« La tête dans le caisson, le cœur plein de questions » : rencontre avec ELOI

ELOI a grandi en banlieue parisienne dans une famille de musicien·nes. Après avoir commencé par une dizaine d’années de musique classique, c’est aux Arts Décos que l’artiste entame son parcours dans la musique électronique. Elle a sorti récemment son nouvel EP Pyrale sur lequel on retrouve la cover de « Jtm de ouf » de Wejdene qui donne envie de sauter dans tous les sens. Désormais aux Beaux-Arts, ELOI passe son diplôme dans quelques jours, et alors qu’il lui faut refuser pas mal de demandes presse pour des rencontres en face à face, elle a accepté de prendre le temps pour répondre à nos questions.

© Apolline Baillet

Peut-être que pour commencer tu peux nous parler de ton nom d’artiste, ELOI. On a l’impression que t’aimes bien jouer avec l’étymologie et l’histoire des mots. Un rapport avec le sens premier « élu·e des dieux » ou le saint de la chanson ?

Pas du tout ! En fait, je m’appelle Éloïse. C’est drôle parce que je suis une personne assez fluide et ça transpire assez dans ce que je fais et ce que je montre sur les réseaux. Mon nom de scène met les gens dans la confusion, même dans les retours que j’ai dans la presse… Les gens ne savent pas comment me genrer alors qu’en vrai, je m’en fiche, j’ai pas envie d’en faire toute une histoire mais c’est amusant de voir la perception des gens qui ont absolument besoin de savoir comment m’appeler ou me genrer. Dans mon identité, dans mon parcours, ça me plaisait bien d’avoir un nom de scène « masculin ». Dans la musique, comme ailleurs, c’est important la représentation. C’est marrant que tu me parles de l’étymologie, je me suis pas fait un délire mégalo mais why not !

Tu peux nous parler de ton parcours ?

J’ai commencé par faire du piano classique pendant une dizaine d’années, j’ai arrêté vers 13 ou 14 ans car je n’arrivais plus à rester dans ce circuit-là, c’est à ce moment-là que j’ai commencé à écrire. J’écoutais beaucoup de hip hop et j’ai fait du rap pendant plusieurs années et c’est ça qui m’a amenée vers la production car je me faisais produire par des gens de mon entourage mais ça ne correspondait pas toujours à ce que j’avais envie de faire. Ça restait très hip hop et j’arrivais pas trop à sortir de ça alors que j’écoutais déjà beaucoup de musique électronique.

J’ai commencé à composer mes propres prods comme je savais me servir de Logic, c’était des choses un peu à la Odezenne ou Sébastien Tellier, de l’électronique un peu mélancolique. J’ai ensuite formé un duo avec un ami, je faisais toute la prod et on chantait tous les deux. On a sorti pas mal de choses, des clips, des sons… C’était un peu compliqué pour moi de dépendre de quelqu’un d’autre pour aller là où je voulais aller musicalement. Je me suis donc lancée sur un projet solo en 2019, 2020 à peu près. Ça a mis un peu de temps parce qu’avant je me cachais un peu derrière la voix de mon ami mais au bout d’un moment j’ai eu un paquet de sons sur lesquels j’avais envie de finir de travailler.

C’était au début de la crise sanitaire et j’ai commencé à travailler avec mon frère qui venait de rentrer de Berkeley où il a fait une école de musique. Il faisait des projets plus hip hop. On a sélectionné ensemble des sons qui nous paraissaient bien et qui parlaient du moment dans lequel j’étais et c’est lui qui a mixé tout mon EP Acedia et je l’ai sorti au moment où je rentrais aux Beaux-Arts.

Tu t’es lancée en live ensuite…

Quand j’ai sorti ce projet, j’étais vraiment « Soundcloud Artist », il n’y avait aucune projection dans le live, la scène, etc. Je n’ai pas du tout sorti ce projet dans le cadre de l’industrie musicale. Je n’avais aucune attente, je n’ai pas fait de promo… L’EP a tourné un petit peu dans des cercles assez restreints, de façon très alternative, parmi les gens que j’ai autour de moi. Ensuite u.r.trax m’a proposé de faire un concert avec elle à La Villette alors que je n’avais pas du tout envisagé le live et que je n’avais fait que des concerts très confidentiels, dans des squats comme le Carbone 17 ou des lieux où je traînais à l’époque. Je n’avais pas du tout conscience de ce que je pouvais faire, j’étais très « musique dans ma chambre », je ramenais mes platines et mon controller et je chantais. `

