nous voulons des représentations joyeuses des minorités. De la joie, de la joie, de la joie !

Comment exploitez-vous la référence au théâtre de boulevard ? Il y a des portes qui claquent ?

Claire : Exactement. On a une porte, une seule parce que la gouine est précaire !

Mélanie : On a un rythme de jeu, une écriture assez boulevardesque. 

Claire : On a des perruques, des peignoirs roses… On s’est amusées de la kitscherie du boulevard. Il y a un lit, puisqu’on est chez nous, il y a un décor de faux arbres… ça se traduit par la porte, par ce grand lit central un peu à la Hugh Hefner qui prend toute la place. L’idée c’est que l’intime est politique, nos lits sont politiques et comment on couche, ça raconte des choses. On a pris ce slogan politique pour le mettre littéralement en scène. On dit qu’on est théâtralement fluide : on passe du stand-up à une parole très sincère puis on part dans un truc beaucoup plus grotesque. Ça s’appelle Boulevard du queer mais on s’amuse aussi avec les codes du théâtre. Dans ma formation, j’adore tout ce qui est personnage, les perruques, les voix composées et Mélanie au contraire déteste : elle est plus perf, quatrième mur, l’adresse publique, ne pas jouer, etc. On s’est amusées avec ces codes. Mélanie dit dans la pièce « Par amour pour cette personne je mets des perruques » donc on s’amuse dans des codes de théâtre différents. 

Il y a aussi la figure de Jacqueline Maillan qui était une comédienne très connue dans les années 1975-1980, c’était vraiment l’actrice de boulevard. Elle est fascinante, c’est une immense comédienne dont on est fan. Elle avait une espèce de virilité, de puissance, elle entrait sur scène et elle avait ce rapport un peu stand-up au public et elle était gouine mais cachée, pas du tout out parce que l’époque ne le permettait pas. Cette figure de Jacqueline Maillan nous a beaucoup inspirées. Je mets la même perruque bouclée… C’est une espèce d’hommage à ces grands acteurs qu’il y a eu à une certaine époque. 

On considère parfois que le boulevard ce n’est pas du grand théâtre, ce n’est pas le théâtre public ou le théâtre contemporain. 

Mélanie : Il y a aussi, et c’est une justification à posteriori, Nelly Quemener qui va intervenir samedi dans l’émission qui est une journaliste et conférencière spécialiste de l’humour et des visibilités lesbiennes dans les médias qui fait une conférence sur le placard dans le boulevard. Le placard comme objet mais aussi comme métaphore de l’invisibilisation. Le boulevard est aussi un endroit crypto-gouine, crypto-pédé. Le boulevard cache aussi beaucoup de choses. 

Claire : Elle dit que le boulevard, c’est beaucoup de bruit, mais elle pose la question de qu’est-ce que ce bruit cache. Mais c’est à posteriori, c’est quand on l’a rencontrée qu’on a commencé à parler de tout ça. 

Mélanie : Dans notre scéno, il n’y a pas de placard puisqu’on est tous out. C’est le seul élément du boulevard qu’on n’a pas repris en terme de codes de scéno. 

Quelles sont les thématiques qui vous inspirent ? De quoi vous voulez parler dans le spectacle ? 

Claire : Des hétérosexuels. [rires] La première chose c’était d’être un couple de lesbiennes pour palier la triple invisibilisation. On a travaillé avec Paul B. Preciado sur la dramaturgie et il nous disait : « Être un couple de lesbiennes et monter sur scène c’est politique. » On est parties de ça. Déjà être sur scène, montrer un couple qui n’est pas un problème, c’était ça la première base. Mais c’est aussi l’humour. On est dans une société qui est tendue niveau racisme, misogynie etc. mais aussi dans les communautés queer où ça se prend la tête sur ce qu’il faut dire ou pas… ça nous intéressait de parler de ces sujets avec humour. Le théâtre devrait s’emparer de ces sujets. 

Vous avez des personnes invitées dans le spectacle… 

Mélanie : Il y a la base de notre couple et on a quatre autres chroniqueurs·ses dont une hétéro (qui fait la météro d’ailleurs…). Il y a Tahnee, qui fait du stand-up, Lou Trotignon qui remplace Jasmin Le Malin, Nadiam’s, Élisa Monteil… Notre équipe technique est très queer aussi. Le lendemain, le 18 juin, c’est autre chose. C’est l’émission de télé. 

