Dans Devenir Lionne, l’écrivaine, Wendy Delorme, s’intéresse à la figure de la lionne dans un livre à la fois poétique et érudit où l’animale devient symbole d’une puissance féminine retrouvée.
« Pourtant, de toutes les animales, quitte à en choisir une, je serais la lionne – la seule fauve qui vit en clan avec ses sœurs. […] Les fauves sont faits pour voir de loin, sur de grandes étendues. Enfermée l’animale devient quasi-aveugle au fil des années, développe des troubles anxieux. Je crois que si j’écris depuis plus de vingt ans chaque jour dans un cahier, c’est pour mieux écarter les barreaux de la cage et prendre du recul sur ce qui me contient, m’amenuise, m’équarrit. J’écris pour retrouver la ligne d’horizon. J’ai envie aujourd’hui d’écrire sur la lionne. »
Devenir Lionne s’ouvre sur la longue liste d’épithètes animales dont on qualifie les femmes et qui renvoient toutes à la domination exercée par le mâle sur « les assignées-femmes ». L’autrice veut prendre cette habitude à rebours et se rapprocher, dans sa libération, de la lionne. S’ensuit un bref texte aux contours génériques flous entre essai et roman sur la lionne et ce qui chez cette animale peut évoquer la condition de femme de l’écrivaine.
Sous le matronnage d’Itziar Ziga et de Monique Wittig, l’écriture se déroule selon deux temporalités et deux modalités : d’une part un essai sur la lionne d’autre part un récit autobiographique sur l’emprise et la domination. Parce qu’on y apprend beaucoup, dans cet ouvrage, sur l’animale mais aussi sur la nature des relations interpersonnelles.
« La lionne, pas le lion. »
Au début de la narration, on est dans les années 2000 à Berlin et le récit tisse un parallèle saisissant entre une lionne enfermée de Tiergarten qu’observe la narratrice et sa propre histoire d’enfermement dans une relation amoureuse toxique. Et les longs paragraphes d’histoire naturelle permettent de voir dans cette identification à l’animale la volonté de s’extraire de la prison de la relation et de l’emprise.
Devenir Lionne est le récit d’une émancipation. À l’inverse de la lionne en cage, la narratrice finira par partir et revenir en France où elle rencontrera un·e autre partenaire dont le genre, d’ailleurs, reste inconnu des lecteurs·trices mais avec lequel·laquelle l’autrice construira une relation bien plus saine bien qu’hantée dans son début par l’histoire de la lionne enfermée et de son dompteur. L’autrice pose la question : « Est-ce cela, devenir lionne ? Se jeter vers l’autre malgré la peur que se répète l’histoire et qu’elle ne se répète pas ? » Car le devenir lionne est une métaphore du rapport à l’autre comme à soi, c’est savoir s’appartenir sans appartenir à quelqu’un·e d’autre. Il y a quelque chose d’une urgence dans ce récit qui se laisse dévorer comme la lionne enfermée ronge ses pattes d’ennui. Devenir lionne est un livre qui prend aux tripes. À lire absolument.
Wendy Delorme, Devenir Lionne, JCLattès, coll. Bestial, janvier 2023