Lettre ouverte de contributeurices LGBTQIA+ à Wikipédia

Suite à de nombreux articles de presse sur le traitement des personnes trans sur Wikipédia, plusieurs contributeurices LGBTQUIA+ ont rédigé cette lettre ouverte que nous publions aujourd’hui sur Friction Magazine.

Du 12 au 25 février, un sondage a demandé à l’ensemble des contributeurices de Wikipédia en français leur opinion sur la présence du deadname des personnes trans* dans leur biographie. Malgré un consensus clair au sein des projets LGBT et transidentité de Wikipédia, la communauté dans son ensemble s’est prononcée par une faible majorité en faveur de la mention du deadname. Nous sommes en position minoritaire, sur Wikipédia comme à l’Assemblée nationale : c’est inévitable.

Il a été demandé à l’ensemble d’une communauté très peu diverse, et dont le manque de diversité est su et documenté depuis plus de quinze ans, de se prononcer, sans compréhension préalable de l’enjeu, sur un point qui concerne 0,2 % des biographies. Un point qui, de par ce chiffre, est donc mineur pour la communauté… sauf pour ses membres directement attaqués dans leur identité et qui sont pourtant en droit de se sentir respectés.

Une attaque qui se répercute ensuite sur nos lecteurices trans*, qui vivent déjà dans un climat globalement hostile et une explosion des violences transphobes en 2021. Le choix de favoriser une forme « d’exhaustivité » de l’information par rapport au respect de la volonté des personnes trans* était prévisible. Nous nous en désolons cependant.

Ce vote a été accompagné de nombreux commentaires. Il a aussi résulté en diverses sanctions allant jusqu’au blocage indéfini de certains comptes. Plusieurs de ces commentaires disent plus ou moins explicitement que la contribution des personnes trans*, mais aussi de leurs allié·es femmes et/ou queers, était par nature suspecte, « militante », « biaisée », et donc moins légitimes que les autres, celles de la majorité des contributeurices et la quasi totalité des admins de l’encyclopédie.

Il a été évoqué d’empêcher une contributrice trans de pouvoir écrire sur la transidentité, soi-disant « pour son bien ». Une mention « content warning: transphobie » a été considérée comme une attaque personnelle violente. Une instance Mastodon LGBTQIA+ a été décrite comme un réseau organisé de personnes qui veulent influencer Wikipédia sans y contribuer, comme si nos identités étaient par nature incompatibles avec un engagement sincère au sein de l’encyclopédie.

Nous, contributeurices LGBTQIA+ à l’encyclopédie, regrettons amèrement la façon dont ce sondage a été tenu et tous les avis en faveur des deadnames qui y ont été exprimés, comme nous regrettons le sondage d’il y a quatre ans qui bannissait de facto l’usage du pronom « iel » et qui a abouti à un style de rédaction particulièrement lourd sur les biographies de personnes non binaires.

Nous récusons toutefois la fausse dichotomie qui nous ferait choisir entre, d’un côté, nos valeurs, nos identités, et notre solidarité envers tout·es les membres de la communauté LGBTQIA+, et, de l’autre, notre légitimité à contribuer à Wikipédia.

Nous tenons plus que tout au libre partage de la connaissance, toute la connaissance, y compris celle de nos histoires, de nos cultures et de nos imaginaires. Les principes fondateurs de l’encyclopédie nous tiennent autant à cœur qu’à n’importe quel·le autre contributeurice et nous en avons assez d’être sans cesse renvoyé·es aux marges. Nous demander de laisser nos identités au vestiaire, c’est nous demander de ne pas donner le meilleur de nous-mêmes. 

Malgré la multitude d’études et d’analyses disponibles, l’archivage est un enjeu énorme pour les communautés LGBTQIA+. Aujourd’hui, nos structures ont du mal à exister dans la durée, il est encore difficile de faire vivre non seulement notre presse, mais aussi nos organisations associatives ou privées. Le projet de lieu d’archives à Paris traîne malgré l’immense travail bénévole pour le faire vivre, les librairies peinent à survivre, trop peu d’universitaires francophones peuvent se consacrer pleinement aux histoires, aux sociologies, aux cultures de nos communautés. Dans ce contexte, nous pensons qu’il est pertinent, pour les personnes qui le souhaitent, de s’impliquer dans Wikipédia.

Car si l’encyclopédie est un projet qui a bien évidemment ses limites, qui viennent de ses choix radicaux d’être sous licence libre et de fonctionner selon la « neutralité de point de vue », mais aussi des imperfections des personnes qui s’y investissent, elle est précieuse. Wikipédia reste l’un des rares espaces en ligne qui soit non-marchand, non soumis aux censures néfastes qui s’exercent sur X/TwitterInstagram ou Tiktok, et préservé de la médiocrité de l’IA générative. Wikipédia, c’est aussi un espace multilingue par nature, permettant de sortir de l’unique référence à la seule perspective venue des États-Unis qui est si prégnante dans les milieux queers. Nous voulons la préserver.

Tout en restant lucides quant à l’état de nombreux articles de l’encyclopédie, nous nous réjouissons du travail qui y est accompli, par nous ou par d’autres, que ce travail soit sur des sujets essentiels comme l‘identité de genre des personnes autistes ou la transition de genre, ou sur des histoires oubliées comme la biographie de Mademoiselle Raucourt, lesbienne du XVIIIème siècle. 

Des personnes, trop nombreuses, partent ou sont parties en voyant leur santé mentale mise à mal par ce genre de débats. Nous comprenons parfaitement nos adelphes qui font le choix de se tenir loin de l’encyclopédie et ne pouvons que les encourager à rejoindre d’autres structures plus communautaires, telles que Big Tata et son réseau ou le Wiki Trans, voire à en inventer de nouvelles. 

Quant à nous, nous continuerons à enrichir l’encyclopédie. Nous croyons en la mission des projets Wikimédia : « Imaginez un monde dans lequel chaque être humain peut librement prendre part au partage de la totalité des connaissances humaines. C’est ce que nous construisons ». Et nous nous tiendrons toujours à disposition de toute personne qui souhaiterait apprendre à s’investir sur Wikipédia.