Pour ce concert j’ai décidé d’être accompagnée par Mia Mongiello qui est à l’école avec moi. C’était une très grosse scène pour un première et c’était assez stressant. Tous les gens qui m’écoutaient et n’avaient jamais l’occasion de me voir jouer étaient là et c’était un trop bon moment de les voir réunis. À partir de là, j’ai rencontré mon manager qui est aussi booker et ça a permis de lancer les choses pour le live. Je faisais un peu les choses de manière scolaire, ça a pris un peu de temps avant que je rentre professionnellement dans la musique et que je sorte du circuit de l’art contemporain qui est très différent. J’aime beaucoup ça et ça s’est fait assez naturellement parce que je suis avec Mia sur scène et ça nous fait avancer dans le projet ensemble. On a travaillé sur un nouveau live, avec de nouvelles chansons et Mia chante sur scène. Maintenant on travaille à trois sur le projet avec mon ingé son, qui est aussi celui de mon frère. Vu que je mixais depuis un moment, j’ai pu être bookée pour des DJ sets. J’ai fait une dizaine de live depuis un an mais j’ai hâte d’en faire tout l’été. Plus t’en fais plus tu te détends et tu mets de la création dans le processus.

Comment t’es venue l’idée de travailler sur « jtm de ouf » de Wejdene ?

C’est marrant parce que cette cover je l’ai faite il y a un an. À la base, je comptais ressortir des sons en ligne comme je le faisais jusque-là, sans aucun argent ni rien. Je n’avais même pas forcément envie de faire des clips et je n’avais absolument pas conscience de comment ça marche pour avoir des fonds, etc. J’ai fait « jtm de ouf » qui se démarquait totalement des sons que je faisais à ce moment-là.

C’était une sorte de petit concours avec mon frère, presque une blague. Lui a fait un remix et moi j’ai refait le son totalement. J’avais pas du tout prévu de le sortir au départ. Je venais de faire « Divorce » et « Mauvais sang » et j’avais l’impression qu’il fallait que je garde une ligne et une cohérence dans tout ce que je faisais. Je pense que c’est aussi à ce moment-là que j’ai pris de la distance avec une attitude que je voulais avoir dans mes sons qui ont forcément évolué avec moi. Je n’écoutais pas du tout de PC music ou d’hyperpop, enfin, je sais pas comment appeler ça vraiment… J’avais un peu du mal à aller vers la pop même si j’ai commencé à écouter tout ce nouveau courant il y a un an et demi. Je suis une grande fan de pop mais je savais pas vraiment comment aller vers là dans ma propre musique. Il y a des choses dont je me suis libérée avec ce morceau, ça a été une petite pierre à l’édifice pop comme c’était une cover. Ça m’a enlevé un poids vu que j’aimais beaucoup le texte et qu’il me parle beaucoup.

On s’est aussi dit que c’était bien que ça ne sorte pas qu’en single suivi d’un gros EP. On avait deux possibilités, soit je sortais un single et il fallait attendre encore longtemps avant que je sorte un plus gros projet avec les sons sur lesquels je travailler depuis quelques mois, soit je sortais un ou deux sons avec « jtm de ouf » pour faire un EP. J’avais envie qu’il y ait aussi mes sons avec, avec mon écriture pour que ça puisse aussi contraster. J’ai donc composé aussi « Soleil Mort » et j’avais aussi une demande sur une compilation qui devait sortir à la Saint-Valentin et j’ai composé « Novembre éternel ».

Est-ce que tu peux nous parler du clip ?

L’EP s’est bouclé avec ce morceau puis on a fait le clip de « jtm de ouf » cet hiver. J’ai travaillé avec des gens que j’adorais. C’était important pour moi pour le premier clip, je voulais quelque chose qui me ressemble. Vu qu’en même temps, j’ai commencé à avoir des propositions pour développer mon projet, je voulais pouvoir participer activement au premier clip. J’avais envie de faire un patchwork du travail de plein de gens que j’ai autour de moi. Ça a été assez dur parce que c’est autoproduit. Nous, à ce moment-là, on fait des projets où il n’y a pas du tout d’argent et avec le peu de fonds qu’on a pu débloquer pour le clip, en fait c’est devenu encore plus compliqué de s’organiser. Avec Brieuc Schieb qui a réalisé le clip, on l’a écrit et c’est Anaïs Fontanges qui a fait tout le set design.

