Mange tes mots : cabaret littéraire et nourriture pour l’esprit

Au début, je n’ai pas trop compris ce qu’était Mange tes mots, au-delà du fait qu’il ne pourrait y avoir de meilleur titre pour parler littérature et mise en voix. C’est un peu en tâtonnant dans la jungle d’instagram et au gré des follows communs que je me suis intéressée à Galatée & Ginkgo et à leur façon de faire vivre une culture minoritaire, une culture de la marge où les mot peuvent déployer pleinement leurs charmes et leurs puissances. Quoi de mieux de les rencontrer pour finir d’en tomber amoureux·se ?

© Persil Fleur

Hello, pour commencer est-ce que vous pouvez vous présenter ?

Hey ! Nous sommes Ginkgo – aka Héloïse Brézillon – et Galatée – aka Margot Ferrera. Nous sommes poétesses et performeuses mais pas que, en bonnes slasheuses. Ginkgo est actuellement en thèse de recherche et création littéraire à l’Université de Cergy-Pontoise – on s’y est rencontrées ! Elle anime aussi des ateliers d’écriture et fait de la création d’univers, du script-doctoring et de la scénarisation en free-lance dans le monde du jeu-vidéo. Galatée est modèle vivante, hôtesse poétique, assistante de mise en scène pour la Compagnie les Airs Entendus et se forme à l’animation radio.

Depuis quand est-ce que Mange tes mots existe ? Est-ce que vous pouvez nous raconter la genèse du projet ?

MTM fête ses cinq ans, ce mois-ci ! Quand l’idée a germé, on était en master de création littéraire, et on avait toutes les deux envie d’événements collectifs pour se lire et s’écouter de manière festive et douce, tout en sortant un peu des cadres institutionnalisés et universitaires. Ginkgo trainait déjà ses docs régulièrement dans plusieurs scènes slam, et rêvait d’une soirée de poésie un peu différente, plus libre dans son format, sans la « notation » caractéristique de la tradition slam.  L’Ogresse – malheureusement fermée aujourd’hui – avait un creux dans sa programmation et Galatée a saisi l’occasion, puis on a invité toustes nos copaines. Ça a été un joyeux bordel dans ces caves, avec autant de lectures posées et scandées que de musique live et d’autres performances inclassables !

Vous organisez des scènes ouvertes poétiques, pourquoi est-ce important de mettre en avant la poésie ?

Pour nous, la poésie contemporaine se vit, se bouge, se voit, se crie, elle se métamorphose dans chaque voix qui la porte et, surtout, elle appartient à toustes. Bien trop souvent cantonnée aux sphères bourgeoises, la poésie peut avoir une auréole élitiste. Nous, on veut lui ôter sa couronne pour la donner à toustes celleux qui en ont besoin. Parce que la poésie, c’est surement le meilleur moyen qui soit pour transcender le sombre, la violence et la mélancolie, mettre ses mots dessus, se faire alchimiste, transformer ses bleus en or. La scène ouverte permet cette expression libre de l’émotion, ce vécu intime, sincère, brut. C’est primordial pour nous d’offrir des espaces de parole sécures, bienveillants et libérateurs. 

Mais la scène ouverte, c’est aussi un lieu de partage, de lien, et d’expérimentation ! On peut y disséminer une idée nouvelle, voir comment elle résonne, tenter une folie langagière, faire pousser une performance encore à fleurir, échanger sur ce qui a été lu, dériver sur tout autre chose, et rencontrer comme ça ses frères et sœurs de lutte ou ses cousin·es de plume. Notre envie centrale, au fond, est d’amener un climat propice à la découverte et à l’amitié. La poésie est le meilleur des brises-glaces ! 

Et puis, aujourd’hui la poésie se périphérise et franchit la frontière de l’objet-livre, qui est un medium que le grand public lui accole – avec souvent quelques souvenirs d’école, plus ou moins heureux – sans imaginer qu’il peut parfois la retrouver sur un coin de table avec une bière, sur Instagram, dans la rue ou dans une soirée techno. La poésie, c’est nous avant tout et c’est partout.

Racontez-nous comment se déroulent les scènes ouvertes…

Alors… première étape, s’inscrire ! Contrairement à d’autres open mic où ça se fait sur place le soir même, on fonctionne sur inscription par mail en amont. Les fournées d’inscriptions ouvrent une semaine avant la scène, à une heure précise, pour laisser le temps à chacun·e de voir l’info. Il faut être vif·ve, on n’a pas beaucoup de places ! Ginkgo récolte ensuite les blazes et les pronoms de chacun·e, conseille, renseigne et échange autour de la performance que la personne souhaite présenter. C’est important pour nous, car ça nous aide à bâtir un ordre de passage qui met en valeur chaque performance, sans à-coups entre les textes et en variant les plaisirs. Ça permet aussi de préparer sa lecture, ce qui est parfois plus confortable pour certain·es ! 

Crédits photo : Azza Jabnoun

Le soir même, nos scènes se déroulent en deux sets d’une grosse heure durant lesquels Galatée, à l’aide des renseignements glanés lors des inscriptions, présente chaque participant·e et fait le lien entre les temps de poésie, pour se laisser aussi le temps de respirer, passer d’un mood à l’autre tout en douceur. Une fois, on nous a dit que les transitions de Galatée, c’est « de la poésie dans la poésie » et on trouve ça très beau. Petit bonus, un verre est offert par le Lou Pascalou à chaque passage, il faut bien remercier le courage de celleux qui s’expriment ! Entre les deux sets, il y a un entracte, qu’on essaie de faire le plus court possible mais l’ambiance chaleureuse est un vrai défi lancé à la ponctualité, et on continue de festoyer après la scène, bien-sûr… Réunissez des dizaines de poètes·sses, comédien·nes, chanteur·ses, et performeur·euses textuels de tout poil et vous verrez que ça donne une grande joyeuserie électrique !

