« Ce qui nous brûle » : un documentaire sonore nécessaire sur les violences sexuelles

Nils Loret se définit comme un pédé blanc à la trentaine qui se tasse. Il s’est mis à faire du son il y a quelques années avec l’envie de rendre à la commu un peu de l’amour qu’il y trouve. Depuis, il essaie de fabriquer des objets sonores qui racontent nos histoires et qui nous fassent du bien à écouter. Il a réalisé un documentaire sonore Ce qui nous brûle, qui traite de ce qu’il se passe pour les survivant·es de violences sexuelles à partir du moment où iels décident de briser le silence et de parler de ce qui leur est arrivé. C’est un point de vue queer qui aborde la question du continuum de violence, de l’importance du collectif dans une démarche de soin et de réparation, et qui d’après les retours que j’ai eu jusqu’ici, fait du bien aux gens qui l’ont écouté. Il nous en parle.

Pourquoi avoir choisi le sujet des violences sexuelles ?

À vrai dire, je l’ai pas choisi. Je m’apprêtais à travailler sur un tout autre sujet autour de l’amour pédé (qui sortira plus tard, stay tuned !) Mais le sujet des violences sexuelles m’est tombé dessus, et surtout, parce que j’ai décidé d’en parler assez rapidement j’ai pu expérimenter directement la violence que génère le fait de parler. J’avais déjà perçu ça de l’extérieur sur des situations où j’avais plutôt été en soutien de copaines, du coup c’était pas une grande surprise, mais de le vivre soi-même ça a été un sacré choc. Du coup il se trouve que j’ai ce médium du documentaire entre les mains, et que je pense que faire des documentaires, ça doit servir à raconter des trucs que tout le monde a besoin d’entendre, mais aussi les trucs que des gens ont besoin de dire. Ça m’a donc paru évident qu’il fallait que je fasse un sujet de cette histoire qui n’est pas plus mon histoire que celle de beaucoup d’autres.

 Comment as-tu procédé pour réaliser ce documentaire ?

Ça a été très galère, parce que c’est un documentaire fait dans l’urgence du moment, sans avoir pu digérer tout ce qui se passait. J’ai dû continuer à me bagarrer avec les gens qui essayaient de me dissuader de faire ça parce que c’était trop tôt, parce que ça pouvait avoir des conséquences et je sais pas quelles autres conneries du genre.
Mais du coup mon objectif c’était justement d’arriver à prendre de la distance, de regarder la situation d’un peu plus loin et d’essayer de comprendre ce qu’il y a de systémique et de politique dans cette histoire. Du coup j’ai voulu à la fois faire exister mon histoire personnelle, avec le fait de prendre la parole moi-même, et de documenter des moments de cette recherche de soutien. Et en même temps rendre ce sujet plus sociologique en confrontant mon expérience à d’autres. Et c’est comme ça que j’en suis arriver à échanger avec Lu, qui se trouve être un·e ami·e que j’aime fort et qui avait beaucoup à dire sur le sujet. Au départ je voulais avoir un récit choral avec plein de voix qui racontent des vécus différents, mais je me suis rendu compte que son discours était déjà tellement puissant et qu’il clarifiait suffisamment les enjeux que c’était plus nécessaire de chercher d’autres voix.C’est donc devenu une sorte de dialogue entre nous, même si on entend aussi Adèle qui est un·e autre camarade extrêmement engagé·e sur la question de ce qu’on fait des VSS, et dont la parole m’a beaucoup aidé à organiser mes idées et à identifier les enjeux même si on l’entend brièvement dans le doc.Et puis Anne qui pour moi vient représenter les personnes qui même sans être directement concernées se remontent les manches et n’hésite pas à intervenir. Je crois que c’est un peu les « petits anges » dont parle Lu. En tous cas, elle a eu se rôle là pour moi.
Voilà après pour parler du son, j’ai cherché à travailler sur quelque chose de simple et j’espère de subtile. Le travail autour du feu, servait pour moi à créer une triple métaphore : le feu au sens du foyer autour duquel on se retrouve pour échanger ; le feu de la rage, des poubelles qui crament et d’un instinct révolutionnaire (je pense que le contexte politique m’a un peu influencé…) ; et le feu qui nous crame le bide celui dont on sait plus trop si c’est de la colère, de la douleur, de la vie, ou de l’autodestruction.Pour ce qui est des moments de création sonore, l’idée était d’avoir ce son qui prend beaucoup d’espace et qui gène. Ca me permettait de manifester le silence dans lequel on se retrouve en tant que survivant·e et le manque d’espace, le fait qu’on ne peut plus penser à rien d’autre qu’à ces grésillements dans notre tête.


