Le retour d’une icône : Anja Huwe dévoile « Codes » après trente ans de silence

Anja Huwe commence l’interview par s’excuser de porter ses lunettes  : I’m so short sighted-right now because I work so much. Justement, c’est de son travail qu’il va être question dans cet entretien puisqu’on a la chance de voir rééditer les premiers singles du groupe phare de la scène gothique allemande des années 1980,  Xmal Deutschland ( Early Singles (1981-1982) est une collection de 45 tours, de singles, de versions live et de titres bonus, ainsi qu’une carte des fondements du groupe Xmal Deutschland, quelques secondes avant son décollage) et cette réédition s’accompagne de la sortie du premier album solo de la chanteuse si charismatique, Anja Huwe. Après avoir longtemps délaissé la musique pour les arts visuels, Anja Huwe a mis à profit le confinement pour travailler à Codes, un album solo, qui ravira les fans de Xmal Deutschland – bien sûr- mais aussi d’Einstürzende Neubauten ou de  Malaria! On a rencontré l’icône goth de notre jeunesse, non sans un peu d’appréhension, pour en savoir plus sur son processus créatif pour ce retour à la musique. 

Lorsqu’on lui demande pour quelles raisons le groupe réédite cette année ses plus grands hits, Anja nous explique que c’est une demande qui leur était faite de longue date. C’est une rencontre avec l’équipe du label Sacred Bones qu’Anja Huwe a pu proposer deux sorties : ces early singles des années 1981-1982 et son album solo, Codes. Parmi les morceaux qui ressortent ce mois-ci, on retrouve certes des hits à l’instar « Incubus Succubus », morceau désormais classique de la scène post-punk mais également des singles sortis dans les années 1980 et qui étaient devenus introuvables. Anja est très modeste lorsqu’on lui dit que le groupe figure au panthéon de la musique goth et qu’un morceau comme « Incubus Succubus » est désormais un hymne post-punk. « C’était il y a un milliard d’années… Les gens nous disent que c’est un hymne, mais ce n’est pas forcément le cas pour nous, on l’a sorti, c’était genre le deuxième single que l’on sortait et on ne s’attendait vraiment pas à ce qu’une telle chose arrive. Mais ce succès, ça ne voulait pas dire non plus un gros succès commercial non plus, mais ça a fait de nous un groupe assez important… ». Le succès est venu sans que les membres du groupe ne s’y attendent et Anja garde en mémoire cette période où elle jouait dans des clubs du monde entier devant un public de plus en plus nombreux dans les grandes métropoles, notamment européennes : « C’était une période vraiment intéressante, c’était merveilleux de voyager et j’ai adoré ça, écrire de la musique et être avec le groupe, c’était vraiment génial aussi. » 

Mais on sent que cette période a également laissé des traces : travailler et vivre 24h sur 24 avec les mêmes personnes, et bien que ce soient des ami·es, est devenu peu à peu de plus en plus difficile. « À un moment donné, t’as besoin de quelqu’un qui te dise ‘Écoute, ce n’est pas que pour le fun, c’est aussi du boulot‘ et on devait trouver un moyen de fonctionner tous ensemble. » D’ailleurs, la formation va beaucoup évoluer entre sa création en 1980 et la séparation finale de 1990. Aujourd’hui, bien qu’elle s’entoure de Mona Mur et Manuela Rickers, le processus de création d’Anja Huwe est totalement différent : c’est elle qui prend les décisions désormais : « C’était beaucoup de travail mais c’était aussi beaucoup plus facile de donner vie à mes idées. » 

Lorsqu’on lui demande si elle a laissé la musique de côté pendant tout ce temps où elle a produit une œuvre de plasticienne, Anja Huwe s’exclame, dans un geste de la main désinvolte : I’m an artist, so I work always ! Une façon de nous dire que son art est total et qu’il ne saurait y avoir de barrières entre sa production en tant que plasticienne et cet album solo. « J’ai eu besoin d’un break après le succès du groupe et j’ai cherché à faire quelque chose de nouveau ». Anja est allée à Londres où elle s’est mise à fréquenter le mythique club Heaven où elle a découvert de nouvelles choses, à commencer par des musiques plus électroniques et la techno. Elle a ensuite commencé à travailler comme productrice pour la chaîne allemande VIVA, le MTV d’outre-Rhin, personne ne savait qu’elle avait fait partie d’un groupe auparavant et ça lui a plu. Puis est venu l’art et la peinture à New-York, pour commencer. But music was always part of my life and it always came back to me… 

