Paradis-Klub

Chaleur, torses nus. Une chanson dont on connait les paroles… Pour sa première contribution à Friction Magazine, Thibaut Galis nous raconte l’histoire d’une rencontre au Klub. Deux mecs, deux corps, le temps d’une soirée.

Extérieur. Nuit.

La queue s’étend sur tout le trottoir. Exposition ou performance : une longue file de transpédégouines.

Je peux avoir une clope s’il-te-plaît ? 

Tu sais rouler ? 

Demande-lui toi. Vas-y, va le voir.

Quoi ?

Monsieur, on est trois.

Euhhhh, je suis sur la liste des préventes.

C’est par ici !

Super ton maquillage, chérie. Et le chapeau, là de travers, ça rajoute quelque chose à ton visage.

Désaxé. Voilà ce qu’on pourrait dire. Mais, ça te va super. 

Il a pas dit le contraire.

Non, j’ai pas dit le contraire.

Bon vous y allez les gars ? 

Enfin.

Pardon, on avait pas vu.

Oui, on rentre.

Fait attention, faut que personne ne sorte comme ça. 

Et les gens dans le passage. D’accord.

I don’t want to

C’est combien ? Dix euros ? 

Stay another minute

Tu me la paies ? 

Ouais.

I don’t want you

Dix. 

Et moi aussi.

To say a single word

Enfin voilà vingt pour deux places.

Hush-Hush

Intérieur. Nuit.

Enfin. Le souffle chaud du soulagement nous envahit instantanément. On sent les petites particules de sueur qui ont traversé les soixante mètres carrés pour se retrouver dans nos narines. C’est l’odeur de la fête. Les murs dégoulinent. Les tee-shirts sont trempés de sueur. Les torses nus sont brillants sous la lumière des projecteurs. Le sol est collant. Nos chaussures, encore préservées par la rue, se recouvrent progressivement de noir. Le noir se colle à nos semelles, puis à nos lacets, nos coutures. L’ambiance nous rassure. On est enfin à l’abri du danger. 

Paradis-Klub.

On passe l’embrasure d’une porte. On est projetés sur la piste de danse. On se regarde. Pas le choix. Danse. La musique s’imprime en nous. Elle investit chaque partie de nos corps. Nos membres commencent à se réchauffer. Chaque particule de froid oxygénée est maintenant remplacée par des particules bouillantes desoxygénées. Nos mains s’agitent au-dessus de nos têtes. On absorbe l’énergie ambiante. Se fondre dans la masse le plus rapidement possible. Faire corps. Communier.

L’énergie circule à grande vitesse. Des regards complices s’échangent. Toi aussi, tu reconnais la musique. Moi aussi, je connais les paroles. On se brise la voix. La musique est tellement forte qu’on ne s’entend pas. C’est plus fort que nous. Des mouvements qui jaillissent comme ça de nos corps enfin chauds.

Boum. Le son résonne dans le caisson de basse. Nos jambes, collées aux baffles, s’en aperçoivent automatiquement. Le souffle traverse nos os. Puis, les basses remontent dans nos torses. Boum-boum. Ça vibre. Ça tremble. Nous sommes connecté·e·s par cette vibration commune. Boum-boum-boum. On cherche à amplifier le rythme par nos voix et nos corps. Bras levés, petits soldats de plomb, on ondule. Nos culs en arrière, avec ce léger déhanché. Il faut tout donner.

Intérieur. Nuit. Encore.

Puis tu apparais. Ça fait longtemps que je ne t’ai pas vu, non ? Je te regarde et je me demande si ça fait pas plus d’un an. Te voilà là, apparu comme un ange au Paradis-Klub. Je suis sûr que c’est toi. Je ne doute pas. J’attends juste de croiser ton regard. Tu es bien trop occupé à rigoler avec tes amis, à essayer de lancer ton meilleur déhanché. Et merde. Tu ne me regardes pas. Je décide d’aller prendre un verre. Gin To. Merci. Je reviens à ma place. Position. Les yeux d’un chat qui se baladent dans une maison inconnue en pleine nuit. Je deviens nyctalope. 

Tu me regardes enfin. C’est bien toi. Tes yeux bleus traversent la nuit. Tu arrives à moi par ton regard. Enfin. 

Intérieur. Nuit plus. Encore plus.

