Déconstruction en instance est un cycle de neuf poèmes qui parlent d’une relation non-exclusive et questionnent la place que prend l’amour dans ces relations. Écrits depuis une posture tantôt romantique, tantôt ironique, tantôt théorique (ou les trois à la fois), ces textes sont traduits du russe vers le français et inversement, dans un espace intérieur bilingue qui est celui de la migration et de l’exil. Sensibles aux espoirs, aux peurs et aux élans ratés, ils reculent plutôt qu’ils n’avancent, pour arriver à un point zéro, où tout est possible, mais plus rien n’a valeur de certitude.
Les textes de Lenny Smirno sont illustrés par Faust Lust Smiatek.
Déconstruction en instance
Neuf pas dans un (poly)amour
8. Rupture
Alors nous voilà tou.te.s les deux.
Un nouveau début, comme on dit ;
Un nouveau départ.
Tu es bien seul à ne pas vouloir reconnaitre les dégâts de cette rupture,
les ampleurs de la dévastation après avoir foutu le camp.
Et je suis bien seule à ne pas vouloir te le montrer du doigt.
Où est cet autre sur lequel s’arrête toujours mon regard ?
Où est-il, celui à qui je pensais quand je n’arrivais pas à jouir avec toi ?
Celui qui m’écrivait des lettres d’amour
et le lendemain partait en claquant la porte ?
Je l’ai perdu de vue, et ses traces dans tes conversations
me rappellent les gouttes d’eau qui s’échappent du robinet mal fermé :
insistantes
répétitives
et faisant appel à quelque chose comme les travaux de réaménagement dans la maison,
comme la réparation du joint.
Quand je pense à lui,
je pense à l’amour que je n’ai pas pu avoir,
que nous n’avons pas su partager.
Quand je pense à lui,
je pense à des amants séparés,
à des larmes versées en deuil de l’amour éternel :
la promesse toujours fausse,
incroyablement fausse,
fausse dans son essence même.
Quand je pense à lui,
je pense à une multitude
(la progression géométrique)
des cœurs brisés :
des morceaux de verre lumineux, étalés sur le sol après une fête,
après une bagarre,
après un accident.
Personne n’est blessé.e ?
Et je pense aussi que c’est mon cœur qui est brisé,
que c’est à moi de faire le deuil,
que c’est moi qui suis maintenant séparée,
à jamais séparée de nous trois.
Qui allons-nous aimer, sinon l’un.e l’autre ?
Qui allons-nous porter sur nos épaules quand nous allons vieillir ?
Certain.e.s diront que j’ai gagné,
parce que tu es maintenant à moi.
À ces personnes je réponds
Que j’ai surtout besoin de prendre la mesure de ma perte.