On rencontre Judith, la créatrice de la page instagram @tapotepute dans un café du 18e arrondissement de Paris. Judith a 22 ans, bi, elle fait du full service, elle est à la fois escort et dominatrice. Elle commence à envoyer des CV pour faire du porno et envisage de faire de la cam’ (avec des potes à elle). Judith est travailleuse du sexe.
Sur @ta.pote.pxte, elle parle de son travail, de ses clients, elle publie des portraits de travailleurs·euses du sexe et, une fois par semaine, elle répond à une foire aux questions. @ta.pote.pxte existe depuis juin 2019, à cause des signalements des abolos, elle en est à sa troisième page ( et la dernière en date a été créée le 21 février 2020). Elle nous raconte que l’idée de créer la page est venue suite à un raz-le-bol : « C’est venu d’une soirée où j’avais pas particulièrement prévu de parler de mon taf mais où j’avais pas non plus prévu de mentir et où je me suis retrouvée à passer toute la soirée à donner des détails sur mon travail [alors que] ce n’était pas le sujet ce soir-là. J’ai un ami à qui j’ai dit que c’était pesant toutes ces questions et qui m’a répondu qu’en fait il n’avait pas d’autres potes putes que moi et je suis ressortie de là en me disant qu’il fallait une pote pute aux gens. »
Du coup, Judith répond aux questions qu’on lui pose, comme une bonne copine. Judith est activiste. Sa démarche est militante, « c’est militer autour du travail du sexe en passant par l’intime et par la réhumanisation des gens ». Elle reçoit plus de 70 questions chaque lundi et consacre une grande partie de son temps à y répondre. Celles qui reviennent le plus ? Est-ce que tes parents sont au courant? Comment vivent tes parents ? Comment et pourquoi tu as commencé le travail du sexe ? Est-ce que t’es en couple, est-ce que la personne avec qui t’es en couple le vit bien ? « À partir du moment où j’ai statué que c’était mon métier et qu’il me convenait, qu’il me plaisait et que je voulais pas en changer, ce qui inquiète les gens c’est comment je fais pour survivre dans le monde et comment je suis perçue mais aussi comment je paie mes impôts. Les gens essaient juste de se projeter et de se dire comment est-ce que je ferais à sa place ? »
Judith parle aussi beaucoup de politique, elle évoque les textes de loi et les conséquences pour les travailleurs·euses du sexe. Sur sa page, elle échange aussi avec ses collègues. notamment celles qui sont isolées et qui n’ont pas accès à tous les réseaux de soutien et d’autosupport qui existent dans pas mal de grandes villes en France. « Y a pas mal de travailleuses du sexe, dont des travailleuses du sexe parisiennes, qui sont socialement isolées et qui n’ont aperçu du féminisme que la branche abolitionniste. Elles sont complètement rejetées, elles n’ont aucun soutien dans le fait de faire valoir leurs droits, elles n’ont aucun accès à des systèmes de sécurité et elles n’ont juste aucun endroit où parler de leur taf. Quand tu mens à tout ton cercle d’ami·e·s, quand tu mens à tout le monde, c’est éreintant et très difficile. Je communique beaucoup et je rencontre à peu près une fois par semaine des collègues isolées, qui sont seules, qui n’ont pas de système de soutien, de sécurité, qui découvrent comment ça marche un back up. » Qu’est-ce ce qu’un back up ? C’est justement l’une des choses que l’on pouvait apprendre sur sa page.
C’est dans cette optique de soutien qu’elle organise des « apériputes », dont le premier a eu lieu récemment . C’est un moment de rencontre et d’échanges entre travailleur·se·s du sexe où se croisent des militant·e·s du STRASS et celles que Judith appelle les « bébé-putes » : « C’est très important dans un monde où on existe pas de parler de ce qui se passe pour nous. Notre lien social, c’est quelque chose d’essentiel autant pour notre sécurité physique que pour notre santé mentale. »
« Les réalités pute, elles sont violentes aussi »
Elle publie également de nombreux portraits de ses collègues. Étant seule à gérer sa page, publier ces portraits, c’est un moyen de présenter d’autres réalités du travail du sexe. Elle a ainsi récemment publié une interview de Romy Alizée dans le cadre d’une série de posts autour du porno. Judith et Romy évoquent ainsi le porno féministe et la diabolisation du porno, reviennent sur le travail — qui existe depuis les année 70 — de créer un porno révolutionnaire. D’ailleurs, Judith pense qu’il y a un retour en arrière dans ce qu’on propose aujourd’hui dans le porno dit « pour femmes »… Elle a prévu de publier une interview de Tom de Montmartre.
Pourquoi ces portraits ? Elle explique : « C’était pas cohérent de parler que de ma réalité, qui est une réalité de personne cis, jeune, avec un whitepassing, qui rentre globalement dans les canons de beauté hétéros lambda de meuf fem. Ça fait partie de mon travail d’humanisation des travailleurs·euses du sexe, c’est important de se rappeler qu’on est des gens et des gens assez experts en politique sur les sujets qui nous concernent, des gens pertinents et pas juste des reportages 66 minutes ni des Pretty Woman. » Elle ne censure pas les portraits qu’elle publie, ceux-ci sont parfois violents : il y est question de viol, de pédophilie, de violences. « Ça ne m’intéresse pas d’être acceptable, ça ne m’intéresse pas de lisser les identités et les vécus pute, ça m’intéresse de les mettre en exergue. […] Je refuse de censurer quoi que ce soit, parce que ce sont les réalités pute et les réalités pute, elles sont violentes aussi. »
« Être queer et travailleuse du sexe, c’est être doublement précaire »
On a aussi demandé à Judith ce que ça changeait d’être à la fois queer et travailleuse du sexe. Pour elle, le milieu queer, bien que plutôt « pute-friendly n’est pas exempt de putophobie ». Il y a une sorte de glamourisation du travail du sexe. « J’entends assez souvent que les travailleuses du sexe prennent leur revanche sur les mecs cis et sur l’hétérosexualité, et ce n’est pas vrai, je fais mon travail. Quand je suis serveuse, je prends pas ma revanche sur l’alcool. Je prends pas ma revanche, j’en fais mon gagne-pain. »
Mais le fait que les milieux queer soient généralement plus ouverts sur la question du travail du sexe permet à Judith de pouvoir parler de son travail : c’est une forme de confort en terme de statut social. Cela permet de vivre son travail de façon beaucoup moins isolée.
Cela est vécu par Judith comme un avantage que n’ont pas les travailleuses du sexe hétéros. Il existe dans les communautés queer toute une réflexion sur le corps et la sexualité. Ce sont des passages obligés dans la construction d’un vécu queer. « En tant que personne queer on a nécessairement une expérience de la stigmatisation du corps et de la sexualité, tout un vécu traumatique qui, quand on est travailleuse du sexe, devient un avantage. Avoir déjà traversé ce chemin de la honte du corps et du cul parce qu’on est queer est un énorme avantage. »
Si ça peut sembler un avantage sous certains aspects. Il ne faut pas oublier qu’« être queer, c’est précarisant, être travailleuse du sexe c’est vivre dans une grosse instabilité financière, donc être queer et travailleuse du sexe, c’est être doublement précaire. »
Judith sera présente, dans le cadre du festival Les Floréales Hivernales, le 23 février prochain dans le cadre de la matinée consacrée aux « vérités et cliché sur les travailleurs du sexe ». Et elle sera également présente le 7 mars prochain lors de la première soirée du collectif Pagaille.
Les screenshots intégrés dans cet article proviennent de la page @tapotepute, aujourd’hui supprimée suite à des signalements.