MOÎPPEN MAMA ! un film à soutenir

Dans MÔIPPEN MAMA, Cécile Friedmann, que l’on connaît aussi sous le nom de Chill Okubo pour son travail de photographe, filme en caméra subjective un voyage au Japon qu’elle a effectué avec sa mère Japonaise. Elle a lancé récemment une campagne de financement participatif pour finaliser son projet.

Tout a commencé avec l’annonce de la triple catastrophe qui a touché le Japon en 2011. La réalisatrice, renvoyée à la perte de sa maison familiale lors du tremblement de terre de Kôbe en 1995, a senti monter en elle une profonde angoisse liée à l’idée que ce qui constituait son identité japonaise était en train de disparaître. Un premier voyage a donc lieu, en 2011, pendant lequel Cécile Friedmann prend des photos de la catastrophe, mais également des scènes de vie de ce pays qui se reconstruit peu à peu. « La catastrophe a très vite été réduite à Fukushima et aux questions en lien avec le nucléaire. Elle présente d’ailleurs sur son site son premier voyage de 2011 et l’exposition des photos qu’elle a prises à cette occasion.

« Comment représenter l’irreprésentable ? Comment parler de quelque chose qui ne se voit pas ? » Ce sont ces questions qui ont guidé le travail de Cécile Friedmann. Elle décide de filmer ce nouveau voyage. « Filmer pour retracer le chemin, celui de la mémoire, du temps qui passe. » Cécile Friedmann parle de l’importance de la notion d’ impermanence des choses . D’ailleurs, cette importance de la répétition est présente dès le titre du film MÔIPPEN MAMA qui signifie « encore une fois, maman » en japonais. Parallèlement à ça, elle constate que tout ce qui lui parvenait au sujet de la catastrophe émanait de Japonais vivant sur place ou à l’étranger, jamais de celles et ceux qu’elle appelle les « in between », terme qu’elle préfère à « métisse ». Cette question de la double identité, de l’entre deux géographique, est également au cœur du film qu’elle réalise. D’ailleurs, le premier titre qu’elle avait choisi pour le film renvoyait à cette notion de l’entre-deux en japonais.

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Une image de Haruyuki Ôkubo, le grand-père de la réalisatrice, dans le film MÔIPPEN MAMA! 

La réalisatrice a également intégré les films réalisés par son grand-père et qu’elle a pu voir au musée de Kôbe à qui ils avaient été légués. Ces films représentaient beaucoup pour la réalisatrice qui n’a jamais connu son grand-père et qui a par ce biais retrouvé un peu de cette mémoire qu’il a choisie de laisser comme trace de sa vie. Pour totalement finaliser son travail, Cécile Friedmann a lancé une campagne de financement participatif sur Ulule, dernière étape avant la diffusion du film dans les festivals et la recherche d’un distributeur.

MÔIPPEN MAMA ! est un projet très personnel et très dense, Cécile Friedmann a choisi de privilégier la justesse et la nécessité de chaque thème abordé dans le film qui est désormais en phase de post-production. Elle a accepté de nous présenter le film dans le long entretien qui suit. 

D’où est venue l’envie de réaliser un long-métrage documentaire? Et avant cela le reportage photos?

D’abord le documentaire photographique :

En 2011, face aux informations parcellaires données par les médias français, j’ai eu envie d’aller voir par moi-même et de produire des images.

En effet, j’ai senti qu’il y avait un contrôle de l’information de cette triple catastrophe réduite à la seule catastrophe nucléaire. Le fait que ce type de catastrophe ait pu se produire dans un pays occidentalisé comme le Japon dérangeait le lobby nucléaire français car contrairement à Tchernobyl, la catastrophe avait eu lieu dans un pays «  riche » et donc rendait cette catastrophe possible dans n’importe quel pays désormais. 