Tu abordes la dimension collective de la démarche de soin et de réparation. Explique nous pourquoi c’est important. 

Pourquoi c’est important ? Parce que je pense que le collectif c’est quelque chose de fondamental. De tellement fondamental que ça peut nous sauver, comme nous foutre dedans. Il y a un truc qui est clair, c’est que les personnes victimes de VSS se sentent complètement isolées (par les dynamiques d’emprise, par la honte, par le sentiment de culpabilité…). Et que du coup, le moment de parler à quelqu’un de ce qu’on a vécu c’est du quitte ou double. Soit tu te sens soutenu·e, écouté·e et accompagné·e, soit c’est tout l’inverse.Personnellement je me suis senti extrêmement isolé dans le collectif où j’ai parlé en premier lieu, celui où la personne qui m’a agressé évoluait. Et heureusement que je pouvais compter sur ma commu et sur des camarades, amix et amants qui ont été là pour me rappeler que ce que j’avais vécu n’était pas normal, que c’était grave, et que j’avais raison de vouloir faire quelque chose. Sans elleux, je pense que j’aurai pris de mauvaises décisions et que j’aurai eu du mal à sortir quelque chose de positif de cette histoire.
Donc oui c’est super important que les personnes et les collectifs qui reçoivent la parole de personnes victimes de VSS fassent quelque chose de cette parole, à commencer par ne pas la mettre en doute, soutenir la personne de la façon qu’elle demande et lui répéter autant de fois que nécessaire qu’elle n’est pas responsable de la situation et que si c’est la merde dans le collectif ça n’est pas parce qu’elle a parlé mais parce que quelqu’un·e s’est permis d’agir avec elle d’une façon qui n’est pas tolérable.
Je vois encore aujourd’hui autour de moi qu’il y a beaucoup de taff à faire encore là dessus. J’espère que d’écouter ce documentaire aidera des gens à questionner leur positionnement, à reconnaitre là où iels ont merdé, et à essayer de faire mieux la prochaine fois. Parce qu’il y a quand même un truc qui me désole c’est de voir des collectifs qui font tellement de la merde sur la gestion de ce genre de bails, qu’à la fin tout le monde oublie qu’au départ, y’a bidule qui a violé 1, 2, 3, 12 personnes et qui s’en sort juste en prenant ses valises pour aller faire la même ailleurs pendant que le reste du groupe se fout sur la gueule. Ca me parait pas pertinent comme situation et j’espère qu’on peut arriver à trouver des modes de gestions collective des violences qui non seulement ne créent pas de nouvelles violences sur les survivant·es, mais aussi permettent de rendre chacun responsable de ses propres merdes…

© Nno Man
PARIS – 16 MARS 2023 : Manifestation contre la reforme des retraites après l’annonce du 49-3. Plusieurs milliers de manifestants se sont rassemble devant l’Assemblee nationale, avant que des affrontements eclatent avec les forces de l’ordre. Des centaines de manifestants sont alors parti en manifestations spontanees, en bloquant les rues et en incendiant les poubelles. En France, à Paris, le jeudi 16 mars 2023.