Je suis complètement obsédée par le thème de l’adolescence et j’avais envie de le poser clairement dans un clip, de montrer dans quel espace mental j’évoluais. Il y a des œuvres à moi dans le clip, c’est dans le même esprit que mon travail pour mon diplôme aux Beaux-Arts. L’idée, c’était de faire une chambre d’ado mais avec le plus d’images et d’objets possible. C’était de montrer les espaces – les espaces dans les espaces, même – que j’aime montrer. Pour le clip suivant, j’avais envie de quelque chose de plus produit et de déléguer avec une réalisatrice, en l’occurrence Roxanne Gaucherand, dont j’avais vu le clip réalisé pour Maud Geffray.

C’est le clip de « Soleil Mort », ça…

Oui, j’avais vraiment envie de travailler avec Roxanne, d’autant qu’elle avait une boîte de prod et je savais que ça allait être quand même plus simple. Elle m’a proposé le parc à dinosaures de l’Aven Marzal qui m’a beaucoup plu vu que je joue beaucoup avec l’enfance et l’adolescence. C’était bien aussi que ça change d’endroits, qu’il y ait des scènes en extérieur… Ça renvoie à la SF et à la pop culture et j’ai trouvé ça super. Je trouvais ça intéressant de créer une narration un peu différente. C’était un peu la course entre le clip, l’EP, la scène… Mais elles ont réussi à boucler le clip en moins de deux mois. Une fois le clip réalisé, on a pu sortir l’EP.

C’est un clip dans lequel on a un peu une ambiance « fin du monde », comme une nostalgie d’un futur qui n’arrivera jamais.

J’avais envie que Roxanne Gaucherand me donne ses idées. C’est une sorte de chanson d’amour mais si on lit les paroles c’est très sombre. Je pense que toute la musique donne cette ambiance « fin du monde », le rythme, la basse, le fait que c’est assez violent. J’avais pas vu la musique dans son entièreté, je m’attache beaucoup au texte en général (mais bon, personne comprend ce que je dis en même temps…). Quand Roxanne m’a parlé de ses idées, j’ai capté qu’en fait, c’est un peu la guerre ce son. Une guerre où il n’y a pas d’ennemi et pourtant c’est très violent. Il ne fallait pas que ce soit trop glamour. Ça représentait bien le contraste entre la dynamique, le fait que j’avance et qu’en même temps, tout est super bizarre, tout est un peu brutal.

Tu as aussi réédité ton EP Acedia. Pourquoi ?

J’avais envie de le faire avec Mia Mongiello et qu’il y ait ses parties de guitare sur certains sons. J’ai réédité les sons sur lesquels j’avais envie qu’elle soit entendue. Il y a beaucoup de gens qui aiment la version live donc j’avais envie de l’enregistrer. Ça permettait aussi de faire une sortie avant le nouvel EP.

Il me semble que le terme acédie renvoie à l’idée de mélancolie…

C’est trop marrant, c’est un terme du Moyen-Âge qui désigne un péché. En gros, c’était le terme pour parler des dépressifs… Je cherche des mots un peu spéciaux comme ça. Pour Pyrale par exemple, c’est le titre du film de Roxanne Gaucherand et quand je suis allée tourner avec elle, je cherchais beaucoup. Je voulais un terme qui soit pas évident qui ne donne pas trop d’informations. Vu que j’avais sorti Acedia je voulais quelque chose qui soit aussi joli à dire. « Pyrale », ça veut dire « qui est né du feu » et ça m’a beaucoup plu. C’est Roxanne qui m’a proposé et je trouvais ça intéressant parce que c’est elle qui a fait mon clip, ça faisait deux objets d’arts qui se répondaient et ça me semblait faire sens.

J’ai beaucoup lu qu’on parlait de ta fraîcheur ou de « fougue de la jeunesse » pour qualifier ta musique. Tu en penses quoi ? Est-ce que c’est pas un peu pénible, cette insistance sur le côté juvénile de ta musique ?

