Octo Octa : « Je suis sortie du placard, évidemment que je me sens mieux. »

Maya Bouldry-Morrison aka Octo Octa

Où allons-nous ? C’est la question que pose la Dj et productrice américaine Octo Octa dans le titre de son nouvel album, Where are we Going? Une interrogation qui résonne particulièrement fort dans le contexte politique actuel, mais qui semble aussi faire écho au parcours plus personnel de l’artiste. Elle qui s’était faite connaître en 2011 (soit en plein revival house 90’s) avec Let Me See You, son EP joyeusement explosif sorti sur 100% Silk, puis avec son très housy Cause I Love You, a fait plus récemment parler d’elle pour une raison en apparence toute autre : en février 2016, à l’occasion d’un long portrait paru dans Resident Advisor, Maya Bouldry-Morrison faisait son coming out en tant que femme transgenre.

Grâce à Where are we Going?, sorti fin mars 2017, Octo Octa revient en musique sur sa propre histoire, se raconte à travers son art. Ce nouvel LP est accompagné de deux maxis, le premier reprenant 3 extraits de l’album et le second, qui devrait sortir cet été, contenant le morceau Adrift et deux remixes d’Avalon Emerson et de Dorisburg. Il y a quelques semaines, Maya était en tournée en Europe et faisait une escale en France sur invitation du collectif parisien Trou Aux Biches. On en a profité pour lui poser quelques questions sur la façon dont son vécu a influencé sa musique, sur son rapport aux clubs et à la communauté queer, et sur son expérience de femme trans dans une industrie qui reste, il faut le dire, massivement dominée par les hommes.

Cela fait un peu plus d’un an maintenant que l’article de Resident Advisor a été publié. Qu’est-ce qui a changé depuis ?

La chose la plus importante c’est que je suis bookée beaucoup plus désormais, ce qui est formidable, et une conséquence assez inattendue de l’article. Je galérais à produire de la musique et à jouer assez souvent, mais maintenant j’ai l’impression de jouer tout le temps, c’est génial. Par rapport à ma vie, cet article a aussi rendu le fait de tourner comme musicienne et personne trans beaucoup plus facile : je n’ai plus à venir aux soirées et à faire un coming out à chaque personne ou organisateur. Je n’ai aucune envie de me travestir en garçon pour voyager. Je vis ma vie sans me déguiser, ce qui peut donner lieu à des interactions assez merdiques avec les services de sécurité aérienne et autres douaniers mais qu’importe, c’est un petit prix à payer pour être heureuse.

Je n’ai aucune envie de me travestir en garçon pour voyager. Je vis ma vie sans me déguiser.

Votre précédent LP, Between Two Selves (2013), a souvent été décrit comme un message codé par rapport à votre identité. Where are we going?, sorti il y a quelques semaines, est une référence plus directe à votre transition. C’était important d’aborder ce sujet plus ouvertement à travers votre musique ?

C’était essentiel pour moi d’aborder ma transition avec ce nouvel album. J’aime beaucoup les albums parce qu’ils vous donnent une chance de construire un récit. Ceux qui ne sont qu’un assemblage de morceaux ne me paraissent jamais très stables, j’aime qu’ils essayent de dire quelque chose. Between Two Selves est un album où j’avais envie d’être out, et j’en ai d’ailleurs presque fait un récit de coming out, mais le moment n’était pas le bon, j’étais trop inquiète à l’époque. C’est pourquoi l’album est lourdement codé.

Where Are We Going? c’est moi qui essaye d’inclure ma vie actuelle et d’en faire un message trans plus manifeste. J’essaye d’y parvenir grâce aux expériences émotionnelles qui façonnent la plupart des morceaux mais aussi par les titres et la pochette. Ce n’est pas évident de communiquer ce genre de sentiments et d’idées à travers de la musique majoritairement instrumentale, mais j’espère qu’une partie transparaît quand même.

Je pense que l’exemple le plus explicite, au-delà même du titre “No More Pain (Promises To a Younger Self)” [en Français : “Plus de douleur (promesses à une moi plus jeune)”, ndlr], est le morceau “Where Are We Going Part 2”, où je me suis enregistrée en train de répéter “Do you feel better?” encore et encore. C’est une question que me posaient en permanence mes amis et ma famille après mon coming out et bien que celle-ci soit bien intentionnée, j’ai toujours eu le sentiment que cette question aurait dû amener une réponse d’elle-même. Je suis sortie du placard, évidemment que je me sens mieux. C’était très douloureux pour moi d’être dans le placard pendant quatre ans.

Avez-vous parfois peur cela change la façon dont votre musique est reçue – particulièrement dans un milieu qui se revendique tolérant et ouvert mais qui reste nettement dominé par les hommes ?

