Le nouvel album de Grand Blanc, Halo, sortira le 28 avril prochain. C’est un projet très soigné et plein de magie pour lequel le groupe a monté son propre label PARAGES. L’album, enregistré dans une maison à l’orée de la forêt picarde, est porté par l’histoire de quatre personnages dans un monde dystopique sans couleur et qui se lancent dans une quête pour la retrouver. Pour célébrer ce grand retour de Grand Blanc, nous avons discuté avec Camille et Benoît. Rencontre.
Est-ce que vous pouvez revenir sur votre parcours depuis votre album Image au mur ?
Benoît : Il s’est passé plein de choses depuis la sortie d’Image au mur. On a déjà pris le temps de réfléchir à ce qu’on voulait faire après. Ensuite on s’est dit qu’on allait refaire un album, on a monté un studio dans une petite maison près d’une forêt à 150 kilomètres de Paris. On s’est mis dans le studio et on a commencé à faire un disque qui est devenu « Halo » et qu’on a mis deux ans à faire en habitant un peu en coloc de façon très immersive. On s’est rendu compte qu’on voulait faire les choses différemment, on avait envie de pouvoir soutenir le disque comme on le voulait et résultat on a monté notre propre label qui s’appelle PARAGES et on est devenu « indie » [rires].
Vous vous êtes isolé·es dans la maison de Vincent à la lisière de la forêt pour écrire ce nouvel album. Est-ce que vous pouvez nous raconter un peu ?
Camille : Ça s’est fait un petit peu naturellement. Au début, on était venu·es faire des sessions d’enregistrement comme on l’a fait à chaque album depuis presque les débuts de Grand Blanc. Au départ on faisait des allers-retours entre cette maison et Paris puis on s’y est installé·es et c’est comme ça qu’on a commencé à vivre ensemble. On ne faisait pas que de la musique ensemble, on vivait notre vie de tous les jours. Mais dans cette maison, il y a un studio dans le grenier avec un velux et c’était un espace à notre disposition, ouvert toute la journée pour qu’on puisse avancer les morceaux ou juste passer du temps seul ou ensemble.
Benoît : Le mix et le mastering, on l’a fait avec Adrien Pallot à Paris mais on a voulu faire le disque nous-mêmes et le sortir sur notre propre label. Quand c’est devenu évident qu’on allait faire le disque quasiment tous seuls jusqu’au bout, on a compris qu’il n’y aurait pas d’enregistrement à Paris, que ça allait être de l’autoprod…
Camille : Ça faisait sens pour nous comme ça dans la création du disque. En général, on arrive avec des maquettes en studio et on remplace les pistes des maquettes par des choses mieux enregistrées en studio. Pour Halo, ça ne s’est pas du tout passé comme ça. On a tout fait « en même temps » : les prises qu’on enregistrait, c’était des prises définitives peu importe la manière dont elles étaient enregistrées. On a compris que ça avait un intérêt artistique qui servait notre propos parce que le studio était un endroit poreux avec l’extérieur et que les bruits de dehors entraient dans les micros, la pluie, les oiseaux, le clocher à côté de la maison… Tout ça a commencé à prendre sa place dans les prises enregistrées et à dialoguer avec les prises qui ne nécessitaient pas de micros comme les guitares électriques ou les enregistrements de synthétiseurs. Tout ça a créé une sortie de mélange qui nous intéressait beaucoup. C’est là qu’on s’est dit que notre studio définitif pour cet album ça allait être celui-ci.
Benoît : Il avait ses défauts, notamment celui d’être un peu trop vivant au niveau des sons mais c’était intéressant. Il y a des gens qui aiment bien se mettre des contraintes pour créer, là c’était à la fois un atout, une contrainte et un projet de faire la place à ce bruit.
Est-ce que vous pouvez nous parler du titre de ce nouvel album ?
Benoît : Comme ça a été un album assez long à faire, dans les longs projets comme ça, les idées peuvent varier, t’es plus la même personne au début qu’à la fin. Un disque c’est plein de morceaux additionnés et ça peut être difficile de garder le sens. Il y a eu des moments où on s’est demandé si on savait encore ce qu’on était en train de raconter et on s’est mis à inventer une histoire, un peu comme sur un concept-album. On passait beaucoup de temps à regarder le paysage, notamment avec ce velux au-dessus de l’ordi sur lequel on faisait nos prods et nos enregistrements et il y avait toujours ce truc de la lumière qui variait. Et on a inventé cette histoire de quatre personnages qui sont dans un monde où la couleur a disparu et qui se mettent en quête d’aller la retrouver. Ils partent dans ce monde un peu vaporeux, brumeux pour essayer de retrouver la couleur et le sens. Cette histoire, c’est devenu un peu l’imaginaire du disque. Et « halo », c’est un mot qui parle de la lumière et de la couleur, qui parle de ce qu’on a vu vraiment, de ce qu’on s’est imaginé. C’est un mot qui sonne. Dans notre petite histoire qu’on sortira peut-être vraiment, on s’était dit que c’était une lueur qui guidait les personnages. Dans les contes et les histoires fantastiques, il y a toujours des personnages d’adjuvants : le halo dans notre imaginaire, c’est une espèce d’être lumineux qui guide quatre personnes en recherche de couleur.
