Quelques jours avant le début du festival Jerk Off, Bruno Péguy, son directeur, a accepté de nous rencontrer et de répondre à quelques questions. Il y raconte la création du festival, sa ligne directrice, son équipe. Et surtout, il nous raconte la nécessité de programmer des artistes queers, émergents ou confirmés, pour les faire dialoguer au sein du festival Jerk Off.
Bonjour Bruno. Peux-tu te présenter ? Et le festival Jerk Off ?
J’ai commencé ma carrière dans la musique et notamment en organisant des soirées, comme Eyes Need Sugar. Ces soirées queers étaient toujours en lien avec la performance. Puis, en 2007, j’ai voulu laisser la place à d’autres promoteurs de soirée. Et il y a seize ans, l’idée de créer le Jerk Off Festival a émergé avec plusieurs ami·es. On s’est rendu compte que la Pride n’était pas qu’une marche mais aussi un incroyable terreau à diverses pratiques artistiques et culturelles. Nos communautés sont riches et il fallait le montrer ! Le festival a eu plusieurs vies. Il y a des relations exceptionnelles qui se sont tissées avec des artistes. Et on a pu donner la parole à celles·ceux qui ne l’ont pas toujours.
Et comment ça se passe aujourd’hui ? Quelle est ta place au sein du festival ?
Depuis trois ans, on a une nouvelle équipe sur le festival, à l’image de nos communautés queers. On a instauré ce principe de la « bienveillance » à l’intérieur même de l’équipe. On veut travailler en bonne intelligence, autant entre nous qu’avec les artistes et le public. Il est important que toutes nos communautés queers s’en emparent et s’y sentent à l’aise. Et quand je dis toutes les communautés, je parle par exemple des communautés des personnes trans, des travailleur·euses du sexe, des communautés des personnes racisé·es. Cette année, on accueille la pièce Gaze.s qui cherche à visibiliser les travailleur·euses du sexe encore trop marginalisé·es dans l’espace public. Ou encore l’artiste tunisien Ayoub Moumen, pour une soirée performance à la Flèche d’or. Et je crois fermement qu’il faut qu’on se soutienne et qu’on dialogue ensemble. C’est ce qui fait la force du Jerk Off : essayer de tendre vers cette utopie.
Qu’est-ce qui t’intéresse dans le fait de diriger ce festival ? Et comment le fais-tu ?
Le festival, c’est la partie visible de l’iceberg. Derrière les spectacles, on cherche également à développer des programmes éducatifs, on est aussi en train de monter une alliance de festivals queers en Europe, un projet avec l’Autriche et l’Allemagne sur les communautés queer dans les territoires ruraux. C’est ce foisonnement de projets, et pas seulement le festival, qui me nourrit. Pour ce qui est du festival, on programme des artistes qui nous touchent, qu’on n’entend pas forcément sur d’autres scènes théâtrales. Avec l’équipe, on a toujours des yeux et des oreilles ouvertes sur la création quelle qu’elle soit. Comme moi, en tant que programmateur, je cherche à ce que les spectateur·ices se prennent les mêmes claques émotionnelles que j’ai pu ressentir. Par exemple, on est très heureux.ses de présenter le travail de Jehane Hamm, et Simon Peretti & Marius Barthaux, ça a été un coup de cœur, et on pourra les voir Samedi au Regard du Cygne. Quoi qu’il en soit, dans tous les projets qu’on mène, je me bats pour une tolérance totale de toutes les sexualités et tous les genres.
Quelle contraintes rencontres-tu aujourd’hui pour ce festival, notamment d’un point de vue économique et programmatique ?
Malheureusement, on n’a jamais assez de budget pour faire ce festival. Depuis trois ans, on de nouveaux soutiens, par exemple du ministère de la culture. C’est aussi une forme de reconnaissance de la qualité des œuvres qu’on propose. Cela veut dire qu’on est sur la bonne direction. Il faut toujours se battre. Ce n’est toujours pas simple pour se faire accueillir dans des salles parisiennes. Certaines sont forcément réticentes. Heureusement, d’autres le sont moins ou sont très enthousiastes pour parcourir un bout de chemin ensemble, sur une édition ou plusieurs. Par exemple, le Point Éphémère est un de nos partenaires depuis le début et accueille toujours des propositions artistiques diverses (expositions, spectacles). L’idée, avec ce festival itinérant, c’est de trouver des salles qui correspondent aux projets qu’on veut programmer : une déambulation, un spectacle en boîte noire, un spectacle de danse… À cela s’ajoute également le besoin en technique de chaque équipe qui détermine aussi le lieu où l’on peut les programmer. On essaye toujours que les artistes et les équipes se sentent le mieux possible. Et c’est un lieu commun de dire ça mais s’il n’y a pas d’artistes et d’équipe, il n’y a pas de festival.
Pourquoi es-tu si attaché à montrer des artistes émergent·es dans ton festival ?
J’estime que c’est notre rôle de les programmer, même si certain·es diront « oh c’est quand même fragile ». Si on ne programme pas les pièces fragiles, qui va le faire ? Quand je parle de la richesse de nos communautés, c’est aussi de cette fragilité dont je parle. On reçoit énormément de propositions et on ne peut pas programmer tout le monde. Il faut faire des choix. Et cela veut dire que ça révèle un manque. Et puis, c’est aussi important pour tout le monde de se nourrir de la nouveauté ou même des propositions qui existent depuis longtemps. Le Jerk Off, c’est un dialogue de nos communautés au sens large : des plus âgé·es aux plus jeunes. C’est un festival polymorphe. Certes des artistes confirmé·es permettent de donner de la visibilité au festival. Mais d’autres émergent·es peuvent montrer un travail tout aussi fort émotionnellement !
Quel regard portes-tu sur les autres programmations théâtrales aujourd’hui ?
On essaye vraiment d’être proche avec tout le monde. C’est important d’être partenaire avec des petites structures comme avec de plus grosses. On est dans un écosystème où il faut travailler en bonne intelligence avec les autres théâtres, les autres institutions, les artistes, la presse… Parfois certain·es ne le font pas. D’autres si. Cette année, on collabore autant avec le Festival d’Automne sur la soirée au Klub avec La Fayette anticipation (le 16 Septembre) qu’avec la Flèche d’Or, par exemple. Ce n’est évidemment pas la même manière de fonctionner ni les mêmes économies d’échelles. Je pense que c’est important que tout soit là et qu’on existe les uns avec les autres.
Et qu’est-ce qu’il y a, toute l’année, après le Jerk Off ?
Il y a un programme qui se passe toute l’année et qui s’appelle Vous en voulez encore ? On sera en Octobre à l’Étoile du Nord avec Grand Crié de Nicolas Barry. Mais aussi à la Briqueterie avec À part vous, il y a quoi à manger aujourd’hui de Acauã Shereya. Et en Décembre, à la Maison des Métallos.
Le mot de la fin ?
J’espère, dans un futur proche, que plus de lieux adaptés avec de bonnes conditions techniques et d’accueil, programment des artistes émergents ! Et puis, sinon, il n’y a plus qu’à s’engouffrer dans la programmation qui arrive. On a hâte de vous voir 🖤
Pour retrouver la programmation du JERK OFF, il n’y a qu’à suivre le lien (https://www.festivaljerkoff.com)