Qui peut y participer ?

Absolument tout le monde ! On a même reçu un magicien et un lapin sur scène ! C’est l’un de nos credo : on travaille à créer un cadre sécurisant, fantasque et gai où toustes peuvent s’exprimer sur des sujets qui leur tiennent à cœur, avec des textes-chansons-slams parfois très intimes. Mais nos fidèles le savent : nous tenons absolument à ce que chaque participant·e se sente à l’aise, tant dans la salle que sur scène. Alors nous n’hésitons pas à prendre drastiquement – mais de manière courtoise – nos distances avec quiconque aurait un comportement déplacé et/ou tiendrait un discours en inadéquation avec nos valeurs. Pour dire les termes, tout débordement sexiste, raciste, homophobe, transphobe & co n’est pas le bienvenu chez nous. Dans un moment de vulnérabilité comme peut l’être une performance intense ou une écoute attentive, c’est vital de (se) protéger.

© Persil Fleur

Votre dernier appel à contribution avait pour point de départ une citation de Souad Labbize (« Il faut glisser nue / sur la rampe du temps / enfiler la chemise de l’aïeule / pour comprendre »). Comment et pourquoi l’avez-vous choisie ?

Au départ, on a créé un format podcast pour répondre au manque de poésie vivante pendant la première année de la pandémie. Les voix de nos amix de la poésie nous manquaient trop ! Pendant le premier confinement, on a donc décidé de reproduire nos scènes ouvertes en format enregistré, disponible sur Soundcloud. Chacun·e pouvait nous envoyer sa piste sonore et nous faisions un montage, avec les éternelles transitions de Galatée pour lier l’ensemble. Finalement, ce format a pris de l’ampleur et nous finissions par recevoir plus de pistes que nous ne pouvions en diffuser ! 

Et puis les scènes ont pu reprendre, alors on a fait évoluer le format podcasté et on a choisi de guider nos épisodes avec une citation aimée pour proposer un déclencheur créatif à nos contributeurices. Certain·es poétesses écrivent à partir de ce que leur évoque l’image et d’autres se coulent plutôt dans le style même de l’extrait choisi, c’est selon ! Ce qui est sûr, c’est qu’il ressort de chaque appel à contributions une ambiance particulière, une esthétique hommage et un jeu d’écho troublant entre les différentes voix mêlées aux nôtres. Chaque épisode est un petit écrin imbibé de son auteurice phare !

On se réunit toujours autour de Noël avec nos coups de cœur de l’année pour décider quel auteurice partager avec les participant·es l’an suivant. Dans le cas de la citation de Souad Labbize, c’est Ginkgo qui est tombé sur son recueil Enfiler la chemise de l’aïeule, au MUCEM à Marseille : ce fragment nous a semblé être un beau matériau pour creuser l’héritage familial, explorer les filiations et tailler l’arbre généalogique.

Alors si la citation vous parle, vous pouvez nous envoyer votre création de 5mn maximum, format .mp3 ou .wav, à mangetesmots@gmail.com avant le 23 février, 23h59 ! 

Est-ce que vous pouvez nous parler un peu des prochains rendez-vous, des prochaines échéances ?

Nos rendez-vous mensuels– Vous pouvez nous retrouver au Lou Pascalou (Paris 20e) tous les premiers dimanches du mois. Nous y organisons toujours un atelier d’écriture à 16h30, pour se mettre dans le mood (sur inscription également / prix libre avec possibilité de gratuité). La scène commence ensuite vers 18h30 – 19h. C’est entrée libre et gratuite pour le public, pas besoin de s’inscrire, alors venez nombreuxses !

Nos rendez-vous ponctuels – Ce mois-ci, deux fois plus de plaisir : nous ferons, en plus de nos rendez-vous habituels, une scène au Bonjour Madame (Paris 11e) le 21 février. Cette fois, les passages sur scène et l’atelier d’écriture se feront en non-mixité (sans hommes cishet). En revanche, c’est ouvert à toutes les oreilles (winkwink). Les inscriptions ouvriront le 14 février à 18h pour les personnes qui souhaitent lire ou écrire avec nous ! 

En préparation – On vous prépare aussi des surprises pour cette année 2023, qui feront de la poésie une bonne grosse chouille, comme on aime. Restez-connecté·es sur nos réseaux-sociaux pour plus d’infos en temps voulu. Au programme : 

  • Le 28 janvier dernier, nous étions à Rennes avec les ami·es du Krachoir (leur scène est merveilleuse, inclusive et rock, et se déroule dans le bar d’en face, le Saint-Sauveur, en général les premiers lundis du mois). Invitées par la webradio la R22 Toutmonde, on a organisé un plateau radiopoétique suivi d’une scène ouverte retransmise en live : ce joli moment de partage sera disponible en rediffusion très bientôt sur le site de la R22 !
  • Une scène poésie-jam se prépare pour le printemps avec le groupe de garage rock La Bête Aveugle, au Centre Victor Gelez (Paris 20e). 
  • Une scène bien queer mijote en collab avec les très drag-punk TATA BAND·e. D’ailleurs on est à la recherche d’un lieu, si ça te tente et que tu es à la prog d’un lieu cool, fais-nous signe ! 
  • Un festival du turfu combinant les forces de trois collectifs de poésie vivante arrive en bombe sur cette fin d’année ! Les incroyables ami·es du Krachoir et de Cargo (leurs soirées de poésie sur fond techno live sont vibrantes et électriques, prochain rdv le 19 février aux Petites Écuries) nous rejoignent sur cette aventure. On vous en dit plus bientôt.  

Pour ne rien rater de Friction, inscris-toi à notre newsletter !