Lettre à mes copains pédés[1]
On vient de finir le dry january, on a la gueule de bois, autant à cause de notre dernière cuite que des infos qui soulignent la violence toujours plus grande à l’encontre des communautés minorisées. Dans cette mer de morosité, c’est une bouteille remplie d’amour que je souhaite lancer. Je vous aime, et je pense qu’il est important de vous le dire. C’est toujours important de dire l’amour, même si c’est plus facile, peut-être plus viscéral aussi de dire la colère, la rage, la révolte. Moi, la gouine féministe, plutôt militante, je vous aime, vous mes copains pédés. Je vous appellerai pédés ici, puisque c’est comme ça que vous vous définissez, comme moi je me définis en tant que gouine.
Dans nos cercles militants, il est de bon ton de vous désigner comme l’ennemi, et vous êtes souvent au cœur de polémiques dont le sens et la finalité m’échappent parfois. Pourtant, je sais qu’il y a beaucoup de bonnes raisons pour cela. En tant que gouine, j’ai été parfois (souvent) agacée de la place que prenaient les pédés dans les réunions militantes. C’était ma place qu’ils prenaient, ma parole qu’ils confisquaient. Et oui, vous ne pouvez pas vous défaire d’une misogynie construite par la société. Comme je ne peux me défaire du racisme inhérent à ma blanchité. Vous êtes sexistes, parce que vous êtes hommes cis, et en tant que tels vous devez l’accepter et tenter de déconstruire ces biais construits socialement. Souvent vous êtes cis et blancs à la fois, et si je ne me permettrais pas de parler au nom de personnes racisées, je sais bien que, de la même façon que les oppressions s’accumulent, les privilèges se confortent les uns les autres. Et la place que vous prenez en est d’autant plus grande.
Vous voulez que je vous dise ? Je vous aime, je ne dirais pas malgré vos privilèges, mais parce que par eux, vous avez permis à la jeune gouine que j’étais il y a dix ans, de devenir la bad ass bitch que je suis aujourd’hui, celle qui a le courage aujourd’hui de vous signifier que vous prenez trop de place, de vous reprendre quand vous dites des énormités et de vous faire les gros yeux.
Je vois bien la violence que vous renvoient parfois vos échanges avec d’autres militant.e.s et je ne cherche pas ici à en nier les fondements : les reproches qui vous sont adressés sont parfois légitimes. Mais je pense que l’on devrait parfois prendre plus de recul et se souvenir de ce que ça veut dire pédé, dans l’histoire de nos luttes.
Je sais aussi que c’est par vos privilèges que vous avez pu ensuite porter la voix de celleux qui n’en avaient pas. Est-ce que ça excuse quoi que ce soit ? Non, bien sûr. Toutefois, c’est grâce à vos privilèges que les droits de nos communautés ont pu avancer.
Grâce à vos privilèges et à vos tragédies aussi. Le sida n’a, bien sûr, pas décimé que les communautés gay blanches, mais ce sont bien les pédés qui ont rendu visible la lutte contre la maladie. C’est aussi à ce moment-là que les revendications sur le mariage pour tous.tes ont vu le jour, parce que l’épidémie, tuant vos compagnons, vos partenaires, laissait les couples fragilisés et le mariage apparaissait alors comme une forme de protection juridique nécessaire. En écrivant ces mots, je repense à la tribune que vous avez publiée dans le Huffington Post où vous disiez être prêts à donner votre sperme en solidarité avec vos soeurs lesbiennes et célibataires, ce n’est peut-être que bien peu de choses, mais cette marque de solidarité est source de réconfort quand nous, lesbiennes, voyons nos vies disséquées, critiquées, repoussées au ban de la société, à longueur de journée.
Nos communautés ne doivent pas perdre de vue l’histoire de nos luttes. Cette histoire n’est pas un blanc-seing que l’on vous donne pour dominer nos luttes indéfiniment, mais elle vous dissocie irrémédiablement du mâle cis-hétéro-blanc-CSP+ qui nous muselle tou.te.s.
Si j’osais, je dirais d’ailleurs que c’est cette même visibilité qui nous dérange tant qui vous rend vulnérables dans la société. C’est cette même visibilité qui font que les insultes enculé ou pédé ou encore tapette sont si présentes dans le langage quotidien. C’est toujours votre sexualité qui est montrée comme repoussoir. C’est votre sexualité qui fait que l’on vous agresse dans la rue, que l’on vous crache dessus, que l’on vous frappe et que l’on vous tue. En 2019, deux d’entre vous ont été assassinés en région parisienne, de nombreux autres attaqués au couteau. Qui s’en est ému ? Qui connaît les noms des victimes ? Avons-nous fait une marche ou un texte de soutien ? Non. Rien. Rien de rien. Qu’on ne s’y trompe pas, il y a plus vulnérable qu’un pédé dans la société aujourd’hui, mais n’oublions pas toutes les agressions dont vous êtes victimes en raison de ce que vous êtes.
Oui, vous avez la chance d’être parfois mieux lotis sur certains aspects que d’autres communautés, vous avez plus d’espaces de sociabilité. Mais dire cela, c’est aussi oublier les nombreux problèmes que vous continuez de rencontrer, du VIH aux troubles psy en passant par les addictions – sans parler des violences sexuelles que souvent vous avez subies et qui restent passées sous silence tant les espaces pour en parler sont inexistants.
D’ailleurs, je me demande où vont ceux de mes camarades les plus politisés, les plus pro-féministes même, quand ils veulent se retrouver pour construire les outils nécessaires à leurs luttes, quand ils cherchent à créer des solidarités politiques. Nous, on a la Mut’. Mais vous ? Où pouvez-vous aller ?
Et est-ce qu’avoir plus d’espaces de sociabilité (festive notamment) doit faire de vous des ennemis ? Est-ce que cela justifie un rejet en bloc de ce que vous êtes, de votre militantisme, au motif que vous êtes, parfois, des mecs cis ? Je ne le pense pas. Au contraire, il est impératif, il me semble, d’utiliser votre visibilité pour faire avancer nos causes, c’est d’ailleurs ce qu’il s’est toujours passé dans l’histoire de nos luttes. Veillez à rendre la parole à celleux qui sont les premières concernées dans les débats, mais utilisez, dès que vous le pouvez, vos privilèges pour le faire.
A titre personnel, vous m’avez toujours accompagnée, voire poussée dans mon parcours de lesbienne notoire. Vous êtes mes meilleurs amis, mes confidents, mes camarades, ma conscience parfois. Vous m’avez donné confiance en moi et vous avez toujours fait en sorte de créer les espaces où je pourrais m’exprimer. Vous écoutez ce que j’ai à dire et me portez avec amour et bienveillance. Peut-être est-ce simplement que j’ai beaucoup de chance et des amis merveilleux… Mais même si ce n’était que pour ceux-là, je continuerai à vouloir me battre à vos côtés et à voir en vous mes plus précieux alliés.
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Merci à David, Benjamin, Maxime, Julien, John pour leur aide et les relectures et à Hugo pour ses broderies.
[1] et cis