Les Guerillères : une librairie féministe et LGBTI+ dans le Finistère

Je cherchais un endroit où passer quelques jours en Bretagne et grâce aux miracles des réseaux sociaux, j’ai atterri chez Clotilde dans sa jolie maison du Finistère. Elle m’a très vite parlé de la librairie féministe et LGBTI+ itinérante qu’elle est en train de créer et du financement participatif qu’elle a lancé pour ce projet. Alors au coin du feu, à l’abri de la pluie bretonne et accompagnées du ronronnement de ses trois chats, on a discuté de son projet, de l’accessibilité des littératures féministes et de la sensibilisation aux luttes LGBTI+.

Est-ce que tu peux te présenter et présenter ton projet ?

Alors, mon projet (bientôt réalisé !) c’est d’ouvrir une librairie itinérante avec un fond spécialisé féministe et LGBTQIA+ dans les Monts d’Arrée, dans le Finistère !

Il y aura une partie classique librairie, vente de livres neufs sur place et en ligne où on trouvera des ouvrages répartis à parts égales entre littérature adulte et littérature jeunesse.

L’autre partie du projet, c’est l’animation d’ateliers à partir du fond de la librairie. En milieu scolaire, je vais animer, comme je le fais déjà, des ateliers de discussions ou de création littéraire sur les thématiques genres et sexualités, consentement ou stéréotypes de genre. Et puis pour des particuliers, je proposerai des ateliers danse et écriture, des balades lectures dans la forêt et des arpentages, c’est-à-dire lire un livre à plusieurs et mettre en commun ce qu’on en a compris.

J’aurai un itinéraire hebdomadaire sur les marchés du coin et, pour des événements ponctuels, j’élargirai au territoire régional voire national !

Et puis moi, je m’appelle Clotilde, j’ai presque 42 ans et professionnellement j’ai toujours bossé dans le travail social. J’ai commencé comme formatrice FLE (Français Langue Etrangère NDLR) auprès de personnes migrantes, puis en prévention spécialisée auprès de jeunes en décrochage scolaire, dans la prévention des violences sexistes et sexuelles… Le féminisme a toujours été présent dans mes engagements associatifs et militants puis il est arrivé au premier plan dans mes pratiques professionnelles quand j’ai travaillé pour le Planning Familial et l’association Difenn. Plus récemment, j’ai fait partie d’une bibliothèque féministe de manière bénévole et là, je me suis dis « qu’est-ce que je vais faire maintenant ? ». Avec ce projet, c’est un peu comme si je rassemblais tout au même endroit.

Quel est l’avantage de l’itinérance ?

L’itinérance se prête bien au territoire des Monts d’Arrée parce que c’est un territoire rural, avec des petites communes un peu éloignées les unes des autres, et assez peu de librairies finalement. Moi, j’ai envie de rendre le livre plus accessible, vraiment proche des gens. Et puis j’ai eu pas mal de retours de personnes qui disent que c’est plus facile pour elles de venir sur un marché, de regarder les étals, plutôt que d’entrer dans une librairie quand on n’en a pas l’habitude.

Un de mes objectifs principaux, qui transparaît peut-être moins avec l’itinérance, c’est que la librairie soit aussi un lieu de rencontre et de sociabilisation. Ici, la communauté est très éclatée, il n’y a pas d’endroit pour se retrouver et, justement grâce à l’itinérance, ça peut être un endroit repère.

Comment tu veux t’y prendre pour toucher des personnes qui ne sont pas sensibilisées aux luttes féministes et LGBTI+ ?

Dans le fond de ma librairie, il y aura très peu d’essais, de théorie, mais principalement des romans, et des BD. En fait j’ai envie de partager autour des sujets que soulèvent le féminisme et les luttes LGBTI+ mais en les abordant par l’imaginaire. Je trouve que c’est moins confrontant pour les personnes qui sont en situation de privilège ou pour les personnes qui découvrent ces sujets. Ce sont des sujets complexes, auxquels plein de préjugés peuvent être associés et je pense que passer par l’imaginaire, par des personnages, ça permet de décoller de soi et des mécanismes de culpabilité ou de défense qu’on peut avoir. C’est hyper important de pouvoir imaginer comment les choses peuvent être autrement, plutôt que d’être tout le temps dans les constats, les chiffres, les statistiques…

Pour moi c’est important de partir de là où sont les personnes qui viennent me rencontrer. En fait, tout le monde a une expérience, un vécu, et souvent c’est l’empathie qui manque, les personnes ne se sentent pas concernées, pensent que ce sont des problèmes isolés ou très loin d’elles. Je pense qu’il manque cette connexion qui passe aussi par la reconnaissance des problèmes de ces personnes (peu ou pas politisées), qui ne sont pas des problématiques LGBTQIA+. Les livres peuvent créer cet écho-là et donc une certaine empathie. Je pense qu’il faut aussi beaucoup parler de la posture d’allié·e, de témoin qui permet à chacun·e de trouver une place et un lien avec les personnes concernées.