Anja continuait de recevoir des sollicitations puis un jour est arrivé un morceau qu’on lui a envoyé juste avant le début de la pandémie où rien ne se passait plus : plus d’exposition, plus de possibilité d’aller nulle part. Une fois le morceau reçu, elle s’est rendue à Berlin où Mona Mur l’attendait just to give it a try. Encore à cette époque, Anja Huwe ne se voyait pas remettre les pieds dans une industrie qui l’avait presque détruite 30 ans plus tôt. Et petit à petit, elle a retrouvé le goût du chant. Certes, la maturité préserve des excès d’un milieu très exigeant mais la rencontre avec Caleb du label Sacred Bones a finalement donné l’impulsion nécessaire à la réalisation de ce premier album solo, petite pépite aux influences post-punk mais à la vibe très actuelle. Elle a ainsi fait le choix d’un jeune label indie qui lui autorisait une plus grande liberté créatrice. « C’était une très bonne décision : ils aiment mon art, mon chant, mon écriture, on a fait un clip pour ‘Rebenschwarz’… C’était vraiment une bonne décision pour moi. » 

L’univers musical d’Anja Huwe a évolué en trente ans, notamment parce qu’elle ne ressent plus la contrainte du groupe, aujourd’hui, c’est juste elle et Mona Mur : « Je lui dis ce que je pense qu’on devrait faire, c’est elle qui a le studio, elle vient de la musique électronique, donc c’est elle qui maîtrise les aspects techniques par exemple et comme elle écrit des musiques de film mais aussi de la poésie, elle est capable de transformer ma façon de communiquer, elle aime ma voix et est un soutien indéfectible, c’est vraiment facile de travailler avec elle, et puis nous ne sommes que deux, et ça change tout. »

À écouter Anja Huwe, on sent que le principal est ailleurs : dans le processus de création. Elle nous raconte l’origine des paroles de cet album inspiré de l’histoire qu’un ami originaire du Bélarus lui a racontée : durant la Seconde Guerre Mondiale, son grand-père, pour échapper aux persécutions des nazis, a quitté sa famille pour s’enfoncer dans les bois, des bois sombres et épais où il ne fait pas bon de s’aventurer. Or cette histoire a concerné des milliers de gens. « Mon point de départ, c’était celui-là : si tu quittes tout et que tu t’enfonces dans la forêt, qu’est-ce que cela te fait ? Est-ce qu’il y a de l’espoir ? Qu’est-ce que tu deviens, là, dans les bois ? » Ainsi, le premier titre de l’album était The codes of the woods. « À partir de ces récits, j’ai développé ma propre poésie et on y retrouve beaucoup de bois et de forêts mais de façon métaphorique en quelque sorte ». 

Quant à la question du live, elle ne se pose pas pour le moment : « On n’a juste pas pensé en faisant l’album, on ne sait même pas si c’est faisable ! » Les demandes en ce sens se font de plus en plus nombreuses maintenant que l’album commence à circuler dans les milieux professionnels et que la nouvelle du grand come back d’Anja Huwe se répand. « Faire partie d’un groupe à nouveau, jamais ! Mais pourquoi pas, on n’a juste pas eu le temps d’y penser… »

« Des gens reviennent vers moi aujourd’hui à qui je n’ai pas parlé depuis des siècles. Je n’avais aucune attente mais je suis dépassée par les réactions : on me dit que c’est une sorte d’étape évidente, ma voix, les guitares de Manuela, cette musique électronique qui est très actuelle… » On prédit pour ce premier opus solo un bel avenir et on ne doute pas qu’il saura rencontrer son public et séduire les fans de la première heure.