Aujourd’hui, je suis sortie de chez moi. En soi, c’est déjà pas une mince affaire, sortir de chez moi. À cause des médicaments que je prends, je galère clairement à me lever, à simplement sortir de mon lit. En plus, en ce moment, je change de traitement, la nuit, je ne dors pas, et quand par miracle je dors, je fais des cauchemars qui me réveillent, je panique, couverte de sueur. Mes nuits sont horribles, alors quand je dors, le matin, j’ai vraiment du mal à sortir du lit. Quand je le fais, c’est déjà une victoire. Ensuite vient le moment de s’habiller, depuis que j’ai commencé à prendre mon régulateur d’humeur, celui que je suis en train de changer d’ailleurs, j’ai pris du poids, j’enrage que ce soit un problème pour moi, mais le simple fait de choisir mes habits est une deuxième galère. Puis vient l’étape du maquillage, j’aime pas ma tête, je me sens mal. Parfois je panique un peu. En général, c’est le moment où je regrette d’avoir accepté de sortir de chez moi.
Aujourd’hui, je suis sortie de chez moi. Pour aller déjeuner avec ma copine, et parce que mon nouveau psychiatre m’a fait tout un speech sur le fait que c’est en vivant qu’on apprécie la vie. Donc il faut que je me balade, que je profite, que je sorte. Aujourd’hui, je suis sortie de chez moi, j’ai bravé tout ça. En soi, c’était déjà une putain de victoire sur cette putain de maladie qu’est la dépression.
Aujourd’hui, je suis sortie de chez moi. J’ai pris le métro, j’ai réussi à ne pas paniquer, et j’avais un changement à faire. Et là, un grand type, s’est mis en travers de mon chemin : « Pardon, Madame, juste un renseignement… » Je regarde autour de moi, je ne peux plus avancer, il est devant moi, sur ma route. Je l’écoute, peut-être que ce n’est rien. « Excusez-moi, mais vous êtes très jolie. Vous êtes mariée ? » Encore un, putain, encore un. Je bégaie un « oui », je regarde autour de moi, ce grand type me barre la route, tout le monde s’en fout que je commence à paniquer. Je bégaie un « oui » que je regretterai. Putain, pourquoi je ne me suis pas énervée, pourquoi j’ai pas dit que j’étais gouine, pourquoi j’ai commencé à paniquer ? Du coup, double peine, un type s’est mis en travers de ma route, m’a fait chier sur mon trajet, et je m’en veux de ma réaction. Je m’enfile un valium, vite fait, et je reprends ma route.
Ça fait trois fois que je sors de chez moi, trois fois que des relous se mettent en travers de mon chemin. Enfin, celui-ci était en travers, la dernière fois, le mec était plutôt derrière moi, puisqu’il m’a suivie jusqu’au bar où je fêtais mon anniversaire, en me balançant une phrase en français, l’autre en anglais, au cas où je serais une touriste, et que je comprendrais pas ses remarques bien lourdes sur mes big breasts. J’ai encore fini par faire une crise de panique et par gober un valium. Hier, c’étaient des mecs en voiture, qui m’interpelaient depuis leur bagnole alors que je rentrais en vélo, en larmes, de chez ma psy.
Comme si c’était pas déjà suffisamment dur de sortir de chez soi, comme si je galérais pas déjà assez. J’en viens à rêver de cocons comme dans The Good Place. L’idée vient de mon ami, Léon, j’attends toujours qu’il me fasse un gif extrait de cette série qui représente ce truc. Woop, dans le cocon, intouchable.
Mais, du coup, j’ai pas mal réfléchi à ce harcèlement de rue. Le harcèlement de rue, c’est l’ensemble des comportements, adressés principalement aux meufs, dans l’espace public, en les interpelant, verbalement ou non, et en envoyant des messages insistants, intimidants, irrespectueux, humiliants, menaçants ou insultants. C’est un truc que connaissent toutes les meufs. C’est un truc dont on a l’habitude, en somme.
La répétition de ces comportements-là crée un environnement hostile, la rue, les espaces publics deviennent un environnement hostile pour les meufs. Sauf que, et en écrivant ça, je me demande si des études ont déjà été faites là-dessus, c’est un peu la double peine, quand tu es dépressive et meuf, et que des relous viennent te faire chier dans la rue. On me dira, c’est une double peine, dès que, pour un raison ou une autre, l’espace public est déjà un environnement hostile pour quelqu’un·e.
Sauf que moi, je galère à sortir de chez moi, tous les jours, quelle que soit l’occasion, c’est déjà un enfer, en soi. Je flippe, dès que je prends les transports, parce que la proximité des gens m’angoisse. À ça, il faut rajouter tous ces comportements déplacés qui font de l’espace public un endroit hostile, dangereux. Et à ça, encore, il faut rajouter la haine de moi-même qui découle de mon absence de réaction, ou de de l’idée, pas forcément raisonnable d’ailleurs, que, militante féministe, je devrais réagir différemment, je devrais réagir tout court. Triple violence en somme.
Pourquoi je ne resterais pas dans mon lit, finalement, dans mon pyjama dans lequel je me sens bien ? Pourquoi je me force à sortir pour subir toute cette violence ? C’est terrible parce que le harcèlement a un impact direct sur la santé mentale des meufs, entraînant anxiété, troubles du sommeil, voire dépression. Mais si t’es déjà en dépression, si t’es déjà au bout du roul, et que tu te retrouves confrontée quotidiennement à ce genre de comportements, si ton psy te recommande de sortir et que c’est pour te faire harceler, tu fais comment ? Tu t’en sors comment ? C’est quoi, l’issue ? Tu prends des anxios et tu pleures en secret en espérant qu’on finisse par cramer ce putain de patriarcat.