T’es tranquillement dans ta voiture, il est à peine plus de 09h30, tu écoutes ta radio préférée, Monica Belluci en interview, quand soudain… extrait sonore d’Irréversible et gros malaise. T’aurais bien aimé qu’on te dise, attention, ça, ça peut potentiellement te remuer. Ça tombe bien, pour ça, et particulièrement sur internet, il existe deux lettres, TW, qui permettent d’avertir dans ce genre de situations.
Le mot anglais trigger signifie couramment “détente” ou “gâchette”. Il est souvent employé au sens de “déclencheur”, notamment dans les milieux militants. Un déclencheur, c’est un contenu qui va provoquer une réponse émotionnelle négative, ça peut-être de la peur, de la tristesse, de l’anxiété ou de l’angoisse ou tout autre symptôme physique associé à ces sentiments. Le mot vient du lexique médical où l’expression trauma trigger désigne les stimuli qui vont rappeler voire faire revivre le trauma à la personne concernée.
A priori, ce sont donc les personnes victimes d’un trauma qui sont susceptibles d’être affectées par un trigger, par un déclencheur.
Quels déclencheurs ?
Les milieux militants s’accordent en général sur certaines catégories de contenu qui nécessitent de prévenir les utilisateurs·trices : les descriptions et représentations de guerre, de violences, en particulier sexuelles, les contenus en lien avec la pornographie et/ou certaines pratiques sexuelles, l’évocation de troubles du comportement alimentaire, d’addictions, de dépression, les injures, etc. Il est communément reconnu que certains sujets peuvent provoquer des réactions violentes chez la personne qui pourrait y être confrontée.
En réalité, tout peut, potentiellement être un déclencheur, un parfum, une chanson, le goût d’un aliment etc.
Quelles solutions ?
Les trigger warnings, notés [TW], constituent des avertissements placés avant les contenus potentiellement déclenchants pour prévenir les utilisateurs·trices d’un média et empêcher d’éventuelles réactions émotionnelles négatives. La pratique du [TW] s’est développée dans les milieux militants féministes et plus généralement dans les safe spaces, virtuels ou non. Comme son nom l’indique le [TW] est un warning : un avertissement. Son rôle est d’annoncer, de prévenir, de faire en sorte que l’utilisateur·trice soit libre ou non de choisir de s’exposer ou non à un contenu. De fait, on peut tout à fait choisir de cliquer sur un lien, de lire un fil sur twitter malgré le contenu.
On remarquera, au passage, qu’au [TW] est parfois préféré le [CW], content warning, parce que le mot trigger lui-même, renvoyant à la gâchette et peut alors renvoyer aux armes à feu et à la guerre.
On en parle ?
C’est peut-être là que les choses se compliquent. Utiliser des avertissements de contenu, quelle que soit d’ailleurs la forme qu’ils prennent (trigger warning, content warning, note de contenu, dans ses versions francisées) a toujours pour avantage de laisser à l’utilisateur·trice la responsabilité de son bien-être, il·elle est capable d’évaluer son état psychologique et sa capacité à se confronter à tel ou tel discours potentiellement traumatisant. Les TW/CW ont également pour avantage d’éviter l’auto-censure, puisque j’annonce à mes lecteurs·trices les éléments problématiques en amont, je n’ai plus à veiller à nuancer mon propos, après tout, ils·elles étaient prévenu·e·s.
Deux choses alors : l’utilisation de TW/CW déresponsabilise celui ou celle qui écrit et transfère la responsabilité sur celui ou celle qui reçoit le message. Ça ne peut pas n’avoir que des effets positifs. Par ailleurs, employer ces avertissements de contenu, n’est-ce pas toujours maintenir l’autre dans son statut de potentielle victime incapable de surmonter les conséquences d’un vécu traumatique ? Si les trigger warnings ont un sens pour les personnes ayant vécu des expériences réellement traumatiques, leur utilisation excessive sur à peu près tout et n’importe quoi n’est-elle pas une forme d’irrespect envers ces mêmes personnes ? La prolifération de ces avertissements comme des incantations au “safe” au sein des milieux militants et engagés vire parfois à la blague, les renvoyant ainsi à leurs limites. Le théoricien trans Jack Halberstam, particulièrement radical sur la question, voit y même la marque d’un désir sécuritaire illusoire, d’une forme de confort néolibéral.
Difficile de trancher, même si, à en lire les réseaux sociaux, peut-être est-il plus que temps de faire la distinction entre ce qui relève d’un vécu traumatique et ce qui relève de sentiments négatifs, voire même du simple inconfort. Encore une fois, ce qui compte n’est-il pas avant tout d’instaurer des bases saines pour une communication la plus respectueuse possible ?