St Valentin : L’amour pourra-t-il naître entre « la communauté des séducteurs » et les signataires de « la tribune des 100 » ?

On se rappelle que nos corps entiers se sont retrouvés plongés dans un dilemme nerveux entre esclaffement et abattement lorsqu’on a entendu deux jours après la publication de la tribune du Monde certaines des 100 signataires défendre la « liberté d’importuner » sur les plateaux télé.

Piqûre de rappel :

Si mon mari ne m’avait pas harcelé, peut être que je ne l’aurais pas épousé  (Sophie de Menthon)

Sans extrapoler leurs propos (parce qu’elles le font très bien elles-mêmes), la « liberté d’importuner » qu’elles défendent s’oppose aux plus « radicales d’entre les féministes qui viennent imposer les règles d’un nouveau puritanisme» à savoir #MeToo » et #Balancetonporc :

Regards libidineux, mains baladeuses sur la cuisse, frottements dans le métro, se faire siffler, ou se faire traiter de salopes, elles défendent bien ça !

Enfin elles défendent le fait de ne pas s’en offusquer ! Car dans leur rhétorique cela mènerait à des lois liberticides et normatives (menées par des radicales) du désir et de son apparition. Elles crient adieu à la spontanéité de la rencontre entre hommes et femmes, vision toute fantasmée de la galanterie à la française.

Ce féminisme pro-harcèlement fait échos aux discours de la « communauté de la séduction ». Communauté masculiniste de jeunes hommes qui se regroupent pour se former à l’art de la séduction que l’anthropologue Mélanie Gourarier a ethnographié durant trois ans : Alpha Mâle, séduire les femmes pour s’apprécier entre hommes  vient tout juste de sortir aux Editions du Seuil.

« Transformer n’importe quel looser en Alpha mâle »

En quelques mots, pour réussir en séduction il y a des méthodes et des techniques et une communauté existe pour cela. Elle est réservée exclusivement aux hommes. Ils y mènent des cours de développement personnel pour faire progresser leurs capacités à séduire.

Dans cet entre soi masculin, l’idée fédératrice et fondatrice s’enracine dans la supposée crise de la masculinité qui sévit depuis la révolution féministe. L’égalité entre les sexes serait déjà opérante ! Voire, les discours féministes et le mythe persistant de l’inégalité homme/femme soutiendraient in fine des discours misandres et la castration masculine systématique. La disparition de la figure du père (alias le patriarcat), la perte d’expériences communes proprement masculines (comme l’armée) et le fait que les femmes détiennent le « pouvoir du non » (consentement) desserviraient les hommes, leurs repères aux profits des femmes.

Un monde de femmes, des hommes élevés par des femmes, la perte des valeurs virilistes, créent une masse d’« AFT » (Average Frustrated Chump): hommes frustrés, plutôt gentils, qui respectent les femmes, les aiment et comprennent les épreuves qu’elles vivent au quotidien – figures repoussoirs de loosers pour les coachs Alpha mâle-qui eux incarnent une masculinité désirable. La scène politique se joue selon eux sur le terrain de la séduction. Renverser la domination des femmes passe par faire changer la désirabilité de camp. Obtenir le pouvoir, c’est être celui qui est désiré, qui domine la situation de drague, qui met des papillons dans les yeux, le bas ventre et pas celui qui ferait le canard auprès des femmes. Pour cela il y a des techniques, des méthodes, des livres recettes, des cours de relooking, des cours de diction, des journées d’enseignement de pratique de terrain encadrées par les coachs en séduction (toutes payantes).

Le livre de Mélanie Gourarier interroge la masculinité que ces « séducteurs » projettent en se mesurant à l’aune de leurs pouvoirs de conquête. Apparaît alors une masculinité idéale opposée aux femmes comme aux hommes jugés «sans qualité ».  Mélanie Gourarier nous rappelle qu’il n’existe pas une masculinité mais des masculinités et l’Alpha mâle n’est pas neutre mais plutôt jeune, hétéro, de classe moyenne, et blanc. Les inégalités sociales, sont gommées dans les livres de développement personnel et masquées dans les palabres des coachs.

Il se voit plus clairement la quantité de points communs qui existe entre cette Communauté des séducteurs et la tribune des 100.
1-Avant tout dans leur première préoccupation : la séduction.
2- Reconduire une violence « galante »
3- les lire nous donne convulsivement envie de rire et pleurer

Ça donnerait presque envie d‘organiser un speed dating entre l’Alpha mâle et une signataire de la tribune des 100, l’amour pourra-t-il naître? Mélanie Gourarier nous donne son avis.