Pour moi, quand on dit que c’est juvénile, c’est que les gens n’ont pas suivi le fil de mon parcours. J’ai eu un groupe avant, un duo, où là c’était vraiment de la musique adolescente mais c’était voulu et travaillé. Donc même là, je ne sais pas si on peut parler de fraîcheur de la jeunesse. C’est un thème qui m’intéresse mais ça ne veut pas dire que je l’incarne dans le réel. Pour moi, ce que je fais, c’est très mature, parce que je le réfléchis, je le travaille, c’est une construction. Quand j’ai écrit « Divorce », c’était vraiment voulu que ce soit une musique très naïve. C’est drôle de voir comment les gens perçoivent les sons… Quand on écoute « Soleil Mort » et « Divorce », ce n’est pas du tout la même narration ni le même personnage, c’est ça qui est intéressant dans la musique. Je m’inspire de trucs dans des temporalités très différentes dans la musique…

On utilise aussi beaucoup de qualificatifs comme « hyperpop », « hyperrave » ou « pop futuriste » pour parler de ta musique. Qu’est-ce qu’elles ont comme sens pour toi, ces étiquettes ?

Ce sont des termes un peu choc pour labéliser la musique. C’est pour évoquer une forme de nouveauté sans doute, parce que je viens de débarquer et que personne n’a entendu ma musique. Mais ce que je fais, c’est complètement dans la continuité de la musique du moment, de ce qui a pu exister depuis que je suis petite, de ce que mes parents ont pu écouter. Tout ça c’est beaucoup de termes alors que quand je parle de ce que je fais à quelqu’un qui m’écoute pas du tout et que je compte pas lui faire écouter, je dis que je fais de la musique électronique. C’est plus simple pour moi de réfléchir comme ça, c’est ce que je fais, j’ai pas de direction. C’est pas comme si je faisais de la trap où je suivrais une sorte de pattern à partir duquel créer. C’est drôle parce que dans certains retours presse que j’ai, il y a des gens qui disent que c’est de la transe par exemple. [rires] Ce qui m’intéresse, c’est de voir à quel point, au final ça part dans tous les sens mais c’est de la pop quoi, une musique accessible à un large public. C’est juste difficile de mettre des termes dessus parce que c’est assez hybride ce que je fais. Moi, j’ai plutôt des adjectifs, des ambiances dans la tête que des étiquettes musicales. Je vais me dire « là je veux danser », « là je veux être triste » etc. Et plus je vais avancer, plus les gens vont avoir du mal à caractériser parce que c’est de plus en plus hybride. Ça se décloisonne aussi parce qu’on commence tous à travailler ensemble et il y a un hype autour de ces termes-là. J’adore le terme d’ «hyperpop » mais juste, il veut rien dire, je trouve.

Par rapport au live, tu parlais d’une dizaine de dates, mais il y a eu quelques grosses scènes, est-ce que tu peux nous parler de ta tournée ? Qu’est-ce que ça change dans ton rapport à la musique, le live, le fait d’avoir du public… ?

Ça rend les choses beaucoup plus concrètes de faire découvrir à des gens ma musique. On a quand même maintenant un rapport à l’écoute musicale qui est un peu en coup de vent et rapide. On écoute beaucoup de choses parce que c’est plus facile de diffuser, et c’est trop bien d’ailleurs. Ce que je communique en production ne ressemble pas toujours à ce que j’arrive à montrer en live. Avant Acedia, je me cachais derrière beaucoup d’effets, j’avais du mal à me mettre en avant parce que j’avais pas du tout confiance en moi. Et c’est un peu cliché mais la scène, ça pousse à vraiment se dévoiler. Ça fait peur aussi, mais je trouve ça super comme peur à affronter. Ça me passionne la scène. C’est une façon de mieux me connaître, de communiquer avec les autres et d’entendre vraiment ma propre musique. J’ai rien à montrer quand je suis toute seule chez moi à faire de la musique. C’est complètement différent de faire cette expérience en live, qu’elle dure un certain temps, de travailler avec d’autres gens aussi. Le live, ça donne une autre forme à la musique. Ça me stresse de tourner mais je suis trop contente. Ça m’inspire aussi pour ce que je fais chez moi, ça se répond. Avant la scène, c’était plus difficile mon rapport à la musique, c’était très solitaire. Ça s’ouvre totalement et ça donne de la valeur à ces moments où je fais de la musique toute seule.

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