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(c) Chill Okubo, photo prise à Tamagawa Onsen le 08.08.2011

J’ai proposé à ma mère d’aller voir par nous-même ce qu’il se passait véritablement et de rapporter une série photographique pour ré-informer et montrer le Japon d’après. Chose que je n’avais pas pu faire lors du séisme de Kôbe en 1995 qui détruisit la maison de ma grand-mère.N. Sarkozy et les dirigeants d’Areva et Veolia sont partis avant la fin du mois de mars rendre visite aux japonais, officiellement pour rendre hommage aux victimes, officieusement pour vendre un projet de traitement de l’eau contaminée qui a coûté plusieurs centaines de millions d’euros au gouvernement japonais. Qui d’ailleurs a été un échec.  Pendant le voyage, nous nous dirigions vers Ichinomaki. Bouleversée par le paysage en ruines derrières les vitres du bus, ma mère m’a annoncé que ce serait peut-être la dernière fois que nous voyagerions au Japon. Je pense que cela a été l’un des éléments déclencheur majeur qui m’a poussée à assumer ma double identité jusqu’à la revendiquer. Puis finalement ma mère y est retournée deux fois en 2012. En 2013 elle me proposa d’y retourner ensemble. Nous sommes parties trois semaines après la proposition.

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(c) Chill Okubo, Le tournesol, Minamisanrikuchô, 05.08.2011

Par ailleurs, en réalisant le catalogue de mon exposition peu de temps avant, je me suis retrouvée confrontée à la question de la mémoire et l’oubli. En effet, je me suis rendue compte en re-parcourant mes classeurs de planches contact que j’avais révélé certaines images parmi tellement d’autres qui ont fini pour la plupart d’entre elles dans l’oubli. Et j’ai pris conscience que le fait d’avoir réalisé cette série en 2011 m’a fait choisir celles dont je me souviendrais. J’ai compris qu’un des axes de ce voyage tournerait autour de la mémoire et de l’oubli : nos mémoires respectives et notre mémoire commune de ce premier voyage. En considérant ce deuxième voyage comme un reenactment du premier séjour, j’ai pensé à quelques mises en scène, et notamment à intégrer le premier voyage en confrontant ma mère aux images d’avant. Une manière de mêler la construction de la mémoire avec la mémoire photographique. 

  • Tu présentes le film comme le portrait de « deux in between », c’est-à-dire ? De qui ou de quoi le film est-il le portrait ?

C’est le portrait de ma mère, japonaise vivant à Paris depuis plus de quarante ans aujourd’hui, à travers mon regard, née in between, d’une mère japonaise et d’un père français.  Mais c’est aussi l’histoire d’un lien entre une fille et sa mère, qui se développe vers un lien trans-générationnel grâce à l’intervention des films de mon grand-père japonais et de sa mémoire laissée.

C’est aussi l’entre deux cultures, entre les deux langues : le français et le japonais. En effet, j’ai décidé par exemple d’avoir un dispositif très clair pendant le tournage qui était celui de lui poser les questions toujours en français et de lui laisser le choix de répondre en français ou en japonais.

Mais à un moment donné, je me fais prendre par mon propre jeu, je lui parle en japonais et lui pose des questions en japonais.

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Je me pose la question du mimétisme. Il m’arrive souvent au Japon d’adopter les gestes de ma mère, ou bien même des gestes, des comportements physiques japonais, parfois même à l’extrême, ce qui est très étrange. Cela se produit surtout lorsque je suis là-bas, comme si cela permettrait de légitimer mon identité japonaise.

Il y a l’entre deux frontières. J’imagine une passerelle qui relie les deux frontières. J’aime beaucoup cette image car elle me rappelle le sanctuaire d’Ise où je me suis rendue compte que dans la religion shintô, il y a des grandes portes représentant un seuil, annonciateur d’une entrée ou sortie d’une zone sacrée. Face au seuil situé devant le pont, il faut donc se retourner vers la zone d’où l’on vient pour la saluer, puis passer le seuil et traverser le pont jusqu’à l’autre porte, renouveler le salue en direction de cette nouvelle zone sacrée, puis franchir la porte «  seuil ». Les deux pays sont sacrés et sont aussi importants l’un que l’autre. Chaque fois que je pénètre l’un, je n’en sort pas indemne, j’emporte des choses de celui-ci avec moi lorsque j’emprunte la passerelle et vice versa. La passerelle se transforme peu à peu en un laboratoire de mélange, d’association, de distinction entre ces deux zones. C’est ma zone.

Enfin, dans l’entre deux, il y a un espace où, peut-être, on peut parler de Mujô. Cet état de vide, de rien, cet état de la disparition qui laisse place à une nouvelle apparition possible. Et ce rien qui renvoie à la mémoire de ce qui a disparu, mais aussi à quelque chose de nouveau.

