On suit de près les éditions Divergences qui publient régulièrement des ouvrages qui nous enthousiasment et ont en commun la critique radicale du monde dans lequel nous vivons. Récemment, Littérature et révolution, un long entretien entre Kaoutar Harchi et Joseph Andras, a occupé nos nuits et nous a donné matière à penser (nous ne manquerons pas de vous en parler). C’est donc avec beaucoup de bonheur que nous avons appris que la maison d’édition prévoyait d’ouvrir un lieu de vie autour du livre à Quimperlé en Bretagne. Nous avons discuté avec l’équipe de la maison d’édition pour en savoir plus.
Pour commencer est-ce que vous pouvez nous parler de l’histoire des éditions divergences ? Depuis quand existez-vous ? Quels sont les principes sur lesquels se fonde votre ligne éditoriale ?
J’ai créé la maison d’édition en 2016, quand j’étais encore à la fac, juste après le mouvement social contre la loi Travail du gouvernement Valls. J’avais passé les mois précédents en manifs ou dans des occupations et, au départ, l’idée était surtout de se doter d’une structure qui permette de diffuser des textes politiques, qui nous aident à penser le monde, les luttes, etc. Si la maison s’est directement inscrite dans une tradition de critique radicale (du capitalisme, de l’Etat, des différentes formes d’oppressions, etc.), je n’ai jamais souhaité la spécialiser sur une thématique très précise comme cela se fait beaucoup dans l’édition indépendante (on a par exemple des maisons qui ne publient que sur l’écologie, ou le féminisme, ou les questions décoloniales ou bien que des textes philosophiques…). J’étais très jeune aux débuts de la maison et je voulais me laisser la possibilité d’explorer différentes thématiques, différentes formes, sans jamais chercher à figer l’identité de la maison dans quelque chose de rigide. Ce qui nous a amené à publier des essais philosophiques, historiques, des essais d’actualité sur des sujets comme le football ou les cryptomonnaies, à traduire bell hooks et Silvia Federici, à parler d’écologie politique et de féminisme anarchiste. Depuis, l’équipe a bien grandi, on publie une douzaine de livres par an sur des thématiques assez variées mais avec une ligne de fond qui reste inchangée : la critique radicale de ce monde.
Parlez-nous de ce lieu. Pourquoi avoir voulu ouvrir un lieu de vie mixte autour du livre ?
Quand on publie des livres, des livres politiques ou en tout cas des livres qui visent à dire quelque chose sur notre époque avec en ligne de fond la possibilité d’un changement radical, il peut y avoir une forme de frustration qui s’installe. Déjà parce qu’en tant qu’éditeurs, on est pas en contact direct avec nos lecteurs et nos lectrices ou assez peu. Aussi, parce que le seul critère de mesure de l’impact potentiel d’un livre qu’on ait ce sont ses chiffres de vente. Et, il faut bien le dire, c’est un critère franchement bancal. Il y a donc une forme de distance qui se crée et qui, si elle est en partie résorbée par nos engagements personnels dans différentes luttes, peut venir créer un sentiment d’impuissance. Il ne faut pas se raconter d’histoires, publier des livres, mêmes politiques, mêmes radicaux, c’est quand même bien peu de choses face à la catastrophe qu’est le monde dans lequel nous vivons. C’est pourquoi, on a ce désir, depuis plusieurs années maintenant, d’essayer d’aller un peu au-delà de notre rôle, de ce qu’on attend d’une maison d’édition (publier des livres) et de se frotter à des choses un peu différentes. Bien sûr, on ne s’éloigne pas tant que ça de notre corps de métier mais quand même, c’est déjà un petit décalage.
Est-ce que vous pouvez nous expliquer votre choix d’une implantation à Quimperlé ?
Le choix de Quimperlé s’est fait assez naturellement. Il n’était pas question de faire cela à Paris, pour différentes raisons : personnelles, politiques et financières bien sûr. La Bretagne s’est imposée assez naturellement pour des raisons assez similaires (liens personnels, maillage politique et associatif, relative accessibilité). On a donc exploré différentes villes pendant deux ans avant de se fixer sur Quimperlé. C’est une jolie petite ville d’environ 12000 habitant.es, située à deux pas du littoral qui dispose d’une gare TGV mais surtout on y a trouvé une « ambiance » qui nous a tout de suite plu, quelque chose d’à la fois joyeux et vivant, avec une vraie disposition à la lutte. On y a rencontré de super personnes aussi et la mairie nous a bien accompagné sur ce projet.
Que pensez-vous du maillage territorial des lieux autour du livre ? Beaucoup de lieux culturels militants ont reçu de solides soutiens à Paris ces derniers temps, j’imagine que les enjeux ne sont pas les mêmes à Quimperlé ?
Le nombre de librairies a beaucoup augmenté ces dernières années en France, et c’est notamment le cas en Bretagne. Cependant, ces nouveaux projets se démarquent assez largement de la librairie telle qu’elle était pensée dans les décennies précédentes. En effet, on assiste à la démultiplication de lieux mixtes, dans lesquels on trouve des livres mais pas seulement : librairie-café, librairie-céramique, librairie-boulangerie, etc. La sélection y est souvent assez précise, avec une vraie attention qui est portée à la sélection de livres, aux maisons d’édition qui sont soutenues. On s’inscrit en partie dans ce mouvement-là puisqu’on aura également un café avec une grande terrasse, un dépôt de pain et même un point-poste. Si on a choisi Quimperlé c’est aussi parce qu’on sentait qu’un tel projet y trouverait sa place, qu’il s’inscrirait aisément dans la dynamique en cours dans la ville.
Vous ouvrirez également un espace de résidence : avez-vous déjà une idée de ce qu’il va s’y dérouler ?
C’est le point le plus flou de notre projet pour le moment et pour une raison assez simple : les travaux sont encore en cours et il y a un certain nombre de détails techniques qui restent encore à régler. Quoi qu’il en soit, ce sera un espace assez modeste en terme de surface. En fonction de ce que l’on arrivera à faire, on aimerait pouvoir y accueillir des personnes qui viendraient travailler à la librairie ou au café ou des auteur ou autrices de la maison qui voudraient y passer du temps pour travailler sur leur livre. Tout cela reste encore à définir, on a besoin d’un peu de temps pour s’approprier l’espace et l’organiser.
Où en êtes-vous actuellement du projet ?
Les choses avancent bien. Après de nombreux mois de recherches, plusieurs visites, pas mal de doutes, on avance enfin concrètement. La signature de l’acte de vente a eu lieu le 7 novembre, les travaux ont commencé le 8 grâce au travail fait en amont avec notre architecte et à une super équipe d’artisans avec qui on a programmé un chantier de trois mois. Il y a beaucoup de choses à faire mais ils sont 9 à travailler en même temps, ce qui explique que les choses avancent très vite. On essaye, au maximum de faire travailler des gens avec qui on partage des affinités politiques, les huisseries sont par exemple faites par une menuisière sur l’ancienne Zad de Notre-Dame-des-Landes. Du côté de la librairie et du café tout est pratiquement en place, il reste encore quelques détails administratifs à régler, les meubles sont en cours de fabrication. On sera prêt.es à ouvrir en avril !
Et si on veut vous soutenir, c’est faisable ?
Pour nous soutenir, le mieux est de passer nous voir ! La région est magnifique, la ville a un superbe patrimoine architectural et est baignée par trois rivières. La côte est splendide, on peut y surfer…
Vous pouvez aussi acheter nos livres, en librairie ou sur notre site internet bien sûr !