Claire : Samedi, c’est la pièce de théâtre, comme on a eu une subvention entre-temps, on s’est dit qu’on allait vraiment la réaliser, le lendemain, au Générateur, on tourne l’émission de télé. Et là, on a plein d’invité·es. On a Matthieu Foucher, Naëlle Daryia, Juliet Drouar, etc. 

Mélanie : Le samedi, Boulevard du queer, c’est le couple qui veut monter une émission mais ça ne marche pas. C’est la fiction et le lendemain on passe dans le réel. Ce sont de vrais chroniqueur·euses qui ne sont pas des acteurs·trices. L’idée du 18 juin, c’est de créer une émission tous les trimestres, c’est une émission de variété intellectuelle : les gens doivent venir diffuser un savoir et un contenu mais de façon performative et humoristique. 

Comment est-ce que vous avez choisi les chroniqueurs·ses que vous faites intervenir ? 

Mélanie : Ce sont des gens que l’on connaissait à la base. On fait des salons féministes dans notre maison sur le modèle des salons de Magali Barney. Ce sont des gens qui sont venus à notre salon, qu’on a bien aimés et qu’on a reprogrammés au salon. C’est un mélange de tout, il y a des gens qui sont nos amis, des gens qui font des choses qui nous intéressaient.  

Pourquoi est-ce que vous avez voulu inviter des gens ? 

Mélanie : Pour nous la queeritude, c’est aussi l’altérité. Une émission, tu la fais pas tout seul. On voulait des chroniques, des gens qui rentrent, des gens qui sortent, des portes qui claquent. Un boulevard à deux, c’est toujours plus triste. Il faut plus de monde pour éviter le duo du théâtre bourgeois.

Qu’est-ce que ça change d’être une personne queer et de faire du théâtre ? Par rapport au théâtre conventionnel ? 

Claire : Pour le moment, on n’a pas 400 dates, déjà… Moi j’ai une sensation que je n’avais jamais eue avant qui est d’avoir l’impression d’être à la maison. Avant il y a un peu un trac de jouer devant des gens mais très vite il y a une sensation d’une familiarité qui se fait que j’avais jamais ressentie, que je n’avais pas eue quand je joue une autre pièce, un Goldoni ou n’importe quoi. 

Mélanie : Il n’y a pas de quatrième mur, il n’y a pas de distance avec le public. Je dirais aussi que pendant des années j’ai caché que j’étais lesbienne et là j’en fais mon fonds de commerce et je le gueule. C’est une sorte de grand outing joyeux… Il y a une sorte de communauté avec le public même si ça parle aussi aux personnes hétéros qui viennent. Personne ne se sent exclu, on ne veut pas du tout reproduire la sensation qu’on a quand on va voir un Tchekhov comme La Cerisaie où en tant que personne queer tu te dis « Ouais, ça m’emmerde un peu quand même…»

Tu disais : « C’est mon fonds de commerce », quelle est l’économie du spectacle ? 

Mélanie : C’est l’économie lesbienne, c’est assez précaire. Je disais « mon fonds de commerce » pour dire que je le gueule sur les toits et j’en fais des caisses par rapport à la gouinerie et tout. On a eu une subvention pour l’émission qui était beaucoup plus confortable mais Boulevard du queer,  on l’a créé avec peanuts. 

Claire : On a eu un théâtre qui nous a suivies mais on a vraiment fait les choses avec des bouts de ficelle. Petit à petit on augmente le décor quand on peut mais pour l’instant l’économie lesbienne est précaire. Pour l’émission, on se pose des questions : on se demande si on ne va pas faire une version visionnable payante sur YouTube. Notre rêve serait d’avoir une boîte de production, on est en train d’écrire une série, etc. Mais on n’a pas encore la pensée du système de production.

Samedi 17 juin et dimanche 18 juin : Queer Code au Générateur, Gentilly

Samedi 17 juin : Boulevard du queer avec Claire Lapeyre-MazératMélanie Martinez-Llense, Chroniqueu.ses : TahneeÉlisa MonteilNadia AhmaneLou Trotignon 

Dimanche 18 juin : Entrez c’est ouvert avec avec Matthieu FoucherJuliet DrouardOxni aka OxytocineLea Lootgieter et ClaraNelly QuemenerChouf, Naelle DariyaNadiams, Sophie MorelloMathilde MatteucciAgnès de Cayeux, Clarisse Tranchard