Les éditions Daronnes sont une maison d’édition féministe et engagée. Les éditrices ont choisi pour ligne éditoriale un féminisme radical et révolutionnaire dont elles pensent qu’il peut changer le monde. Pour elles, il s’agit d’une lutte qui ne peut être détachée des autres combats : décoloniaux, écologiques, anti-capitalistes… Elles entendent défendre à travers les livres qu’elles publient la nécessité d’une convergence des luttes sociales et sociétales en proposant des ouvrages accessibles à tou•te•s qui repensent nos systèmes de représentation. En publiant La princesse sans reflet, un ouvrage écrit par Marine Peyrard et illustré par Mirion Malle, elles font le choix d’abord, à travers le genre et les codes du conte populaire les violences faites aux femmes. Pour en savoir plus, nous avons échangé avec Juliette Dimet, éditrice, et Marine Peyrard, l’autrice du livre.
Peut-être peut-on commencer par le début : à qui s’adresse La Princesse sans reflet ?
Marine Peyrard, autrice : C’est un conte accessible à partir de la fin du collège / début du lycée. Il se destine autant à un public intéressé par des questions féministes qu’à un public plus large, à la recherche d’une histoire ou de lecture poétique.
Juliette Dimet, éditrice : Comme pour la plus part de nos ouvrages, il s’adresse à un public féministe mais pas seulement. Ses qualités littéraires et d’illustrations permettent de toucher un public plus vaste et moins militant. On suit en cela les principes du conte qui permet de faire passer des messages de façon large.
Vous choisissez la métaphore du reflet pour évoquer la perte d’une partie de soi. Pourquoi celle-ci ? Comment doit-on la comprendre ?
Marine : Quand j’ai écrit cette histoire, je cherchais une façon très imagée de montrer une fracture de soi. J’ai alors choisi la perte du reflet comme une métaphore de l’impact des violences sexuelles. Mais la beauté des métaphores réside dans le fait qu’on peut les interpréter à notre convenance. Ainsi, cette image peut être vue comme une représentation de l’impact des violences de façon générale, de la négation de soi, de son identité… Certaines victimes de violences sexuelles parlent de cette sensation de n’être plus « comme avant » ou d’avoir été « effacées ». Je voulais symboliser cette idée de façon littérale en partant d’une image qu’on a toustes (son reflet dans un miroir) et en imaginant : que se passe-t-il si on perd une partie indivisible de soi ? Comment vit-on ?
Juliette : Cela permet aussi plusieurs niveaux de lecture, ou une identification des lecteurices plus fortes. On peut y projeter une part de soi quelques soit nos expériences vécues, et ne pas souligner de façon gratuite et graphique les violences auxquelles le conte fait référence.
Pourquoi ne pas avoir donné de nom au personnage de la princesse ?
Marine : Le prénom de la Princesse est donné au début du livre mais on ne s’en servira pas ensuite. La princesse perd une part d’elle-même et en cela, une part de son identité. J’ai choisi de montrer cette aliénation de son identité en lui faisant perdre son prénom, en plus de son reflet.
Beaucoup de choses restent suggérées et semblent demander une certaine connivence du lectorat. Est-ce que vous pouvez nous en parler ?
Marine : L’utilisation de poésie permet, en effet, de suggérer les choses sans les expliciter. Je souhaitais avant tout raconter un conte : une princesse perd son reflet et, suite à cela, part à l’aventure. Utiliser des images permet de se concentrer sur l’histoire et de faire passer les idées en toile de fond. C’est un texte qui se veut porteur d’espoir, et malgré tout, d’une certaine douceur.
Juliette : Lors d’une rencontre avec le public à la librairie l’Affranchie, Marine Peyrard et Mirion Malle discutaient de l’effet de la représentation graphique (et gratuite) de certaines violences. Le texte a-t-il besoin d’être cru, ou les illustrations, pour passer un message ? Cela vaut-il la peine d’heurter une partie des lecteurices qui ont subi des violences sexistes et sexuelles pour qu’une autre partie du public ai une histoire plus évidente, moins douce comme le souligne Marine ? La douceur du texte a une vraie importance, c’est d’ailleurs pour celà que des trigger warnings sont présents.
