Du militantisme dans le drag

            « Le drag c’est politique » : vous l’avez probablement lue et entendue cette phrase souvent prononcée pour démontrer un héritage de la lutte LGBTQIA+. La raison invoquée est l’exposition à la violence physique et verbale de notre performance de genre.

Mais si la drag-queen dérange, c’est par la représentation d’une féminité célébrée par l’intelligence de la performeuse qui se moque ouvertement des normes féminines de l’hyper maquillage, de l’hypersexualité, en créant, par exemple, des personnages comme des boss, des femmes séductrices profitant de la stupidité de l’homme, etc..

Si le drag-king dérange c’est par la représentation d’une virilité toxique souvent hébétée, machiste ou alors parce que l’on développe de nouvelles masculinités non-conformes aux attentes sociales qui permettent de repenser le genre masculin. Soit en créant des personnages masculins très machistes pour en montrer le ridicule, soit en célébrant des masculinités non-conformes comme celle des homosexuels et trans.

Si le drag-queer dérange c’est par une représentation du fait que la norme physique, ou de genre, peut être dépassée vers une libération du genre, des individus, et des normes de beauté en créant des monstres avec lesquels s’identifier comme le cinéma le fait déjà.

Le drag est politique par son questionnement des rôles sociaux affectés à la binarité du genre, elle-même déjà bien dépassée. Le drag est politique car il questionne intimement l’assignation au genre et à ses codes que l’on veut ou pas pour soi. Le drag est politique parce qu’il confronte le regard de l’autre à l’ultra caricature du code genré, et qu’il provoque de la violence chez l’autre par sa simple vision. Résumer que le drag est politique parce que l’on met nos corps en danger physique et moral, c’est oublier toute la symbolique, et toute la construction du discours derrière.

Émily Tante à la soirée Kiki Pride 2022 – photo © Anthony Retournard

« T’es qu’un.e drag à Pancartes »

Définition du drag à pancartes par une drag à pancartes (moi) :  le drag à pancartes est une expression utilisée lorsqu’un.e drag utilise une pancarte comme support politique dans sa performance afin d’expliciter un propos politique. L’expression est aussi utlisée à des moments où la performance est déjà explicitement politique par le choix de la chanson mais que l’on rajoute des éléments extraits de discussion/émission/commentaire politique pour appuyer le discours.

            Le drag à pancartes a été critiqué et parfois moqué car il serait simpliste et ne permettrait pas aux spectateurs.trices de se créer leur propre idée de la performance. Il est vrai qu’une grosse partie de la pratique du drag est réalisée dans les lieux communautaires où nous pouvons clamer haut et fort notre discours encore minoritaire dans les médias mainstream. Les personnes qui les fréquentent sont souvent déjà éduquées sur les questions des discriminations raciste, sexiste, lgbtqiphobe, validiste, grossophobe, etc. Ces performances permettent de remettre les points sur les i et les barres sur les t. Mais aussi de montrer à l’ensemble du public, qu’ielles ne sont pas seul.e.s à penser cela, que c’est une pensée partagée.

Ces performances « à pancartes » ont souvent un lien avec l’actualité du pays. Cet exercice d’extériorisation est à la fois politique et intime. Il permet à la performeuse ou au performeur de mettre en évidence la douleur, la colère, l’injustice et les autres sentiments que l’actualité lui provoque. Exercice politique parce que ce discours se déroule devant une audience permettant ainsi de la transmission de l’information ou de la libération catharsis de l’audience. Lae performer.euse crée et diffuse ainsi un contre discours rarement audible dans les médias dominants et c’est un processus de militance et politique nécessaire pour créer une vague d’information ou de prise de conscience et donc fédérer un mouvement. Ces performances de drags à pancartes sont souvent utilisées lors d’événement de soutien, ou caritatif avec une volonté pour le ou la drag de s’engager pour une cause ou de la soutenir.

Émily Tante – photo © Cécile Desailly

Le Drag, une plateforme de ressource financière pour soutenir notre communauté 

            Par son aspect spectaculaire, et très théâtral, le drag permet d’attirer l’œil et le spectateur. Le drag doit et peut être utilisé comme plateforme de soutien à la communauté. Une personne pratiquant le drag lors d’un événement a souvent le micro et a donc la possibilité de s’exprimer sur des problématiques communautaires. Mais elle peut aussi créer un événement caritatif pour remplir les caisses d’un collectif ou d’une association qui œuvre pour le bien commun de la communauté. C’est le cas du bingo de à la folie où Minima Gesté invite une fois par mois une association pour collecter des fonds et informer sur son action. La Bel.le et Rebel.le de Maison Chéri.e a le même but, par exemple.