J’ai lu qu’Halo est un disque de folk numérique. Qu’est-ce que ça veut dire ?
Camille : Ça ne veut rien dire ! [rires] Dans cet album, il y a des versions acoustiques, des chansons qui peuvent se chanter juste avec une guitare ou une harpe mais à côté de ça, on travaille beaucoup avec des ordinateurs et des synthétiseurs et on crée une matière numérique. Les chansons fonctionnent même si le minimum qu’il te reste, c’est ta guitare et rien d’autre. Notre but, c’était de partir de cette base très organique et très acoustique et de la situer dans quelque chose d’accidenté et de numérique.
Benoît : Pour cet album, on a commencé à écrire une chanson qui nous ouvrait la porte sur un morceau, puis un autre. Et le côté numérique et très produit de ces pistes acoustiques, c’était aussi une façon de donner du sens en attendant que les morceaux se finissent et en allant de l’un à l’autre. On a un peu poli le disque avec les ordinateurs.
Camille : Grand Blanc, ça a commencé parce qu’on s’est mis devant un ordinateur et on s’est rendu compte qu’on pouvait jouer avec ça. C’était une découverte importante pour nous et c’était extrêmement ludique. Et ce qui donne du sens et l’identité de notre musique, c’est de nous émerveiller des accidents. Dans Halo, il y a des chansons que tu peux jouer quand tu te réveilles sur ton canapé le matin quand tu vis avec tes copains mais on a aussi voulu voir ce que ça faisait de prendre des enregistrements d’un enregistreur et de les passer dans des sampleurs granulaires. À chaque fois qu’on commence un nouvel album, à chaque fois qu’on réfléchit à de nouveaux morceaux, c’est des moments où on accueille de nouveaux outils. Un nouveau joujou, un nouvel album ! [rires] Là, je me suis remise à jouer de la harpe.
Benoît : Et on a découvert la synthèse granulaire ! C’est une machine qui est trop belle car elle te permet de partir d’une chanson voix-harpe et de dégrader la texture, de zoomer dedans. Le spectre de prise devient une sorte de profondeur d’arrangements.
Camille : L’aspect numérique de cet album sert une idée, celle de dérégler le réel et de pousser les sons pour les rendre étranges. Ce n’était pas extrêmement conscient mais au fur et à mesure on s’est rendu compte de cette idée que si tu regardes un truc assez longtemps tu vas te rendre compte d’un truc qui tourne pas rond.
« Pilule Bleue » est l’histoire d’un souvenir… Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?
Camille : Il y a beaucoup de morceaux de Grand Blanc qui partent de faits réels qui sont passés dans cette machine à illusion mais il y a souvent un point de départ assez réel et c’est le cas de « Pilule Bleue ». Là, le point de départ, c’est une fête à Marseille où on est allé·es avec Ben. C’était incroyable, c’était en été, il faisait très très chaud.
Benoît : C’était avant de se mettre à travailler sérieusement sur Halo. Des amis nous ont parlé de cette fête à Marseille et on y est allé·es. C’était une soirée cool dans une friche comme il y en a beaucoup autour de Marseille, dans un lieu industriel. Et cette soirée était trop belle. Des fêtes, tu peux en faire plein sans qu’il n’y ait cette magie. Là, il y avait cette magie, tout était parfait. C’est une soirée qui a duré jusqu’à tard, et à un moment ça ferme toujours les fêtes. Mais il y avait une petite cour intérieure avec un figuier où les organisateurs du lieu ont décidé de faire une sorte d’after. Il y a eu un lever de soleil, la musique était incroyable, tout était trop beau. C’était un moment très heureux, très insouciant et suspendu. On voulait vraiment écrire une chanson sur cette fête. Ce qui est drôle, c’est qu’effectivement, c’est l’histoire d’un souvenir sur lequel le temps est passé. Les souvenirs se dérobent un peu. Au final, le propos de la chanson, ce n’était plus de parler de cette fête mais plutôt de garder le feu de ce souvenir. Le morceau ne parle pas juste d’un événement mais de l’importance que ça a de faire un effort pour se souvenir.
