De Strasbourg à Paris : la House of Diamonds vient secouer la capitale

Vous le savez, chez Friction on aime découvrir les scènes drag de toute la France, s’émerveiller devant leurs petites particularités et ce qu’elles apportent à un art en constante mutation, que ce soit sur des scènes internationales ou dans des endroits plus confidentiels. Alors quand l’inventive et strasbourgeoise House of Diamonds vient poser ses valises à Paris pour un show unique en son genre, on répond présent·es et on leur pose toutes nos petites questions.

Crédits photo : @marlenewaxhouse

Hello la House of Diamonds ! Est-ce que chaque membre peut se présenter en cinq mots ?

Vendredi Treize : punk, sexy, effrayante, militante, dramatique. 

Frida Crado : cartoonesque, clownesque, surréaliste, angoissée, exhibitionniste. 

Mizkeen : pathétique, espiègle, conte, énervé·e, politique.

Graphic Dee : clownesque ; coloré·e ; cartoonesque ; malicieuxe ; disproportionné·e.

Sapphran : brûlante, sensuelle, excessive, séductrice, terrible.

Cotte de maille : énigmatiquex, cagouléex, poupéex, obscurex, piquantex.

Est-ce que vous pourriez nous raconter un peu la House of Diamonds, sa création et l’esprit de votre équipe ?

Graphic Dee : La House est née à la suite d’un anniversaire, celui de Vendredi Treize (mais je la laisse nous expliquer !) On a pu se construire à une époque ou quasiment personne en France ne faisait du drag, et encore moins à Strasbourg. Au début, évidemment, on suivait RuPaul’s Drag Race, et on essayait de reproduire ça. Mais très rapidement, par émulsion collective, on a pris une autre direction. On n’avait pas à se comparer, ni à rentrer dans un jeu de concurrence, ça nous a permis de créer un drag original. Ça vient aussi du fait qu’on est pour la plupart issu·es d’écoles d’art, ça a alimenté notre manière de voir le drag. Depuis, on a conservé un lien fort à l’illustration, au dessin, à la narration. On continue de défendre une position queer, sur le plan politique et artistique, au sein d’un milieu drag qui a tendance à se normaliser.

Vendredi Treize : Lorsqu’on a commencé le drag, on n’y connaissait rien du tout, on n’avait jamais vu de drag show de notre vie, juste des épisodes de RuPaul’s Drag Race. Je crois que c’est très intéressant de se lancer sans filet dans une forme d’art, en total novice, sans vraiment s’y connaître, ça permet de s’affranchir dès le début des règles et diktats de cette pratique. C’est mon ex belle-soeur Sydney Koke, artiste et musicienne canadienne, qui nous a encouragé·es à passer le pas en nous positionnant dès le début comme légitimes à faire du drag de la manière qu’on voulait, ce qui est très précieux. Entre ses conseils et nos improvisations, ça a donné un spectacle assez singulier, qui ne ressemblait à rien de ce qu’on voyait du drag à l’époque, qui était très inspiré de notre pratique d’illustrateurices. Ce qui est beau c’est que ce qui était une fête entre ami·es est devenu une création collective, on s’est vu·es collectivement grandir, s’inspirer et affiner notre art. J’ai l’impression que c’est ensemble, public, artistes, que nous « faisons oeuvre ».

Quelles sont les inspirations artistiques de vos performances ? Est-ce que vous travaillez en solo ou au contraire, l’appui des autres membres de la House est fondamental dans la construction de vos spectacles ?

Mizkeen : De manière générale il s’agit d’un va et vient entre le travail collectif et le travail solo. Les deux dimensions se nourrissent mais le soutien du collectif est crucial dans la manière dont je crée personnellement, je m’inscris dans un projet qui me dépasse tout en ayant ma propre individualité. Pour mes inspirations, je suis autant attiré·e par les sous-cultures gothiques et techno que par mes origines maghrébines et berbères. Je pars souvent d’une narration politique, d’une histoire que j’ai envie de raconter et je passe ensuite énormément de temps à trouver la bonne musique dont les paroles et la prod me parlent et collent au propos que je veux raconter. La musique est au cœur de mon travail de création. 