Finalement, c’est toujours cette question de trouver un lien qui fasse sens pour des personnes peu sensibilisées à ces luttes-là.

Pour toi, qu’est-ce qui est différent dans le fait de créer ce genre de projet dans un milieu plutôt rural ?

Sur le territoire breton, je ne vois pas trop la différence entre villes et campagnes, parce qu’il y a beaucoup d’initiatives en ruralité. La Bretagne a un maillage dense en comparaison à d’autres coins de France qui peuvent être très éclatés.

En fait, tout dépend de comment on amène les choses, ça me tient à cœur d’amener des histoires qui ne parlent pas uniquement de personnes LGBTI+. Par exemple le livre Bergère (de Florence Debove NDLR), c’est un récit sur les paysages, sur le lien à la nature et sur le métier de bergère (encore très masculin), mais c’est un regard de femme, ce qui reste quand même rare. C’est cette pluralité-là que j’ai envie de proposer et surtout pas des livres d’entre-soi. Tu peux entrer dans la librairie par ce type de bouquins et après tu vas en lire d’autres. C’est pour ça que je ne vois pas de frein par rapport au milieu rural.

Et pour les personnes de la communauté, c’est comme le refuge que tu trouves enfin dans ce vaste hétéroland qu’est la campagne (encore aujourd’hui même si tout peut changer !).

Quel impact tu rêverais d’avoir avec ton projet ?

Ce que j’aimerais, c’est que, grâce à la présence de la librairie, des personnes lisent les bouquins et se retrouvent. Pour moi, pendant tellement longtemps, comme pour beaucoup de personnes de ma génération et des générations au dessus, la littérature LGBTI+ était inexistante, les représentations, les modèles, même les mots nous manquaient… Lire des histoires qui nous parlent c’est tellement important, donc mon objectif c’est que des gens trouvent ce qu’iels cherchent et qu’iels ne trouvent pas forcément ailleurs.

Comment on peut t’y aider ?

Eh bien en participant à la campagne de financement participatif Kengo qui a lieu jusqu’au 27 octobre ! Vous pouvez aussi diffuser l’info de l’ouverture (soirée d’ouverture le 1er décembre !) et puis tout bientôt, venir acheter des livres.

Est-ce que tu peux citer 3 livres qui représentent bien ta librairie, ce que tu as envie d’en faire ?

Alalah c’est la question que je déteste, c’est trop dur…

Forcément, il y a Les Guerillères de Monique Wittig parce que j’adore ce bouquin et que c’est le nom de la librairie MAIS (rires) c’est pas du tout un bon exemple parce qu’il n’est pas très accessible, notamment dans sa forme littéraire. Par contre, certains passages fonctionnent très bien en lecture à voix haute et j’arrive à l’amener de cette manière.

En fait, je pense surtout à plein de BD parce que, en soi, ce sont des livres hyper accessibles, qui peuvent parler de choses complexes ou difficiles de manière super facile. Par exemple, les BD de Mirion Malle ou La lesbienne invisible (de Murielle Magellan et Océan NDLR).

Ah ! Sinon j’ai un bon exemple : en ce moment je suis en train de lire L’évaporée de Wendy Delorme et Fanny Chiarello. C’est un livre court avec des chapitres courts et ce sont deux narratrices qui parlent d’une rupture. Alors oui c’est une histoire lesbienne, donc forcément c’est très beau (rires) mais en fait c’est super universel, ça peut parler à tout le monde.

Bon et puis je rajoute aussi la série courte de mangas Le mari de mon frère (de Gengoroh Tagame NDLR) qu’on peut lire à partir de 10 ans mais qui fonctionne bien pour des adultes aussi. En fait il y a le récit et à côté, plein de petits encarts explicatifs donc je trouve ça super pour découvrir. Et comme c’est le point de vue d’une petite fille, si tu lis ça en tant qu’adulte, tu peux ne pas te sentir trop con·ne s’il y a des choses que tu ne comprends pas !

Vous pouvez soutenir Clotilde juste ici sur son Kengo et vous pourrez découvrir tous ces livres et bien d’autres dès l’ouverture de la librairie le 1er décembre !

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