À Dijon, le festival Golden Coast 2025 a consacré une génération de rappeuses qui redessinent les codes du genre. On retiendra les performances bluffantes de Théodora, Théa, Juste Shani et Le Juiice d’une intensité rare, face à un public en majorité féminin. Juste Shani le revendique dans son dernier morceau « FOMO » : « J′veux être cette meuf au top, pas juste une fille lambda », les artistes féminines qu’on a vues sur scène sont clairement au top. Et à travers elles, le rap français affirme sa pluralité et s’affranchit peu à peu de son héritage viriliste.

Samedi : Théodora et Théa, la génération du trouble
La soirée du samedi a donné le ton. D’abord avec Théodora, figure déjà incontournable de la nouvelle scène rap. À seulement vingt-quatre ans, elle a fait salle comble dans plusieurs Zéniths avant de lancer MEGA BBL, un projet aussi ambitieux que polymorphe. Née en Suisse, ayant grandi entre la Grèce, le Congo, La Réunion, la Bretagne et la banlieue parisienne, elle compose avec son frère et producteur Jeez Suave un univers sans frontières, où le rap, la pop, l’afro et l’électronique se télescopent.
Théodora s’est imposée comme une autrice de l’intime et du politique. Elle parle de santé mentale, de violence, d’amour abîmé, avec un mélange de franchise et de mise en scène qui rappelle les grandes performeuses. Son hit KONGOLESE SOUS BBL, certifié diamant, a confirmé son ascension. À Dijon, elle a livré un set incandescent, porté par émotion à vif. Sa voix, parfois presque cassée, parfois triomphante, a suspendu le temps.

Théa a tout explosé par son énergie tout aussi singulière. Moins installée médiatiquement, mais déjà très attendue, la jeune rappeuse s’impose par une écriture fine et une musicalité instinctive. Son flow nerveux évoque autant la fragilité d’une confession que la colère rentrée d’une génération qui refuse d’être assignée. Issue d’un environnement populaire qu’elle évoque sans folklore, Théa parle d’amitiés qui se perdent, de loyautés cabossées, de désirs contrariés. Sur la scène dijonnaise, elle a conquis le public sans effets, simplement par la justesse de sa présence.
Dimanche : Juste Shani et Le Juiice, affirmation et autorité
Le dimanche, la scène a pris des allures de manifeste. Le Juiice a livré un show dense, entre égotrip assumé et introspection fine, confirmant qu’elle a dépassé le simple statut de rappeuse féminine pour devenir l’une des têtes d’affiche du rap français tout court.Figure incontournable du rap féminin en France, elle s’est imposée en quelques années comme une cheffe de file. La trap mama a bâti un univers où indépendance et ambition vont de pair. Autrice, productrice, businesswoman, elle s’est imposée par un son identifiable et une stratégie maîtrisée. Sur scène, Le Juiice impose un équilibre singulier : une assurance totale sans besoin de surjouer la force. Son flow précis, sa diction acérée et sa présence scénique contrôlée font d’elle une artiste de puissance tranquille.
Juste Shani que nous avons eu la chance de rencontrée a elle-aussi su imposer son style entre élégance et aplomb. Elle incarne cette synthèse rare entre classe et intensité. Dans ses textes, elle mêle noblesse du verbe et impertinence générationnelle, revendiquant un féminisme concret, loin des slogans.
Lauréate du dispositif Rappeuses en Liberté 2022, gagnante de la tournée Radar et finaliste Buzz Booster 2021, Juste Shani s’est déjà imposée sur scène aux côtés des grands noms : première partie d’IAM à l’Olympia, présence remarquée aux Solidays et au Lollapalooza, succès de ses différents projets… Mais à Dijon, elle a offert une performance sobre, précise, habitée. Pas d’esbroufe, mais une présence rare, un charisme construit sur la maîtrise.
Une scène en pleine mue
De Théodora à Théa, de Juste Shani à Le Juiice, une même ligne se dessine : celle d’un rap qui s’éloigne du mythe viriliste pour affirmer d’autres formes de force. Ces artistes ne cherchent pas à faire comme les hommes, mais à créer un langage propre, sensible, exigeant, traversé par le vécu et la pluralité.

Le public du Golden Coast, légèrement en majorité féminin, confirme ce basculement. On ne vient plus pour s’identifier à une figure d’autorité, mais pour vivre une expérience commune. Le rap devient un lieu d’écoute et de partage, un espace politique au sens plein : celui où s’inventent d’autres représentations possibles de la puissance.
La fin du mythe viriliste ?
Le Golden Coast 2025 aura sans doute marqué une étape dans la déconstruction du mythe viriliste du hip-hop. Ce n’est plus seulement un genre musical : c’est un champ de bataille symbolique, où les codes se déplacent et se renversent. Les artistes vues à Dijon ne sont pas une niche ou une tendance, mais la traduction d’un changement profond. Leur présence n’est plus une exception, c’est un signe des temps. Et cette fois, le micro ne repassera pas de l’autre côté.