Ces deux actions fonctionnent sur des modèles identiques : le prix libre et la mise en avant d’informations, et faire connaître un collectif pour créer du mouvement bénévole ou de soutien.  Nous le savons, les associations et les collectifs ont besoin de moyens pour fonctionner et réaliser des actions très concrètes comme l’accompagnement administratif des migrant.es, l’aide financière aux personnes trans, la réduction des risques et la prévention pour l’ensemble de la communauté, la défense des personnes TDS, etc… L’avantage du drag c’est son côté spectacle, son côté théâtral découlant d’une histoire communautaire. Le drag permet ainsi d’apporter du soutien à une action associative forte en créant du lien social et du lien entre le public et les associations. Comme le dit Act’Up Paris depuis les années 90, Information = Pouvoir et Action= Vie.

 Prendre position 

            Nos vies sont continuellement sujettes à des discussions et des controverses. Il suffit de prendre l’exemple du documentaire Trans, uniques en leur genre sur M6, et le débat nauséabond de Quelle Époque sur France 2 entre Dora Moutot aux positions transphobes et Marie Cau, première maire transgenre (cœur sur elle). Les drags doivent et prennent position. On peut d’ailleurs remercier chaleureusement La Briochée de parler et d’agir, de pointer du doigt sans relâche la transphobie des médias. Prendre position, c’est créer des résistances qui démontrent que nous sommes des personnages publics. Même si ce sont souvent des queens qui prennent la parole, les kings ne sont pas en reste : Thomas Occhio a pris la parole sur Brut, par exemple.  Par ces prises de position publiques, nous créons de la visibilité et de la parole politique qui émerge de l’ensemble des performer.euse.s drags. Prendre position c’est aussi permettre une ligne de défense pour notre communauté qui n’a pas voix au chapitre ou très peu. Cette forme de militantisme un peu plus institutionnel est nécessaire, mais encore grandement nouvelle. Utilisez votre art comme un mégaphone est nécessaire. Merci à elleux de le faire malgré la violence.

            Des associations ont besoin de nos signatures et de nos voix, de nos réseaux pour continuer à relayer leur message. En tant que drag nous devons faire ce e-militantisme. Ce militantisme d’internet qui permet de développer nos idées et de faire émerger les problématiques. Nous devons prendre notre part de responsabilité et faire de ce militantisme une voie possible dans la lutte contre les discriminations et dans les contre-discours.

Mais prendre la parole ne suffit pas ou ne suffit plus. Il ne faut pas tomber dans une posture de militance et de lutte insincère. Parler de politique ou de lutte militante ne fait pas de nous ou de vous des drags militant.es et politiques. Certaines et certains utilisent le politique pour faire des hot take, être repris par les journalistes et valorisé.es par elleux ou un juré, ou des téléspectateur.ice.s. En tant qu’acteur.trice de la communauté, nous voyons les discours et les grands moments journalistiques mais nous voyons pas ou peu les personnes s’investir et investir leurs corps dans les luttes. Il ne suffit pas de penser, il faut agir. Cette militance performative est utilisée pour gagner en notoriété et en validation. Nous avons besoin de prise de parole, mais encore plus d’actes et de mise en mouvement.

Emily Tante, Enza Fragola et Minima Gesté – Photocall pour le Sidragtion 2020 par Ambroise King

Passer des actions communautaires à l’espace public

            Si les actions internes à nos communautés ou la communication externe sont importantes, il est essentiel d’agir concrètement. Et il existe des drags et des collectifs qui se mettent en action pour faire avancer la lutte. Le collectif lyonnais des « Dragonnes » faisait des Drags Attack. Elles arrivent dans des lieux non-communautaires et démontrent leurs existences. Elles confrontent le monde hétéronormé à l’hors-norme. Le Sidragtion réalise la même chose pour collecter des fonds chaque année pour le Sidaction. Ces performeur.euses. se mettent en scène dans l’espace public pour récupérer la rue et montrer qu’ielles existent. C’est ce passage que j’aimerais voir de plus en plus. J’aimerais profondément voir des drags aller en manif (moi comprise), commencer à faire de nouvelles démonstrations politiques par nos présences et en se liant à des questions sociales comme l’écologie, la justice sociale, la question des salaires etc. Nous sommes visibles et reconnaissables, nous intriguons. Alors pourquoi ne pas rejoindre le Pink Bloc et faire la révolution à coups de postiches moustaches et de perruques. Réaliser une nouvelle action politique du drag pour qu’au fond nous puissions ajouter des paillettes et de la joie dans les luttes.

La prochaine soirée Bel.le et Rebel.le aura lieu le 17 novembre prochain au profit de la Maison Chéri.e