Vendredi Treize : Je construis mes performances en partant d’une musique que j’aime et qui m’évoque des images si fortes qu’il me semble impossible de pas leur donner vie. Mes inspirations sont très punks, parce que je viens de ce milieu à la base. Pour citer quelques artistes, je suis en admiration devant Divine, les apparitions télé de Tiny Tim et les looks de Leigh Bowery. C’est très stimulant d’être un collectif, ça donne du courage pour monter sur scène, mais ça inspire aussi. Je crois qu’on trouve un bon équilibre entre pratique individuelle et œuvre collective.

Sapphran : Je me nourris de l’ambiance survoltée des films d’Almodovar, des images de déguisements pour enfants faits maison, des formes étranges de certains insectes, ou de manière générale de tout ce qui est rouge et de tout ce qui se transforme. Jusqu’à récemment je travaillais seule sur mes performances, mais après avoir exploré plusieurs formats en duo ou en collectif, j’ai envie de faire évoluer mon personnage au contact de ceux des autres. Maintenant que mes contours sont bien cernés, je cherche plus d’interactions, plus de collisions entre des univers qui se répondent. Après quelques années de collectif, on voit bien qu’on peut tisser des liens entre nos pratiques, que nos travaux se nourrissent mutuellement, au niveau des formes, des thèmes, ou simplement parce qu’on partage une effervescence commune. 

Cotte de maille et Frida Crado : pour nous, le drag c’est souvent avec les autres, on adore performer en duo ou trio et c’est ce qui nous a permis de nous lancer ensuite seules sur scène. A nos yeux c’est l’adelphité qui alimente nos pratiques et notre art. C’est se retrouver ensemble en backstage et rigoler, se consoler ou se complimenter ensemble entre deux make-ups. 

Nos inspirations sont diverses, pour Frida c’est plutôt les cartoons anciens un peu hantés et les films muets, et pour Cotte de Maille c’est les creepy pastas et les films de David Lynch. Pour la construction de nos perfs, on s’inspire beaucoup de la bande dessinée, des scènes qui s’articulent pour former une histoire. On aime aussi utiliser le grotesque et le comique pour aborder des thèmes parfois plus lourds qui nous touchent personnellement.

Crédit photo : @Pierre Croissant 

Comment vous décririez la scène drag strasbourgeoise ? Qu’est-ce que vous pensez que le public parisien pourrait découvrir de nouveau ?

Graphic Dee : La scène drag strasbourgeoise a connu une véritable explosion ces derniers mois. On a autant des shows dans des bars, sur des scène de spectacle, dans des salles de concert, mais aussi dans des cinémas ou des médiathèques (ça c’est grâce à nous !). Tout ça est en partie porté par la House of Marley qui existe depuis de nombreuses années. J’ai le sentiment qu’avec notre House, on a ouvert la voie à un drag bizarre, fait soi-même, et qui n’a pas de compte à rendre. Ça a permis ensuite à d’autres collectifs d’émerger, comme les Kings d’Oré·e·s ou, plus récemment Dragadelphe.

Vendredi Treize : Ça fait plus de six ans que notre scène ouverte existe, et je crois qu’elle a fait des petits. Notre manière d’envisager le drag en mélangeant théâtre, illustration et performance plasticienne a inspiré plusieurs artistes strasbourgeois·es mais aussi plus largement du Grand Est. Je pense par exemple à la House of Detritus à Besançon et à la Queerdom à Metz, avec qui nous avons de grandes affinités artistiques. Je ne suis pas spécialiste du drag parisien, mais j’ai l’impression que notre manière de l’aborder est beaucoup plus émancipée, on s’accorde plus d’à-côté par rapport aux “règles de l’art”. On a pas de check-list de choses à faire ou à porter absolument pour avoir le droit de se dire drag artist. 

Mizkeen : Le drag strasbourgeois est très diversifié. Il y a de très anciennes House comme les Marley qui s’inscrivent dans la plus pure tradition drag queen ce qui nous permet de nous connecter avec l’histoire et les héritages de cet art. Avec la House Of Diamonds, à Strasbourg comme dans le reste de l’Est, d’autres collectifs plus weirdos ont émergé (la House of Detritus de Besançon, la Queerdom à Metz, Dragadelphe et les Kings d’Oré·e·s) et c’est vraiment incroyable de voir les ramifications entre tous ces collectifs. C’est un drag plus DIY, plus bruts et crafty, avec peu de moyens mais beaucoup d’ambitions. Beaucoup de pratiques artistiques se croisent ce qui donne des spectacles complexes, parfois étranges, mais tellement intéressants et émancipateurs. 

Le show de la House of Diamonds, ça se passe ce vendredi à la mécanique ondulatoire.