Je ne sais pas si ça m’inquiète. Je sais que mon travail sera reçu différemment maintenant, mais j’ai sorti des disques des années avant mon coming out et il y avait déjà ces problèmes bizarres avec la façon dont ma musique était perçue (je pense ici à toutes les discussions sur la “outsider house” d’il y a cinq ans). Je ne peux rien faire par rapport à la façon dont le monde me percevra désormais. Je pourrais produire sous un autre nom et rester anonyme mais je ne sais pas ce que ça accomplira : je ne crois pas qu’il faille “laisser la musique parler d’elle-même” parce que je pense qu’il n’y a aucun moyen de séparer la musique de l’artiste.

Je suis fatiguée de voir des programmations majoritairement masculines.

Sur la question de la représentation dans les clubs, ça me dérange énormément. Je suis fatiguée de voir des programmations majoritairement masculines et même si j’apprécie d’être incluse dans des line-ups pour ajouter un peu de diversité, y insérer une femme trans ne résoudra pas les problèmes de diversité d’un club. Récemment, j’ai vu une pub pour un festival et me souviens avoir pensé “cette prog est super masculine !”. Une semaine plus tard, mon agent a reçu une invit’ de la part du festival pour que j’y joue et j’ai choisi un autre évènement à la place. Je savais que je ne me serais pas sentie à ma place.

Pour les personnes queers, le clubbing a souvent été (et est toujours) vu comme une sorte de refuge. J’ai lu quelque part que vous vous preniez plus de plaisir à être DJ maintenant qu’avant. Comment décririez-vous votre relation aux clubs et au public ?

Bien, alors je parle souvent d’évoluer dans le monde à travers deux espaces, public et privé. Si les clubs sont, d’une certaine façon, des espaces publics, il y a toujours un point d’entrée et potentiellement un coût, et je les considère donc plutôt comme des espaces privés. Dans la vie de tous les jours, je me sens très bien dans les espaces privés. Quand je suis avec des proches ou dans un club, je sens que je peux être moi-même sans surveillance. Je n’ai pas à analyser constamment chaque situation et à comprendre comment naviguer dans cet espace. Du coup, je considère la plupart des clubs comme un refuge (mais pas tous, et d’ailleurs l’audience peut dramatiquement changer un club en un espace qui n’a plus rien d’un refuge).

Parce que je peux être moi-même dans les espaces privés sans avoir à rester vigilante en permanence, ça m’a rendue plus à l’aise comme DJ parce que je peux m’exprimer, danser, chanter, avoir l’air mimi, tu vois ? L’espace public, c’est tout autre chose. Même si ça fait deux ans que j’ai fait mon coming out, j’apprends toujours comment interagir avec le monde dans les différents espaces publics. Je m’y déplace quand même et essaye d’y être moi-même mais ça implique beaucoup plus de harcèlement.

Vous avez été récemment en contact avec la musicienne et théoricienne trans Terre Thaemlitz (a.k.a. DJ Sprinkles). Que signifie cette rencontre pour vous ?

Cette rencontre veut dire beaucoup pour moi qui suis une immense fan de Terre J’ai l’impression de parler d’elle un peu trop souvent mais c’est dur de ne pas le faire parce que j’aime énormément sa musique. Ceci étant dit, nous sommes des personnes très différentes dans le sens où je suis plutôt une humaniste et elle une nihiliste, mais j’apprécie toujours de lire son travail et d’écouter ses conférences. Je ne suis pas souvent d’accord, mais je pense que c’est important d’entendre les opinions et expériences d’autres personnes. On a été en contact pour la première fois il y a quelques années quand je commandais des disques, et me suis rendu compte qu’elle avait fait une version longue d’un morceau que j’avais sorti sur cassette. C’était assez incroyable de découvrir que genre, de façon spontanée, une de vos idoles connaît votre musique et a pris de son temps pour rallonger un de vos morceaux !

Ca a été une putain de profonde expérience d’être maintenant dans des espaces où je peux me dire “ça, c’est ma communauté”.

D’une façon plus générale, c’est important pour vous de vous rapprocher de la communauté queer ?

Par rapport à la communauté queer, je suis extrêmement heureuse de tous les gens que j’ai rencontré, avec qui ou pour qui j’ai joué. Ca a été une putain de profonde expérience d’être maintenant dans des espaces où je peux me dire “ça, c’est ma communauté”. Je n’étais pas out en tant que queer une grande partie de ma vie jusqu’à récemment (même si j’ai compris que j’étais pansexuelle à 15 ans). Donc je n’étais pas investie dans la communauté queer du tout parce que ma partenaire et moi étions lues comme un couple hétéro et cisgenre pour la plupart de notre vie, et qu’on a eu des expériences bizarres à l’université en essayant de nous mêler à la communauté queer de notre fac. Maintenant, tout va beaucoup mieux.

 

 

OCTA OCTA SERA AU PEACOCK SOCIETY

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