Hier, sur un coup de tête, j’ai décidé d’aller à la Menergy où je n’étais pas allée depuis 6 ou 7 ans. Je manque clairement de sommeil en écrivant ces lignes mais je me sens légère comme je ne l’ai pas été depuis longtemps. Je te raconte.
Vendredi soir, je suis une boule de nerfs, j’ai des problèmes de santé, des problèmes au travail, j’organise un événement, et pas n’importe lequel, un sauna lesbien. En retard, dans le bus, c’est l’épiphanie : ce qu’il me faut, c’est mettre ma tête dans des caissons, c’est péter mon crâne sur de la musique. J’envoie deux trois messages, je prends ma place en ligne et advienne que pourra. Cette nuit, j’irai à la Menergy.
La Menergy ? Cette soirée de pédés bruns barbus qui se ressemblent tous ? Oui, celle-là même. Je quitte le sauna, je prends un noctilien, et je débarque à 02h40 devant les portes du Gibus. Nicolas à la porte me chambre un peu : ah tu as sans doute loupé tes amis, c’est pas une heure pour arriver, tu vas être seule. Je viens de me faire 10 jours seule en Tchéquie, je peux gérer d’être seule entourée de pédés. Alors oui, j’ai mis du temps à distinguer mes amis dans une foule de mecs plus beaux les uns que les autres et oui, majoritairement bruns et barbus. Fais le beau est au platine, l’ambiance est plus moite que le sauna dont je sors, le son est bon. Je me dirige vers le bar. Ah le bar du Gibus, on en a fait des blagues, sur ses tarifs, sur ses consos. Ma vodka-redbull en main, je fends la foule. Je crois qu’à part l’apparente uniformité du public, la première chose qui me frappe c’est cette capacité qu’ont les gays d’aller d’un point A à un point B sans faire de circonvolutions inutiles. Les corps se collent mais ne se gênent pas. Le mien disparaît. Je ne m’excuse pas d’être là. J’ai le droit à un tu t’es perdue ou quelque chose comme ça. Je réponds d’un sourire avant de monter aux toilettes. Foule dense et humide. On me laisse passer aux toilettes fermées, deux mecs qui attendaient clairement pour entrer ensemble s’excusent presque de vouloir utiliser la cabine.
Et vient le temps de la danse. Je me sens comme un petit ilôt sombre au milieu d’une marée de corps. Et puis je retrouve ma bande. Et vient le temps de la danse. Et vient le temps d’une invisibilité totale : un moment de liberté pure où je n’existe que pour moi et mes proches, sans aucune objectivation, aucune sexualisation, aucun jugement. Je peux danser danser danser. Je me coule dans les vagues et les remous des corps.
Le plaisir qu’on peut prendre à une soirée est multifactoriel. Et je comprends celles et ceux qui ne se sentiraient pas à l’aise, là, maintenant, tout de suite. Moi, ça me fait l’impression d’une grande et profonde bouffée d’oxygène. Je tape des poings en rythme, mes pieds quatre quatre. Il n’y a que la fête. Je ferme les yeux, parfois. Je souris, parfois. Je transpire, j’exulte.
Je n’ai pas compté exactement, mais je pense qu’en tout et pour tout, nous sommes 5 filles ce soir. Et il se crée dans nos regards une forme de complicité, comme si on avait grapillé un moment précieux. On s’est immiscées dans cette bulle à laquelle nous n’appartenons pas et qui pourtant nous berce.
Mes amis partent. Il est un peu plus de 04h30. La musique de Babybear tape un peu plus : je veux taper du pied. Je décide de rester. Et je crois bien que ça ne m’est jamais arrivé de rester seule dans une soirée en me sentant parfaitement absolument et totalement en sécurité. Je reprends un verre, je me mets un peu en retrait de la piste de danse, et puis non. Ce que je veux c’est sentir cette joie du corps, je m’enfonce dans le public encore dense. Je sais que je souris, d’ailleurs cet Anglais me le fait remarquer. Je lui dis qu’il est beau, il me souhaite une bonne soirée. Je souris encore.
Je sais que c’est une soirée dans laquelle certains gays eux-mêmes se sentent mal à l’aise, et je peux le comprendre. Mais moi, la lesbienne éreintée, stressée et surmenée, je prends enfin du plaisir. Un plaisir tout simple. Et quand la musique devient plus calme, je me mets en retrait et une chose me frappe : c’est beau. C’est beau ce moment au ralenti où les corps se rapprochent encore et les langues se mélangent.
Alors hier c’était peut-être la journée de la visibilité lesbienne, et j’aurais beaucoup de choses à en dire, mais aujourd’hui j’ai adoré être invisible, ilôt sombre dans une marée de corps. Loin de toute objectivation, toute sexualisation.
Il ne me faudra pas plus de 3 minutes en sortant du club pour qu’un chauffeur dans un fourgon se mette à rouler très doucement à ma hauteur, en faisant des réflexions sur ma tenue et en me proposant, graveleux, de me déposer quelque part. A tout prendre, je garde la nuit, les basses, et les bruns barbus torse nu.