Je m’approche. Attiré pas seulement par ton regard car il y a aussi tes mains. Ta manière de danser. On dirait un trentenaire gênant d’une boîte de nuit hétéro. Mais chez toi, il y a comme un truc sexy. Touchant. Et puis, ta douceur. Tu ne dis presque rien. Tu es calme. Tu dénotes au milieu du vacarme ambiant. Entre nous, flopée de mains en l’air, d’épaules qui se déboîtent, de fesses qui se tordent.

J’accède à ta zone. Circonscrit par la ronde de tes ami·e·s, j’essaye de me frayer un chemin. Je ne dis rien. Je danse, comme si de rien n’était. Agis naturellement. Calme.

Et là, je te regarde encore une fois. Ce bleu dans tes yeux, c’est dingue ce truc quand même. Ça vient d’où des yeux si profonds ? 

Ça fait longtemps qu’on s’est pas vu, non ?

Oui.

Tu deviens quoi ? 

Oh. J’ai changé de boîte. Et toi ? 

Moi, je continue d’écrire. 

Stylé.

Tu laisses traîner le éééééééé, comme pour dire que ça t’impressionne. Je suis gêné. Enfin pas trop. Enfin, j’essaye de rien laisser paraître. Être naturel, on a dit.

Extérieur. Nuit plus.

On fume une clope. Des silences, émaillés de ton sourire. 

T’es beau quand même.

Quoi ?

Je dis, tu es beau.

Non, c’est toi qui es beau.

Et pourquoi j’ai encore dit ça moi ? Je me retrouve comme un con à sourire. À te sourire à toi. Ta clope s’éteint. Tu la rallumes. Dernière taffe. Moi ça fait deux minutes que j’ai fumé, mais je crois que ça me plaît de te regarder en train de fumer. 

Fume. Fume encore.

Aspire bien la fumée.

Intérieur encore. Nuit plus plus. Encore. 

T’es là encore à me regarder. Pas de danse. Petits pas de danse.

T’es beau.

T’es beau. Vraiment.

Tu souris. Tu n’as pas vraiment entendu mais tu te dis que ça doit être un compliment ou un truc gentil du genre. 

Puis là, je ne sais pas ce qui me prend, je me crois sûrement dans un film de Dolan, je décide de te pousser contre un des murs en briques qui recouvrent la boîte. Je ne sais pas si je me crois dans le début d’un film porno gay des années 80 ou dans ma teen série préférée. Et là, sur ce mur en briques que je vois par bribes, on s’embrasse.

Je me dis : on dirait deux ados en train de s’embrasser pendant la boom de fin de lycées. Le Paradis-Klub devient notre utopie. On retombe dans l’adolescence. À l’endroit des premières embrassades et de la nécessité d’approcher l’autre. Comment faire ? Où poser mes mains ? Son torse devient mon terrain de jeu. Là, sous son débardeur noir, je crois voir percer ses deux tétons. Je m’amuse à les caresser sous le tissu. Je sens sa peau qui tremble. Il m’embrasse encore plus fort. Encore plus vite. Toujours avec délicatesse. C’est un magicien. Comment il fait ? 

Mon pull synthétique est soulevé par ses mains. C’est sa peau contre la mienne. Ça me fait trembler. On tremble à deux. Moi, touchant ses tétons. Lui, touchant mon dos. 

Je descends sur la nuque. Ce goût, salé. La sueur rentre dans ma bouche. En temps normal, j’aurai détesté. Mais là, ici, dans cet endroit qui suinte par tous nos pores, tous ses pores, tous ces pores, ça m’excite. J’ai l’impression que la mer avale ma bouche. Je suis sur le rivage de sa peau. C’est l’été. Marseille. Les Calanques. La mer avec ses reflets blancs. 

Ma peau se colle à la sienne.

Ses mains sur mes fesses.

Il s’agrippe à moi.

Puis je suis rappelé à la vie par un bruit à côté de moi. Quelqu’un vient de crier car, sa chanson préférée passe à travers les enceintes de la boîte. Je lis la joie sur son visage. Je lui souris. Lui, aussi. On reprend notre danse. 

Je suis avalé par la vague et je retrouve les miens. 

Extérieur. Jour.

Les oiseaux chantent. Il fait jour. Le Paradis-Klub a disparu, avalé par la nuit.

Tu rentres ?

Oui et toi ? 

Oui.

Bonne soirée.

À bientôt.

Oui, à bientôt. 

Tu disparais.

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