Vers une Coupe du monde sans diffusion ?

Le 7 juin 2019, en match d’ouverture de la Coupe du monde féminine de football, l’équipe de France mettait une branlée à la Corée du Sud. 4-0. GG. Corinne Diacre était sur le bord du terrain dans un costard flambant. Amandine Henry n’était pas encore en arrêt de travail. Wendie Renard claquait un doublé et était élue femme du match. Une bonne entrée en matière. 

J’ai suivi le match dans le pub le plus cradingue de Marseille. Pris la cuite de ma vie à coup de shots enflammés. Dansé sur le comptoir telle une LeAnn Rimes de Wish. Vomi sur le trottoir. 

Cet alignement des planètes entre la win de l’équipe de France et ma loose personnelle a été possible grâce à TF1. Diffuseur du match. TF1 n’a pas diffusé ce match uniquement pour moi et les client.e.s du Black Unicorn puisque nous étions près de 11 millions devant l’écran ce soir-là. 

Le 23 juillet prochain, trois jours après le match d’ouverture de la prochaine Coupe du monde féminine de football qui se tiendra en Australie et en Nouvelle-Zélande, la France défiera la Jamaïque. Corinne a cédé sa place à Hervé mais a gagné 870K€ au passage. Amandine sera en passe de terminer sa carrière à Los Angeles. Wendie, fidèle au poste, claquera peut-être de nouveau un doublé. 

De mon côté, je ne bois plus donc les trottoirs de Marseille devraient rester vomitfree. Modulo l’ébriété des autres, évidemment. 

Ce nouvel alignement entre les bleues et moi ne sera possible que dans le cas où la FIFA trouve un accord avec un diffuseur européen. 

Écrans noirs en Europe

À moins de deux mois du coup d’envoi de l’événement, l’Espagne, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie et cocorico, la France n’ont pas encore de diffuseur officiel pour suivre la compétition. 

Du côté de la FIFA, ça ronchonne. Les offres reçues sont de 20 à 100 fois inférieures à celles de la Coupe du monde masculine alors que les audiences représentent 50 à 60% de celle-ci. Pas franchement équitable d’autant que 100% des droits payés sont dédiés au développement du football féminin. Gianni Infantino, président de la FIFA, qualifie ces offres de “gifle pour toutes les grandes joueuses et toutes les femmes du monde” et insiste sur “l’obligation morale et juridique de ne pas sous-estimer la valeur de la Coupe du monde féminine”. Team Gianni <3

La secrétaire générale de la FIFA lui emboîte le pas dans un entretien accordé à l’AFP. Fatma Samoura demande aux chaînes de télévision de “valoriser” cette compétition “à son juste prix”.

Du côté des diffuseurs, ça pleurniche des larmes de mâles alpha invoquant l’heure de diffusion des matchs en raison du décalage horaire et par conséquent les possibles faibles audiences ne permettant pas de générer des revenus publicitaires suffisants. 

La raison principale pourrait sembler économique et financière. Elle est surtout systémique. 

Le bon bilan de 2019

La Coupe du monde féminine de football de 2019 a été la plus regardée depuis les débuts de la compétition en 1991. Streaming compris, la FIFA a annoncé plus d’un milliard de téléspectateurs. On est loin des milliards cumulés des mecs mais c’est loin d’être déshonorant. Toujours chez TF1, la chaîne du temps de cerveau disponible, le 8ème de finale France-Brésil a attiré 12 millions de téléspectateurs. En dépit de leur défaite en quart, le match des bleues contre les États-Unis a culminé à 12,2 millions, assurant à la chaîne son meilleur score de l’année. Face à cet engouement et n’étant pas du genre à bouder les profits, TF1 en a profité pour réévaluer à la hausse ses tarifs publicitaires pendant la compétition.

Le reste de l’Europe a aussi profité de l’effet Coupe du monde. L’Italie, les Pays-Bas,ou l’Angleterre ont aussi enregistré des records. La demi-finale États-Unis-Angleterre a été la plus forte audience télévisée de l’année au Royaume-Uni, avec 11,7 millions de personnes devant la BBC. 

Bien sûr, en 2019, la Coupe du monde se jouait en France et l’impact intra muros ne peut être ignoré. Aujourd’hui, les chaînes se retranchent sur le décalage horaire entre l’Europe et l’Océanie pour justifier leurs offres. 

Mais… 

En 2002, la Coupe du monde masculine de football se jouait en Corée du Sud. Lorsqu’il est 21h à Séoul, heure de match, il est 14h à Paris. Pas franchement l’heure de descendre des pintes de bière et des Lay’s barbecue au milieu de la fan zone. Pourtant TF1 n’avait pas reculé pour faire une offre généreuse et s’assurer de voir les matchs diffusés sur son antenne. En 2002, la déconvenue de l’équipe de France en Corée n’a pas non plus découragé le diffuseur de remettre de l’argent sur la table. 

De là à invoquer l’inégalité de genre, il n’y a qu’un pas que je franchis allègrement.

Les politiques à la traîne

Côté politique, la question de la réduction des inégalités de genre dans le sport intéresse. Le Conseil de l’Europe s’est engagé dans la bataille. La Suisse, pas foncièrement partisane des combats, aussi. Et la France, prem’s de la classe, rend des rapports à gogo sur le sujet. 

Légitime dès lors de penser que les gouvernements concernés militent ardemment pour une revalorisation des offres dans le but de voir se développer le football féminin. Plot twist : non. Mieux que ça, la ministre française des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, a jugé que “la FIFA devra être un peu moins gourmande”. On a l’AOC qu’on mérite. Discours groupé avec la team allemande, anglaise, espagnole et italienne. 

Conclusion, si vous voulez pouvoir rentabiliser vos 150€ investis dans l’achat du maillot de l’équipe de France et ne pas vous retrouver à le porter devant “Les feux de l’amour”, apposez votre signature par ici. A nous les pintes à 10h du mat’ !