On a lu pour vous « Sorcières – La Puissance Invaincue des Femmes » de Mona Chollet

En septembre paraissait le dernier livre de Mona Chollet, Sorcières. La Puissance Invaincue des Femmes aux éditions Zones. Comme le rappelle le texte sur la couverture, certaines « féministes actuelles semblent hantées » par la figure de la sorcière. Nous vous avions d’ailleurs parlé de ce retour en force de la sorcière dans les manifs en vous présentant les Witch Bloc de Paris et Marseille. Si elle l’évoque dans son introduction, ce n’est pas à ces sorcières-là que s’intéresse l’autrice de Sorcières. Ce qui occupe ici Mona Chollet, ce sont les héritières de ces femmes qui furent accusées de sorcellerie : les femmes indépendantes, les femmes sans enfant, les femmes âgées.

« Nous sommes les petites-filles des sorcières que vous n’avez pas réussi à brûler » : qui sont les sorcières ?

L’ouvrage de Mona Chollet s’ouvre sur une longue introduction particulièrement intéressante dans laquelle elle évoque d’abord sa fascination enfantine pour des figures de sorcières. Si elle commence par parler des sorcières de la culture populaire de son enfance, c’est pour rappeler qu’avant d’être un stimulant pour l’imaginaire, « le mot ‘sorcière’ avait été la pire marque d’infamie » (p. 13). Les pages qui suivent sont passionnantes, parfois difficiles, et abordent l’histoire des femmes accusées de sorcellerie, à la Renaissance surtout, et celle des grandes chasses aux sorcières, qui comme le rappelle Mona Chollet, ont surtout été une guerre contre les femmes.

Depuis la fin des années 1960, les féministes se sont réapproprié la figure de la sorcière, et ce, parfois, dans une totale ignorance de l’histoire des sorcières. D’ailleurs, «en s’emparant de l’histoire des femmes accusées de sorcellerie, les féministes occidentales ont à la fois perpétué leur subversion […] et revendiqué, par défi, la puissance terrifiante que leur prêtaient les juges » (p.23). Depuis, la sorcière est un concept devenu rentable, et c’est peut-être d’ailleurs pour cela que ce n’est pas elle qui est au cœur de l’ouvrage de Mona Chollet. Il s’agit plutôt « d’explorer la postérité des sorcières. »

Pas de rituels ni de formules magiques et encore moins de chapeaux pointus dans cet ouvrage. Les héritières des sorcières sont ici les femmes indépendantes, celles qui font le choix du célibat, celles qui ne veulent pas d’enfants et les vieilles femmes. Quant au dernier chapitre, il n’est pas directement consacré à l’un de ces avatars modernes de la sorcière d’antan : il s’agit plutôt d’une réflexion sur ce que l’autrice appelle, reprenant les mots de Susan Bordo, un « modèle de connaissance hypermasculinisé » qui a contribué à asservir les femmes.

Un parcours intellectuel et culturel

Si le choix qui est fait de ne pas s’intéresser aux sorcières au sens littéral du terme peut surprendre, l’un des atouts majeurs de ce livre est d’entraîner les lecteurs.trices dans un cheminement intellectuel nourri de nombreuses références culturelles. Comme elle l’annonce dans son introduction, Mona Chollet s’appuie sur les « sorcières modernes, dont la force et la perspicacité [l’] aiguillonnent [… l’] aidant à conjurer les foudres du patriarcat et à slalomer entre ses injonctions. » (p.38).

Et pour cause, l’ouvrage est particulièrement bien documenté et il est très agréable de parcourir l’histoire des luttes féministes (occidentales surtout…) en compagnie de Mona Chollet. Ainsi, la réflexion sur le célibat des femmes, ou plutôt sur leur refus de se marier, fait la part belle aux analyses de l’Américaine Gloria Steinem, mais est aussi l’occasion de plonger dans une fine analyse du roman Le Complexe d’Icare d’Erica Jong publié en 1973, parmi tant d’autres titres évoqués. Les références plus actuelles ne sont pas en reste, Mona Chollet cite Blanche Gardin ou Nadia Daam lorsqu’elle évoque le cliché de la vieille fille entourée de chats. La sorcière « historique » n’est jamais loin puisque, par exemple, le chapitre consacré au « désir de stérilité » rappelle que c’est à l’époque des chasses aux sorcières que le pouvoir politique a commencé à être obsédé par la contraception, l’avortement et l’infanticide. Le chapitre s’ouvre sur l’exemple de Beloved de Toni Morisson et surtout sur celui de Moi, Tituba, sorcière de Maryse Condé, un roman consacré à l’histoire de Tituba, l’esclave qui fit partie des accusées dans l’affaire des sorcières de Salem. Si ce chapitre est si intéressant, c’est qu’il rappelle l’absence de réflexion sur le non-désir d’enfant, présentée ici comme une forme de paresse intellectuelle au motif que le sujet relèverait de l’« instinct ».  L’une des forces de l’essai de Mona Chollet est bien de plonger les lecteurs.trices dans un ensemble de références culturelles tout en balayant de façon très large les grands thèmes féministes.

Gouines et femmes trans : les grandes absentes

Un reproche que l’on peut faire à l’ouvrage de Mona Chollet, par contre, c’est bien l’absence de deux avatars de sorcières : les gouines et les femmes trans. Le chapitre sur le « désir de stérilité » montre en quoi la maternité est perçue dans notre société comme une évidence pour les femmes, et souligne par là-même en quoi refuser d’être mère, ou parler de son regret d’être mère, peut faire trembler le patriarcat. Or il est des femmes pour qui, à l’inverse, c’est le désir d’être mère qui vient brusquer l’ordre hétéropatriarcal : ce sont les gouines. Les débats actuels sur la PMA montrent bien à quel point la maternité pour les couples de femmes n’est pas une chose admise par la société patriarcale dans laquelle nous vivons.  De même, les femmes trans sont complètement invisibilisées dans Sorcières. Les femmes dont il est question ici sont des femmes cis et plutôt hétérosexuelles (bien qu’il soit question de « l’expérience méconnue du « retour à la terre » de communautés séparatistes lesbiennes dans les années 1970 en Oregon » p. 225).

Si le cheminement proposé par Mona Chollet dans Sorcières est intellectuellement stimulant et très agréable à lire, la petite fille que j’étais admirait plus Ursula que Cruella dans son enfance. Or c’est bien Ursula qui manque à cet essai : une grosse sorcière bien queer !

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