Mécanique des fluides #1 – « Your body is a battleground »

Salut.

Je m’appelle Maël (joli prénom pour un garçon !)

Je me présente, je suis (entre autres) une artiste photographe, une sorcière, une écrivaine ratée, une apprentie journaliste, une cartomancienne, mais aussi une thésarde bien énervée.

 

JE VEUX QUE CA SAIGNE, QUE CA COULE, JE VEUX REPEINDRE LES MURS.

 

Je travaille sur les fluides corporels du sexe dans l’art et la littérature contemporains – miam miam. Et aujourd’hui, j’ai décidé de vous en parler.

 

Crédit photo Maël Beau Sang

 

STATEMENT

Sperme, lait et sang des règles sont les fluides corporels qui demeurent, dans les représentations dominantes, marqueurs d’une différence sexuelle biologique irréfutable. Or, cette répartition entre « mâle » et « femelle «  est loin d’être aussi binaire : elle est surtout le résultat de constructions culturelles. Comment donc s’emparer de ces fluides spécifiques, comme objet de recherche scientifique, littéraire et artistique, selon une perspective queer ? Ce sera l’enjeu discuté dans la série d’articles que constitue cette nouvelle chronique, « Mécanique des fluides ». Première étape : faisons confiance au potentiel contestataire des fluides, grâce au trouble qu’ils génèrent dans leurs multiples apparitions…

 

MAIS POURQUOI EST-CE IMPORTANT DE PARLER DES FLUIDES ?

C’est vrai, ça. Après tout, éjaculer, avoir ses règles, allaiter, sont autant de « pratiques », subies ou choisies, contraintes ou souhaitées, plus ou moins actives ou passives – et surtout, complètement NORMALES. Banales même. Naturelles.

… Oh, vraiment ?

 

Dans un monde où les questions de genre et de sexe font encore tellement débat (de manière bien regrettable, la société française est vraiment à la bourre en la matière), les détracteurs de la « théorie du genre » ont souvent invoqué le « naturel », justement, en se basant sur « le physiologique », pour expliquer qu’on ne pourrait pas nier les « différences biologiques essentielles ». Aller « contre la naturanh » est une hérésie – saluons au passage la propension à ne pas distinguer du tout sexe et genre, et vous obtenez un argumentaire qui fait figure d’anthologie consommée de l’ignorance.

 

Or, les fluides de la différence sexuelle qui nous intéressent, sont précisément des démonstrateurs de cette différence biologique entre « mâle » et « femelle » – en apparence, il s’agirait donc d’apporter de l’eau à leur moulin. Mais que nenni les amis ! Tout n’est que construction, toujours, et les fluides ne font évidemment pas exception – en fait, ce sont mêmes des exemples nodaux en la matière, véritablement canoniques. Les constructions et représentations culturelles qu’on y met sont loin d’être « naturelles » : bien au contraire, elles révèlent directement la hiérarchie des genres dans notre société, en plein soleil.

 

Crédit photo Maël Beau Sang

 

TROUVER SA VOIE.X

Cela fait maintenant près de dix ans que j’accumule, comme une sale petite obsédée, tout un tas de documentation diverse et variée sur les fluides corporels (avec une approche résolument artistique et littéraire quand même, on ne se refait pas) – et plus particulièrement sur les fluides corporels du sexe: sperme, sang des menstrues et lait. Outre le fait que ces trois fluides réapparaissent sans cesse dans mes photographies, je m’apprête désormais, après leur avoir consacré trois mémoires, trois articles et plusieurs nuits d’insomnies (c’est ça de faire deux masters à la fois), à convertir cette passion dévorante en thèse effective. Je suis convaincue de l’importance de communiquer autour des fluides corporels (on avait compris). J’y consacre une bonne partie de ma vie, et toutes mes recherches académiques. Aujourd’hui, grâce à Sous La Jupe, j’ai l’occasion de vulgariser ce discours scientifique, pour vous, avec vous, afin de décomplexer et de décomplexifier nos rapports et approches à eux. Et j’espère que ça vous intéressera autant que moi.

 

Mener de front une recherche sur les fluides implique une certaine gymnastique schizophrénique : au-delà de trouver sa propre voix, ce qui est demandé en thèse est de s’abstraire suffisamment de l’expérience personnelle pour conduire un discours scientifique « neutre ». Or, ce faisant, on perd de vue le rôle, essentiel à mon avis, de l’affect dans la spirale épistémique de la recherche. La parole qui s’exprime est donc contrainte, aliénée car toujours écartelée entre le témoignage personnel, affectif, et un académisme rigoureux. Ici, j’aimerais faire le contraire.

