Pour beaucoup le générique de HBO, son grésillement caractéristique et son ébahissement d’inconnu, ça voulait dire Game of Thrones. Moi, quand j’entends ce petit bruit, je pense à mes visionnages tard le soir d’une série trop peu connue. Looking (créé par Michael Lannan et Andrew Haigh) a commencé à être diffusée en 2014 et sous ses airs de simple petite histoire pédée comique, j’ai réalisé qu’elle avait forgé ma vision de la vie homosexuelle citadine. Neuf ans après mon premier visionnage, plusieurs années après avoir vraiment goûté à la vie qu’évoquait cette série, j’ai décidé de me pencher de nouveau sur ce petit bijou de télévision.
Si ma première série gay fut officiellement Glee, Looking a sonné comme une révolution télévisuelle pour l’ado de seize ans que j’étais. Pour une fois, pas de gamins qui luttent contre le harcèlement scolaire, pas d’homophobie symbolisée par des jets de boissons glacés sur la gueule. Non, là, on rentrait « dans le monde des grands », un sentiment toujours enthousiasmant quand on rêve d’en devenir un.
Looking suit un groupe d’amis pédés, composé d’un daddy moustachu terrifié par l’engagement (Murray Bartlett), d’un artiste raté (Frankie Alvarez) et d’un célibataire insupportable (Jonathan Groff). Je vous le résume ainsi car c’est bien ce qui caractérise les personnages de Looking : ils sont cassés, maladroits, parfois de mauvaise foi et tentent de se réparer à travers leurs vies amoureuses. C’est aussi ça qui rend cette série aussi trépidante : les erreurs sont aussi fréquentes que divertissantes, on rit comme on s’extasie des conneries commises par les personnages.
Rêver à seize ans….
C’est aussi cela qui m’a séduit quand j’avais seize ans : la vie pédée de San Francisco, du moins, celle que je fantasmais. Looking fut mon premier contact avec l’humour communautaire, avec ce sens du shade affectueux qu’on utilise qu’entre amis. À l’époque, des amis pédés, je n’en avais pas un seul, seulement mes lesbiennes sûres. Le lien si particulier et chaotique qu’entretiennent Dom, Agustín et Patrick m’offrait cela en avance, une expérience que je ne découvrirais que sept ans plus tard. Bien entendu, le rythme assez particulier avait désarçonné mon manque d’attention typiquement juvénile. Looking est une série du quotidien, aux scènes parfois sans grands évènements et qui tiennent grâce à la saveur des dialogues, à leur douceur aussi. Une simplicité désarmante qui me manque, l’ayant que trop peu trouvée ailleurs (sauf peut-être dans l’écriture de Joey Soloway, auteur·ice de Transparent et I Love Dick)
Et puis, bien entendu, s’il fallait être complètement honnête, j’étais également plein d’hormones et ravi de mater quelques scènes de cul. Magnifiées par la nostalgie de mon adolescence, je me souvenais de chacune d’entre elles. En les regardant aujourd’hui, j’étais agréablement surpris de retrouver des moments à la fois sensuels et délicats, intimistes grâce à l’usage de plans rapprochés sur les visages et les corps. Il y a peu de scènes de « performance sexuelle » dans Looking, on est toujours sur des séquences qui viennent raconter la relation des personnages à la baise comme à leurs amants. L’air de rien, ces scènes m’ont aidé dans la construction de mes futurs rapports intimes, m’offrant une vision non pornographique du sexe gay. C’est également la première fois que j’entendais parler de « Indétectable = Intransmissible », que je voyais un personnage bear à l’écran etquelques évocations (même si trop timides) du fétichisme racial dans le domaine de la drague…
Et puis bien entendu, pas de vie gay sans musique : Looking a été également ma première rencontre avec des morceaux fondateurs de ma culture gay : The 2 Bears, Sister Sledge, John Grant, la house de manière générale mais aussi Pansy Division. C’est très simple, la B.O de cette série est tellement bourrée de pépites qu’on a eu envie de vous faire une petite sélection des artistes entendus dans Looking.
… Et le vivre à vingt-cinq
En regardant Looking neuf ans plus tard, j’ai réalisé quelque chose : mon fantasme est devenu réalité. Cette série, c’est ma vie, aussi bien dans les bons côtés que les mauvais.
Avec le recul d’un homosexuel qui est heureux d’en être un, j’ai réalisé à quel point le personnage principal était une véritable leçon. Patrick est en effet un peu semblable à Piper Chapman d’Orange is the new black : queer débutant complètement paumé dont la maladresse frappe également son entourage. Jonathan Groff joue un garçon touchant dans son insupportabilité, dans son retard terrible en rapport à certains sujets sociaux, dans ses préconçus. Il est un petit gay blanc encore bourré d’homophobie internalisée et de fétichisme racial, qu’il apprend à confronter grâce aux gens qu’il aime, car il avance tout au cours de la série, s’endurcit.
De manière générale, c’est le cas de tous les personnages principaux de Looking : ils sont cassés par certains endroits, par des ruptures ou des défauts qui parasitent leurs histoires d’amour. Mais ils apprennent, ils s’améliorent, ils deviennent de meilleures personnes, de meilleurs amis. Et c’est sans doute la chose que cette série m’a apprise bien des années après notre première rencontre : il est possible de soigner son homophobie internalisée, d’accepter ses erreurs, de devenir un pédé chaotique mais qui a bien conscience qu’il en est un. Alors il se répare comme il peut, aussi bien grâce à ses conneries que ses amis.
Neuf ans plus tard, je ne sais pas si je connais une série qui dépeint aussi bien la vie des petites pédales des grandes villes. Bien entendu, il s’agit d’une vision très située et on adorerait que d’autres œuvres viennent élargir les horizons de notre représentation et de nos imaginaires. En attendant, j’aurais toujours plaisir à retrouver Patrick, Agustín et Dom dès que j’en ressentirai le besoin (surtout Dom, soyons honnêtes).
Notre playlist spéciale « Looking » est disponible sur Spotify.