Je n’ai jamais bien dormi. Du plus loin que je me souvienne, aller me coucher a toujours été quelque chose de difficile. Mais depuis cette année, quelle que soit l’heure de mon coucher, je me réveille quasi toute les nuits entre 1h30 et 3h du matin sans pouvoir me rendormir. Mais quelle est la charge de l’insomnie ? Quel poids supplémentaire fait-elle peser sur les personnes atteintes de troubles de l’humeur ?
L’hyperexcitation cognitive comme cause de l’insomnie
Après une période d’arrêt maladie où j’ai ré-appris à enchaîner quelques heures de sommeil, sans toutefois faire des nuits complètes de façon systématique, depuis que j’ai repris le travail le sommeil semble avoir décidé qu’il préférait avoir à faire à des personnes moins rétives. L’hyperexcitation cognitive, qu’on appelle aussi pensées intrusives persistantes, joue un rôle crucial dans la manifestation des troubles du sommeil, notamment l’insomnie. C’est ce bouillonnement intellectuel incessant, cette spirale de pensées récurrentes, de soucis et de rumination. Lorsque je m’éveille au milieu de la nuit, il y a toujours un laps de temps plus ou moins long où je me persuade que je vais me rendormir. Je lis quelques pages, je bois une tisane, j’essaie de me recoucher. Et immanquablement, je finis par rallumer la lumière, attraper mon ordinateur et me mettre à travailler.
Des recherches, telles que celles menées par Harvey et Tang (2012), ont montré que les individus souffrant d’insomnie ont tendance à présenter une activité cérébrale accrue pendant la nuit, en particulier dans les régions associées à la rumination et à l’anxiété, ce qui entrave le processus d’endormissement. Une autre étude, de Riemann et Voderholzer (2003), a montré que les personnes insomniaques avaient tendance à avoir des pensées plus nombreuses et plus préoccupantes avant le coucher, ce qui prolonge le temps nécessaire pour s’endormir. Cette activité intellectuelle intense est, en plus, exacerbée par des facteurs tels que le stress, l’anxiété, et les habitudes de sommeil irrégulières, créant ainsi un cercle vicieux où l’incapacité à s’endormir alimente davantage les préoccupations et l’agitation mentale. En fin de compte, comprendre et traiter cette hyperexcitation cognitive est crucial pour la gestion efficace de l’insomnie.
Mais L’insomnie a un coût. Elle exerce une charge mentale significative sur les personnes qui en souffrent. C’est tout leur fonctionnement cognitif, émotionnel et comportemental qui en sont affectés. Cette charge mentale peut se manifester de plusieurs manières. Après plusieurs nuits d’insomnies, on constate une détérioration de la concentration, de la mémoire et des capacités cognitives dans leur ensemble.
Par ailleurs, sur le plan émotionnel, l’insomnie cause aussi du stress, de l’anxiété et de la dysrégulation émotionnelle. Le manque de sommeil perturbe la régulation de l’humeur, en résulte alors une sensibilité émotionnelle accrue et des difficultés à faire face aux stress quotidiens. C’est le serpent qui se mord la queue, moins je dors, plus je suis anxieuse, plus je suis anxieuse, moins je dors.
C’est quelque chose que j’expérimente dans mon quotidien, la pression du travail génère un stress qui cause, à n’en pas douter, une dégradation de mon sommeil. Or, je deviens plus sensible aux facteurs de stress dans l’exercice de mon métier. Je suis alors plus anxieuse, et, en définitive, je dors moins. On m’a bien dit de « débrancher du travail » pourtant, c’est ma première pensée lorsque je m’éveille au milieu de la nuit.
Le coût de l’insomnie
La charge mentale liée à l’insomnie peut également se manifester par des changements comportementaux, tels qu’une diminution de la motivation, de l’initiative et de la productivité. Là encore, cela se traduit par une dégradation de ce que je perçois comme la qualité de mon travail. Je suis sans cesse épuisée psychologiquement et je termine mes journées de travail sur les rotules, avec le seul désir de m’abrutir de séries stupides et de plats préparés. Ce qui, ponctuellement, est bien agréable mais lorsque c’est tout ce dont vous vous sentez capable, jour après jour, je peux vous assurer que ça joue sur votre estime de vous-même. Et là encore, on retombe dans les cercles vicieux des causes et des effets des troubles du sommeil.
L’insomnie exerce une charge mentale considérable qui affecte tous les aspects de la vie quotidienne. Comprendre ces effets est crucial pour développer des stratégies de traitement et d’adaptation efficaces pour aider ceux et celles qui souffrent de ce trouble du sommeil.
Or les solutions proposées par le corps médical, hormis la beadtime routine faite d’huiles essentielles, de mélatonine et de méditation, est souvent médicamenteuse. J’étais récemment dans une pharmacie où j’allais récupérer mon traitement qui comporte de nombreuses et différentes molécules associées qui devraient (hypothétiquement) me faire dormir. J’ai eu une longue discussion avec la pharmacienne sur les risques liés à quasi chaque médicament, et j’ai été confrontée à cette incrédulité permanente : « Mais avec tout ça, vous devez bien dormir quand même ? » Eh bien non, Suzette, je me lève tous les matins (après avoir essayé de me rendormir) aux alentours de 3h du matin pour me mettre en général à écrire ou à travailler. Combien de copies corrigées entre 4 et 7h du matin ? S’iels savaient quand je rends les devoirs…
Les personnes LGBTI et l’insomnie
L’insomnie a des liens très étroits avec le stress et la surcharge mentale, on l’a vu. C’est par exemple un des signes du burn out. De rares études s’intéressent à la prévalence des troubles du sommeil sur les personnes LGBTI. La discrimination, le rejet familial, la stigmatisation sociale et les expériences de victimisation sont des sources de stress chronique qui peuvent perturber le sommeil et contribuer au développement de l’insomnie. Une étude publiée dans le Journal of Adolescent Health en 2017 a révélé que les jeunes LGBTI étaient plus susceptibles de signaler des problèmes de sommeil par rapport à leurs pairs hétérosexuels, et que le harcèlement lié à l’identité de genre ou à l’orientation sexuelle était associé à une qualité de sommeil plus faible.
Plus précaires, les queers ont aussi moins accès aux dispositifs de santé mentale souvent coûteux, ce qui vient limiter leur capacité à obtenir un traitement pour les troubles du sommeil. La peur de la discrimination ou du manque de compréhension de la part des professionnels de la santé peut dissuader certaines personnes queer de chercher de l’aide, prolongeant ainsi leurs difficultés de sommeil.
Les personnes queer peuvent être plus susceptibles de faire face à des conflits internes et à des niveaux élevés de stress psychologique, et on ne le répétera pas assez ici, plus de stress, moins de sommeil. Bien que la recherche sur les insomnies chez les personnes queer soit encore en développement, il est clair que les membres des communautés LGBTI peuvent être confrontés à des facteurs de stress uniques qui affectent leur sommeil et leur bien-être mental. Une approche inclusive de la santé mentale est essentielle pour répondre à nos besoins spécifiques. Peut-être alors pourrais-je ne pas écrire d’article sur l’insomnie à 2h49 du matin et enfin dormir sur mes deux oreilles.