 

En tant que femme d’abord (je crois l’être, à majorité), mais artiste photographe et chercheuse scientifique également, je possède trois identités, comprises en un seul corps – c’est à dire, sans mentionner que je suis également sorcière, féministe militante, écrivaine, tarologue amatrice, cartomancienne, prof, journaliste critique, etc. Ma propre approche comparatiste du sujet des fluides corporels se développe donc à partir d’influences multiples – tour à tour intime, esthétique, critique ou scientifique.

 

Dans les domaines scientifiques, il n’est jamais requis que ces identités distinctes, pourtant regroupées en une seule persona, se rencontrent effectivement. Il est même toujours tabou, dans certaines sphères, d’oser employer un « je », ainsi résolument militant, face au « nous » institutionnel franchement péteux – en plus d’être barbant. Je suis pas particulièrement adepte de parler de moi à la troisième personne – tout le monde n’est pas Louis XIV, hein.

 

Puisqu’il n’est guère fréquent de rendre compte de la recherche scientifique comme d’une réalité qui peut dériver du pathos personnel, il va sans dire qu’il n’a jamais été souligné encore qu’une pratique artistique pourrait, de surcroît, aider à articuler les deux.

 

Cette série d’articles sur les fluides se propose donc d’étudier la porosité, la fluidité de ces différents corps, de ces différentes identités, autour des liens existant entre recherche, engagement personnel et militance, selon une perspective queer. Il s’agit donc de rendre compte de la difficulté à faire entendre son « je » (le mien, le votre), autour du thème des menstrues, du sperme et du lait particulièrement, et des questions qu’une telle approche soulève légitimement : la façon de communiquer autour de ces trois fluides, avec ces multiples identités interconnectées, et l’importance de le faire, sont des interrogations cruciales, complexes et passionnantes. L’engagement des personnes effectuant des recherches va ce me semble bien au-delà du simple logos dont on nous rebat les oreilles en université – comme s’il était la seule grille de lecture possible. Ainsi, le problème général soulevé par cet engagement, conteste la façon dont la recherche elle-même est normalisée par l’encadrement des cultures scientifiques et institutionnelles. Et vlan, on assume les enfants. Ce qui me guide, c’est un engagement « de corps », et pourquoi pas, « de cœur », y compris dans ses déclinaisons émotionnelles, psychologique, mémorielles, et autres perspectives affectives.

 

Crédit photo Maël Beau Sang

 

LES QUESTIONS QU’ON (SE) POSE DECOMPOSENT

La thématique de ces trois fluides corporels sexués, sexuels et genrés (j’écarte pour le moment, de manière éminemment contestable j’entends, la cyprine), exige que de nouveaux moyens d’expression embrassent toute son étendue. C’est en effet ma conviction, ici, que des années de métaphores, suggestions et allusions, ont complexifié (dans tous les sens du terme) notre approche et notre rapport à ces fluides.

 

Les fluides transmettent ainsi une «esthétique du trouble» qui, en tant que telle, a un potentiel contestataire fort. Manipuler ces fluides, c’est donc manipuler les contenus sémantiques incroyablement denses qui leur sont associés. Ces déclarations – apparemment – simplistes impliquent plusieurs problèmes, aussi complexes et passionnants qu’ils sont encore peu (et mal) abordés. Je propose d’ouvrir le champ des possibles, à ma toute petite échelle, en tant que chercheuse, artiste, et individu avec une expérience propre. Comment reconnaître, poser et décrire les questions subjectives autour des fluides qui manifestent par essence même la différence sexuelle ? Comment éviter les points aveugles de telles questions, c’est-à-dire leur travail inconscient, et comment les intégrer, une fois éclairées, à des travaux de recherche ? Autant d’interrogations, initiées par Marie-Anne Paveau, et qui continuent de troubler. Tout comme le font ces fluides.

 

Je propose en quelque sorte, en somme, de « queerer » l’approche de ces fluides, depuis ma place modeste de chercheuse en discours et en analyse visuelle… mais également de « femme » épicène à l’esprit résolument androgyne, d’artiste, de sorcière, de cartomancienne, et d’écrivaine.

 

Me suivrez-vous dans cette nouvelle mécanique des fluides ? (Pour lire la suite, cliquez-ici)

 

Crédit photo Maël Beau Sang