Parlez-nous du clip de Pilule Bleue réalisé par Jules Cassignol…
Camille : C’est un clip qui fait partie d’une future trilogie. Jules est un très très bon ami à nous et c’est quelqu’un dont on admire le travail et en qui on a confiance. Et lui suit la création de l’album depuis le début, il a écouté les premières maquettes
Benoît : Alors qu’on n’a pas fait écouté à grand monde ! Mais on a parlé de cette histoire de quête de la couleur et du sens, il nous a fait des retours, on en a parlé avec lui, c’était la personne la mieux placée pour réaliser les clips.
Camille : On lui a raconté notre histoire et cette trilogie à venir, c’est sa vision de l’histoire qu’on se raconte derrière Halo. C’est en même temps la vision d’un ami, du coup, c’est hyper touchant. Dans « Pilule Bleue » je suis toute seule avec Zoomie, un robot-studio qui peut enregistrer le réel et c’est mon seul ami sur terre parce que j’ai perdu tous mes amis.
Benoît : Mais peut-être que tu vas les retrouver dans le deuxième ou le troisième clip, qui sait !
Camille : On avait pas mal parlé de dystopie avec Jules parce qu’on lit beaucoup de science-fiction et de fantaisie, on lit presque que ça depuis quatre ou cinq ans et cet aspect de dystopie est très important dans Halo et on voulait que ça se voit dans les clips. On en revient à cette idée de dérèglement du réel.
Benoît : Hormis ce robot futuriste, la manière dont Jules a travaillé sur ce clip est assez naturelle, voire naturaliste. C’était intéressant de voir ce qu’il allait tirer comme image. Avec tout ce qu’on lui avait raconté, il aurait pu faire quelque chose complètement dans l’imaginaire et le fantasme et en fait il y a un petit peu de dystopie et de science-fiction. Mais il y a 80% de réel et 10% de dérèglement…
Dans ce morceau, la harpe est très présente. De nouveaux instruments sont présents dans ce nouvel album…
Camille : J’ai recommencé la harpe il y a trois ans, donc au tout début de l’écriture de Halo. Je m’était rendue compte que j’avais joué de la harpe pendant la moitié de ma vie et que j’en n’avais pas joué pendant l’autre moitié. Et je me suis dit que ça allait peut-être devenir un regret et j’ai fini par avoir une harpe. Et je m’y suis remise. Comme j’en ai fait de mes 5 ans à mes 18 ans, c’était un vrai plaisir de reprendre. Comme j’ai commencé très tôt, je savais encore en jouer sauf que je n’avais absolument plus mon niveau d’avant, ce qui m’arrangeait parce que depuis j’ai fait du chemin en musique et j’ai arrêté de faire de la musique en lisant des partitions. J’étais trop contente parce que la harpe a pris la même place qu’un synthétiseur ou d’un instrument dont je sais pas très bien jouer et ça m’a permis de composer des morceaux. J’ai pas du tout travaillé mes gammes, j’ai juste composé. La venue de la harpe là-dedans, c’était un rêve que j’avais depuis longtemps et je suis heureuse.
Vous parliez du fait que vous aviez monté votre propre label. Quels sont vos projets avec ce label et pour la suite ?
Benoît : Pour l’instant, le projet c’est de sortir notre album et le faire bien. Pour l’instant on se concentre sur Halo.
Camille : Quand on va recevoir notre carton de vinyles, ça va être vraiment un accomplissement. Ce disque, on a tout fait de A à Z et c’est un accomplissement incroyable. Pour le label, on ne l’a pas fait pour faire la direction artistique d’autres artistes. Je n’aime pas trop l’idée de dire que je vais avoir une quelconque responsabilité dans l’achèvement d’un disque de quelqu’un qui ne soit pas mon ami·e proche. Ce label, on l’a fait pour nous, pour pouvoir sortir la musique qu’on veut, ensemble ou séparément mais quand on veut et comme on veut.
Benoît : On fait de la musique peut-être avec moins de moyens qu’avant mais de façon plus autonome. Il y a moins de facteurs extérieurs. C’est aussi la garantie de pouvoir faire des disques plus tard sans avoir un producteur qui nous demanderait de faire des albums. Ça fait dix ans qu’on fait Grand Blanc, on a fait deux EP et trois albums dans des conditions différentes et on se dit qu’on a envie de faire des disques de notre côté mais en restant les uns près des autres.
Camille : C’est aussi l’idée de se dire que si je fais de la musique en solo, les personnes à qui je ferais écouter mes morceaux en premier ce sera mes trois amis et si j’ai de l’aide à demander, je leur demanderai à eux. C’est l’idée de créer ensemble. Si on est pas quatre en fait, il n’y a pas de musique, c’est une forme d’engagement. On est très amis depuis longtemps et c’est une boule de sentiments très étrange.
Benoît : Sur cet album, on a collaboré pour le faire de bout en bout, y compris en faisant de la direction artistique ou de l’administratif et des mails bien relous et on est un peu fiers quand même…