Les hommes apparaissent, notamment le prince, comme des prédateurs, et différentes formes de violences sexuelles sont évoquées. Pourquoi ?
Marine : Dans ce livre, je souhaitais parler des violences sexistes et notamment sexuelles. Or, d’un point de vue statistique, les hommes sont très majoritairement auteurs des violences faites aux femmes et aux minorités de genre. À partir de là, j’ai fait le choix de représenter les auteurs de violences sexuelles via deux personnages : le Prince (époux de la Princesse) et le Père (de l’Amie). Ces deux figurent soulignent que les violences sexuelles n’ont pas lieu à l’extérieur du foyer comme on pourrait le croire : un viol sur trois est conjugal et un.e enfant sur 10 est victime d’inceste.
La réparation passe par la communauté et la sororité. Comment avez-vous choisi de mettre en scène cette façon de surmonter le traumatisme des violences sexuelles et sexistes ?
Marine : J’ai l’impression que les violences, et particulièrement les violences sexistes et sexuelles, créent une sensation d’isolement, le sentiment d’être la seule personne à vivre / ressentir cette souffrance. Je voulais souligner qu’être victime de violences sexuelles dans une société patriarcale n’est pas une expérience isolée, mais au contraire, une expérience faite par une partie significative de la population. Quand on réalise que l’on est pas seul.e, il est alors possible d’essayer de parler. Dans La Princesse sans reflet, la princesse trouve une communauté de femmes au cœur d’une forêt. Dans la vie réelle, casser l’isolement peut se faire via le biais d’associations, de livres, de groupes de paroles ou simplement en parlant à ses proches si cela est possible.
Juliette : Durant la première lecture du manuscrit, Coline Charpentier (la deuxième éditrice des éditions Daronnes) avons eut la chair de poule au même endroit : quand la Princesse rencontre la communauté. Je pense que c’est parce qu’on ressentait que l’image et la réponse mise en mots par Marine Peyrard à cet isolement était juste, et bénéfique. Se (re)trouver peut faire naître une vraie force motrice pour se reconstruire.
Quel sens donner au poème qui clôt l’ouvrage ?
Marine : A mon sens, c’est une ode à se réinventer soi-même et à se reconstruire.
Juliette : Pour moi, c’est un appel à s’autoriser et embrasser le pouvoir de se réinventer après avoir traversé des épreuves.
Comment s’est effectuée la collaboration entre vous et quels sont les choix qui ont présidé à l’édition de cet ouvrage ?
Marine : Dans un premier temps, j’ai présenté une version plus courte de ce texte à mon agente, Julie Finidori. Nous souhaitions dès le départ que ce texte soit illustré et nous avons pensé à Mirion Malle : nous trouvions, en effet, que son style de dessin dialoguerait bien avec le texte. Nous l’avons donc contacté et celle-ci a accepté d’illustrer ce projet. Après quelques échanges entre nous trois, j’ai écrit une seconde version de l’histoire, plus aboutie. Nous sommes alors rentrées en contact avec les éditions Daronnes, dont nous apprécions la ligne éditoriale féministe, qui ont, à leur tour, accepté le projet.
Juliette : Si le texte était quasi définitif quand le projet est arrivé aux Éditions Daronnes, nous avons essayé de travailler en collaboration avec Mirion et Marine. Réfléchir ensemble au style, à la maquette finale et l’emplacement des illustrations, mais aussi le format du livre, le papier… J’ai une double casquette d’éditrice et de graphiste, et je dois dire que c’est un réel plaisir d’avoir pu s’investir dans ces réflexions avec l’autrice et l’illustratice, pour arriver à un bel objet qui j’espère met en valeur ce texte et ces illustrations.