« Comme on n’en parle pas assez de manière transparente, on l’encadre pas assez. » On fait l’état des lieux de la fête avec le podcast Noctambules

Camille Desmaison-Fernandez et Laure Gutierrez sont les deux fondatrices du podcast Noctambules qui donne la parole à un·e intervenant·e différent·e à chaque épisode pour questionner le rapport de chacun·e à la fête. Si chaque épisode est indépendant, il se construit au fur et à mesure des épisodes un état des lieux de la fête. Pour elles, quelle que soit la manière de faire la fête, elle est un trait d’union entre les gens. Nous avons rencontré Laure et Camille. 

Est-ce que vous pouvez nous parler de la genèse du projet ? 

Camille : Ça a commencé pendant une fête. On a toujours beaucoup questionné notre rapport à la fête, Laure et moi. On se rend compte qu’il y a un podcast de dingue à faire dessus, on en parle autour de nous et on se rend compte qu’il y a beaucoup de tiroirs à ouvrir qu’on n’imaginait même pas nous, dans notre petit rapport nombriliste à la fête. On a commencé à rencontrer des gens et à essayer de parler de ça. C’est comme ça que le projet est né. Moi je suis journaliste à la base et j’avais du matériel pour pouvoir enregistrer. 

Laure : Et on trouvait aussi que dans les ressources qu’on connaissait, il y avait peu de médias, en tout cas pas de podcast qui en parlait sans tabou. Il y a des choses plus historiques, avec des gens qui interrogent des organisateurs par exemple. Mais on avait envie d’aborder des questions peut-être plus sensibles comme la drogue ou le fait que la fête ne soit pas safe. 

Camille : On voulait chercher un truc intime. Les gens qu’on voulait rencontrer, c’était des personnes lambda. Ce qu’on voulait c’était quelque chose d’assez personnel, assez intime, assez dans l’émotion. On est de grosses consommatrices de podcast et on n’avait pas entendu ça, on était assez curieuses et on a décidé de se lancer pour ça. 

C’est un podcast qui est autoproduit, il me semble. Comment est-ce que vous le fabriquez ? 

Camille : En essayant de caster des gens par les réseaux sociaux, par des ami·es d’ami·es d’ami·es qui ont une idée, maintenant avec notre page instagram, il y a des gens qui nous contactent aussi et qui se présentent d’eux-mêmes. Ensuite on fait une pré-interview au téléphone puis on se rencontre et on enregistre. Ensuite je fais mon petit montage. Aujourd’hui, on peut très facilement être sur les plateformes de streaming gratuitement ce qui nous permet d’être sur Spotify, Deezer ou Apple Podcast sans avoir à courir après un diffuseur. Après il y a évidemment toute une partie com’ notamment avec Instagram. Ça permet d’avoir un relai, pas seulement audio mais aussi de jolies images qui accompagnent chaque épisode. On ne se paie pas, on le fait avec les moyens du bord. 

J’allais vous poser la question du modèle économique. Est-ce qu’il y a une économie du podcast ? 

Laure : Oui, t’en as une mais il faut avoir franchi un certain seuil. Sur le sujet de la fête où on aborde des choses un peu taboue, je pense qu’on s’éloigne des choses classiques où tu peux trouver des diffuseurs facilement. On tient à notre liberté aussi. Comme il y a des gens qui parlent de leur consommation de drogue, par exemple, en donnant des noms de drogues, je pense pas qu’avec ça on va passer sur France Culture. 

Vous parlez de fête, parce que vous vous aimez la fête ?

Camille : On est de grandes fêtardes mais on aime la fête presque autant qu’on la déteste. On s’est posées beaucoup de questions sur notre rapport à la fête et sur ce côté consumériste qu’on pouvait avoir. C’est cette relation d’amour-désamour avec la fête qui a fait qu’on s’est dit qu’on devait pas être les seules à penser ça. 

Dans votre introduction vous parlez du fait qu’on peut détester la fête. Quelles sont les raisons qui font qu’on peut la détester justement ? 

Camille : Ce serait trop de fête, trop d’excès par exemple. Mais aussi des raisons plus politiques : on se rend compte que la fête est parfois très peu safe, pour les femmes ou les personnes queer par exemple. Il y a aussi peu de prévention, sur les drogues par exemple. Il y a beaucoup de problèmes dans la fête qui sont niés. On se rend compte que la fête est belle et toutes les personnes que l’on a interrogées ont des étoiles dans les yeux quand ils parlent de leur rapport à la fête mais comme on n’en parle pas assez de manière transparente, on l’encadre pas assez en fait. 

