Le Cabaret des dessous lesbiens : décrypter les sous-entendus saphiques de la chanson pour enrichir la culture lesbienne

Pauline Paris et Léa Lootgieter nous invitent à (re)découvrir Les Dessous lesbiens de la chanson dans la deuxième édition du cabaret queer inspiré de leur ouvrage paru en version augmentée aux éditions Points en juin dernier. Les Dessous lesbiens de la chanson est un livre qui nous invitent à explorer les sous-entendus lesbiens plus ou moins clairs qui se cachent dans la chanson, des années 1920 à nos jours. Cette nouvelle édition décrypte 10 nouvelles chansons et se pare d’illustrations en couleurs signées Julie Feydel. À quelques jours de la deuxième édition du Cabaret aux Trois Baudets, nous avons rencontré Léa Lootgieter et Pauline Paris.

Le concept de l’ouvrage était de s’intéresser à des chansons qui pourraient s’inscrire dans une culture lesbienne, par différents biais : « soit parce que c’est une personne lesbienne qui l’a écrite mais qui ne pouvait pas chanter l’homosexualité à son époque, comme « Les Puces » d’Isabelle Mayereau soit parce que c’est rentré dans la culture lesbienne par un film, comme avec Anne Trister où l’on trouve la chanson « De la main gauche » de Danielle Messia, soit encore parce que c’est tout simplement le récit de la nuit lesbienne, comme « Joe le taxi », il y a plusieurs points d’entrée mais ce dont on avait envie de parler c’est de ce qui fait une culture lesbienne en chanson » nous explique Léa Lootgieter.

Ainsi, on peut retrouver dans l’ouvrage des morceaux extrêmement connus, à l’instar de celui chanté par Vanessa Paradis, mais aussi des chansons complètement oubliées comme « Le bal des trois chandelles » de Sidonie Baba. Ainsi, pour parcourir une période qui s’étend des années 1920 à nos jours, les autrices se sont plongées dans les textes et les répertoires de nombreuses artistes. Pour les plus anciennes et peut-être plus confidentielles, les autrices ont pu être aidées par Hélène Hazera, qui signe d’ailleurs la postface du livre et qui a une grande connaissance des années 1920. Pour les années 1970, c’est Catherine Gonnard et Elisabeth Lebovici, à qui l’on doit la préface, qui ont contribué à faire découvrir certaines chansons ou artistes. La nouvelle édition s’ouvre également au rap, avec les rappeuses Casey et Méryl. Léa Lootgieter revient sur la présence de ces artistes dans l’ouvrage : « On s’est posé la question de savoir si les rappeuses se reconnaîtraient ou pas dans le terme de chanson française, on a interviewé Bettina Ghio qui est spécialiste des rappeuses et qui nous a dit qu’elles avaient pleinement leur place dans l’ouvrage. »

Le point de départ de ce travail de recherche, c’est l’article du Nouvel Obs de 2019 qui expliquait que « Joe le taxi » était l’histoire d’un femme lesbienne. « On était estomaquées, on ne comprenait pas que cette histoire ne soit jamais sortie » se rappelle Léa Lootgieter. Alors qu’elle écrivait pour Well well well sur les lesbiennes des années 1950, elle s’est rendue compte qu’il n’y avait que très peu de sources sur des femmes comme Gribouille. Parallèlement à ça, Pauline Paris, elle en tant que chanteuse, déplore le manque de modèles lesbiens, de chansons lesbiennes : « C’était aussi intéressant pour moi de voir quelles étaient mes ancêtres » Cette recherche a d’abord abouti à une chronique pour Gouinement lundi, puis après quelques chroniques, les autrices ont décidé d’en faire un livre. Rassembler toutes ces informations contribue à la constitution d’un matrimoine lesbien qui permet de créer des modèles. Cela permet aussi de réaliser que les discriminations et la lesbophobie engendrent évidemment de grandes souffrances mais créent aussi des zones de résistance où se développe une grande créativité. La constitution d’un matrimoine permet aussi d’apporter du positif dans l’histoire des cultures LGBTI.

Léa Lootgieter et Pauline Paris sur scène pour le Cabaret des dessous lesbiens ©Picard+Serra

« Et après le livre, on s’est dit ‘quand même la chanson, ça s’écoute’ et on a monté le cabaret » poursuit Pauline Paris. Après avoir créé le cabaret il y a deux ans au Scenobar à Ménilmontant, les autrices ont voulu, pour fêter la version augmentée de l’ouvrage, permettre de mêler des artistes de cabaret à des artistes citées dans le livre qui peuvent ainsi chanter leurs propres chansons. Le cabaret est l’occasion de faire revivre les chansons : « C’est le rôle des artistes que l’on invite de se créer sa propre interprétation de la chanson. Certain·es artistes s’inspirent de la notice de la chanson dans le livre pour leur propre interprétation et réinjectent une dimension lesbienne. D’autres personnes emmènent aussi la chanson ailleurs en offrant de nouvelles grilles de lecture. » nous raconte Pauline Paris. Léa Lootgieter prend l’exemple de « Comme les princes travestis » de Marie-Paule Belle, un morceau qu’elles ont étudié par le prisme d’un coming out un peu caché dans la chanson, reprise par un drag king comme The King Jacob, la chanson va davantage évoquer le travestissement : « Ce sont deux grilles de lecture parce qu’on ne parle jamais du même endroit. Ce sont ces multiples interprétations possibles d’une chanson qu’on veut montrer au cabaret. » Les chansons sont revisitées, par cette pluralité d’interprétations possibles, mais également du point de vue de la musique : Lise Cabaret va, par exemple, reprendre « Cavalier seule » de Juliette Armanet à l’accordéon, en proposant, de ce fait, une version radicalement différente du morceau.

©Picard+Serra

Pauline Paris et Léa Lootgieter font elles aussi partie du spectacle puisqu’elles présentent les morceaux avant qu’elles soient jouées sur scène. En proposant des éléments d’analyse, elles permettent aux spectateurs·trices de s’interroger sur la façon dont leur est présenté le morceau, en confrontant ce qu’iels voient sur scène aux éléments de contexte ou d’analyse que l’on trouve dans le livre. Léa et Pauline précisent bien : les artistes ne connaissent pas en amont les présentations qui sont faites des chanson et elles-mêmes ne savent pas exactement quelle sera la prestation. Elles créent un espace de liberté pour les artistes qui sélectionnent elleux-mêmes les morceaux qu’iels vont performer sur scène.

Chaque spectacle permet ainsi de découvrir une dizaine de chansons et le cabaret devrait devenir un rendez-vous régulier où sera invitée en tête d’affiche une artiste ayant participé au livre qui chantera sa propre chanson mais devra se prêter aussi au jeu de la reprise. Ainsi, lors de la première édition au Trois Baudets, Carmen Maria Vega a chanté sa propre chanson, « J’ai tout aimé de toi » mais elle a aussi repris « Concerto pour dames seules ».

©Picard+Serra

La deuxième édition du Cabaret aura lieu le 2 octobre à 20h aux Trois Baudets, réunira sur scène PowerBeauTom, Mélodie Lauret, Lise Cabaret et Adrienne Pauly (lien billetterie : ici)