Par ailleurs, la ruine, matérielle, renvoie à la décomposition et au devenir à disparaître. Elle contient la mémoire du bâtiment construit et à la fois son état transitionnel en devenir/transformation vers l’état de rien.

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Tu écris que la notion « d’impermanence des choses » est au cœur du film. Qu’est-ce que cela signifie exactement ?

J’ai envie de citer un bout de texte du livre de Murielle Hadlik, Traces et fragments dans l’esthétique japonaise, car il me semble éclairer cette notion. « Dans l’esthétique japonaise, il semblerait que l’absence même – la chose { absente} – contient de manière rétrospective le temps, et peut aussi être considérée comme richesse. Ainsi par une sorte de retournement, ce devenir (négatif) voué à disparaître contient déjà en germe quelque chose de positif. Car, dans l’idée d’un éternel cycle de la nature, ce qui retourne vers le rien {ce qui aujourd’hui disparaît}, est voué à renaître un jour. »

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Comment s’exprime ton attachement pour la photographie dans le film lui-même ? Est-ce un film « de photographe » ?

Mon attachement pour la photographie s’exprime de différentes manières dans le film. En effet, il y a des mises en abyme des moments où je fais des portraits de ma mère dans des lieux qui suivent le trajet de notre voyage et du film. C’est la mise en place d’une photographie, la construction et l’élaboration d’une photo. De sa mise en scène jusqu’à l’instant T qui apparaît sur la pellicule ou en image dans l’appareil.

Il y a un également une séquence plus axée sur le cinéma, le hors-champ, le dialogue, où je pose la caméra fixe et tout se déroule en hors-champ. C’est un dialogue sur notre rapport respectif à la photo, où d’ailleurs elle me révèle son lien à la photographie que j’ignorais jusque cet instant et celui de mon grand-père, et où je lui montre l’outil photographique.

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Je l’exprime également à travers le passage du temps. Quelques fois, je décide d’arrêter le film sur un photogramme de ce qui se passe en mouvement précédemment. Il y en a qui ont vraiment eu lieu, et il y en a d’autres que nous avons choisis au montage.

J’entends par là que lorsque je prends une photo, c’est un instant que je choisis, que j’attends ou pas, mais qui se produit devant moi et que je choisis d’impressionner. […] L’intérêt également de l’avoir tourné avec un appareil photo me permettait cela. C’est d’ailleurs ainsi que j’utilise cet appareil. Il m’arrive souvent d’interrompre une séquence pour prendre une photo plutôt que seulement prendre une photo ou seulement filmer. Je me situe vraiment dans cet entre deux, où je ne peux choisir. C’est pour cela aussi qu’aujourd’hui j’ai arrêté la photographie numérique et ai décidé de ne plus photographier qu’en argentique. Ça m’oblige à faire ce choix. Filmer ou photographier. Ce n’est pas pour autant un film de photographe, je pense.

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Pourquoi le crowdfunding ? Que manque-t-il au film pour être totalement fini ?

Parce que le crowdfunding est une nouvelle forme parallèle de production de projet.

Rien que de monter le projet de crowdfunding, c’est déjà un exercice de concrétisation du projet en soi. Sauf qu’il ne faut pas convaincre seulement des professionnels du métier mais un public, un futur public. Et ça aide le projet à se renforcer également. Et lui permet d’exister dans une économie parallèle.

Il reste quelques jours de montage son qui nécessitent la location d’un studio de montage son, puis quelques jours de mixage qui nécessitent aussi la location d’un auditorium, et enfin l’étalonnage. Après cela, il faudra faire un support de diffusion pour pouvoir le projeter et des DVDs avec les sous titres respectifs (anglais, français, espagnol ou japonais) selon les festivals auxquels il sera envoyé.

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L’affiche du film (c) Léa Le Berre

Pour soutenir MOÎPPEN MAMA ! : https://fr.ulule.com/moippen-mama/

La page Facebook du film : https://www.facebook.com/moippenmama.lefilm

http://www.chill-okubo.com/

Sauf mention contraire, les images sont toutes extraites de MÔIPPEN MAMA!  L’affiche du film (c) Léa Le Berre