Laure : Quand bien même les gens nous racontaient des expériences douloureuses ou des fêtes qui avaient été des tournants dans leur vie, quand on pose la question « Qu’est-ce que tu ressens dans la fête que tu ressens pas dans le quotidien ? » ils se réveillent et s’illuminent.  Ça a beau être un milieu parfois violent, les gens se rendent compte qu’elle est nécessaire pour eux et qu’ils veulent pas l’arrêter. On parle de milieu violent mais on a eu des témoignages de personnes qui avaient un rapport vraiment solaire à la fête. On a eu une drag queen bruxelloise qui explique que pour elle, c’est vraiment un lieu de libération, d’affirmation et de prise de pouvoir. 

Vous faites le lien avec les deux ans de pandémie. Qu’est-ce que la crise sanitaire a changé à la fête ? 

Camille : Quand on interviewe les gens, il y a toujours un tournant assez personnel avec le covid. De manière plus globale, sur ce qu’on nous a dit sur la fête à Paris dans les milieux électro c’est qu’en sortie de confinement c’était encore plus violent. Il y a eu une forme de frustration, d’enfermement sur soi pendant deux ans où les gens ont fait ce qu’ils voulaient chez eux. D’un coup, tu te retrouves entouré de plein de gens qui veulent faire ce qu’ils veulent après avoir été enfermés comme des lions en cage et ça a été un peu l’explosion. Il y a eu un côté un peu animal, j’ai l’impression. 

On s’est rendues compte aussi que la teuf, c’est pas juste « je vais boire un p’tit verre en sortant du taf pour me détendre de ma semaine de travail », il y avait quelque chose de vital pour certaines personnes. 

Laure: On se rend compte qu’il y a une communauté de gens qui font beaucoup la fête à Paris, qui enchaînent les after et qui ont continué à faire la fête pendant le covid et ça a été très violent et on ne s’en rendait pas forcément compte. Ça a été vraiment un problème parce qu’il n’y avait plus de règles, plus de limites, pour les gens qui avaient des soucis d’addiction par exemple. Et à l’inverse, on vient d’interroger Benedetta de Camion Bazar qui elle nous a dit que ça avait été le moment où elle avait pu enfin dormir et qu’elle s’est rendue compte qu’elle avait envie d’avoir un rythme plus tranquille aussi. C’est une période qui a pu être un moyen de trouver un nouvel équilibre pour certaines personnes. Il y a un peu les deux extrêmes. 

Camille : D’une manière ou d’une autre, la pandémie marque un tournant pour les gens dans leur rapport à la fête : soit je questionne mon rapport à la fête, soit je me perds complètement dedans parce qu’il n’y a plus de limites.

Comment vous choisissez les personnages que vous suivez dans chaque épisode ? 

Laure : On cherche à avoir un fil rouge sur chaque épisode, donc avoir un angle très marqué. Le but, c’est d’avoir un témoignage à la fois très intime et très personnel (si je prends une drag queen, on prétend pas qu’elle parle au nom de toutes les drag queens) mais on a aussi envie que les gens apprennent quelque chose. On veut qu’il y ait un côté informatif tout en n’étant pas un podcast sociologique. 

Camille : On fait un peu de pédagogie mais pas tout le long de l’épisode. Plus les épisodes passent, plus on a des profils saillants qui sortent. On a des gens qui nous contactent avec des idées qu’on n’avait pas forcément eues. Quand les gens viennent à nous, c’est qu’ils ont envie de parler donc il y a la moitié du travail qui est faite. On avait certaines idées, on voulait des profils sociaux divers, on voulait des meufs, des personnes queers mais maintenant c’est aussi au fil des gens qui viennent à nous et au fil des milieux qu’on découvre. 

Laure : Ce qui est dur mais qui nous tient à coeur, c’est de ne pas être sur un truc parisianocentré. On essaie d’aller chercher des personnes qui sont dans des milieux et des lieux qui sont pas les nôtres. On adorerait faire un épisode sur la fête dans le bar du tout petit village de province. On découvre plein de choses en enquêtant sur notre sujet au fur et à mesure et c’est ça qui est chouette. On ne pensait pas apprendre autant de choses. 

Et quelles sont les thématiques que vous allez aborder dans les prochains épisodes ? 

Camille : On a Alan qui va parler de la fête dans la communauté sexpositive. Pour lui, ça a commencé par du tantra qui lui faisait du bien parce qu’il était un peu perdu dans sa vie. Et il a découvert le milieu sexpositif et il nous explique comment les événements sexpo ont eu un impact dans l’affirmation de lui-même. Ça lui a permis de faire son coming out trans et ça lui a permis d’apprendre la notion de consentement dans la vie de manière générale. C’est un peu comment ce milieu-là a transformé sa vie et a changé sa manière de voir le monde. 

Laure : Mais on va aussi avoir pleins d’autres sujets comme l’hypersensibilité dans la fête, l’encadrement politique de la nuit, les violences sexuelles en milieu festif… Et on a encore pleins d’idées en réserve !