Image du Blog prettypoun.centerblog.net
 

Friction : Un lien amoureux entre la tribune des 100 et la communauté des séducteurs ?

Mélanie Gourarier : On a surtout affaire ici à un éventail de positions conservatrices et antiféministes. Mais il y a entre ces discours des différences notables en raison des différences de positions sociales qui existent entre les 100 et les séducteurs. La tribune des 100 reflète très nettement une position de femmes bien positionnées socialement (classes supérieures et intellectuelles) et d’un certain âge (la plupart sont âgées d’une quarantaine-cinquantaine d’années). Ce qui me paraît intéressant, c’est qu’elles auraient pu avoir une position féministe, c’est-à-dire qu’elles auraient pu avoir une analyse féministe de ce qui leur arrive, car, au fond, on a surtout l’impression qu’elles parlent de leur désir à elles d’être importunées. Autrement dit, ce qu’elles disent c’est qu’on ne les « importunent » plus. Or, au lieu de parler du statut des femmes vieillissantes exclues de plus en plus du marché sexuel car elles ne sont plus perçues comme un objet désirable, elles s’inquiètent de la prétendue fin de la séduction qu’elles confondent avec le harcèlement. C’est là aussi une marque de l’éloignement de ces femmes vis-à-vis de la réalité vécue du harcèlement sexuel : pour celles et ceux qui en ont fait l’expérience il n’y a aucune confusion possible entre une séduction qui se joue à deux et un geste ou une parole de violence sexuelle.
Les autrices de la tribune des 100 parlent donc depuis leur propre point de vue, sans jamais interroger la façon dont leur position façonne leur discours. Elles font comme si leur point de vue était neutre. J’en ai même entendu se défendre de faire de la politique. Évidemment leur point de vue est loin d’être neutre et surtout, il n’a rien de nouveau. Il s’agit là d’un argument extrêmement classique de l’antiféminisme qui entend défendre une « liberté » des mœurs bien française, un modèle soi-disant menacé…Derrière l’argument civilisationnel, se cache un conservatisme particulièrement efficace dans la défense de l’ordre social établi.

Les hommes de la communauté de la séduction, eux, sont très jeunes et proviennent plutôt des classes moyennes et populaires. Ils disent donc un peu autrement que la liberté d’importuner c’est la liberté de séduire, mais au fond c’est exactement la même chose : le non, l’absence de consentement n’est pas la fin d’une séduction mais est son commencement. La séduction c’est l’art de séduire, autrement dit transformer le non en un Oui. Ce qui est une autre manière de parler de la nécessité de « l’importune ».

Cependant, la communauté de la séduction est presque plus subtile et moins essentialisante que la tribune des 100. Selon eux, hommes et femmes ont des désirs et des plaisirs de même intensité. Ils vont même plus loin et supposent que les femmes ont des potentialités de jouissance supérieures. D’ailleurs, ils entendent s’approprier le désir et le plaisir des femmes pour reprendre le pouvoir sur elles. C’est un des modes de gouvernement des femmes. Mais ce n’est pas un inédit. On retrouve d’autres discours, Foucault l’a bien montré, sur la façon dont il appartient aux hommes de discipliner la sexualité des femmes.

Friction : En tant que chercheuse féministe pourquoi t’es-tu intéressée à un univers masculiniste et comment l’as-tu vécu?

M.G : J’ai auparavant étudié le speed-dating car la drague hétérosexuelle était encore peu étudiée. Il existait quelques travaux sur la drague homosexuelle masculine, mais encore très peu de choses sur la façon dont se reproduit et s’apprend l’hétérosexualité. Donc il y a une continuation entre ces deux recherches : travailler sur les dominants et sur la norme, car on ne les pense pas assez, on les objective peu scientifiquement.

Et puis je dois dire que c’était assez excitant de découvrir l’univers de la communauté des séducteurs qui était très méconnue en France. Je l’ai donc très bien vécu, aussi parce que j’aime travailler sur des sujets qui sont loin de moi, qui sont aux antipodes de moi politiquement parlant aussi. Ce qui ne m’a pas empêché de nouer des liens durant ces trois ans. Je n’étais pas insensible aux discours de leur mal-être, à la souffrance de ces hommes-là, mais j’essayais de replacer ces sentiments individuels dans des perspectives historiques et sociales plus larges. J’essaie d’apporter des réponses critiques à pourquoi une telle souffrance s’exprime ainsi aujourd’hui. Au fil du terrain, petit à petit j’ai compris que je ne travaillais pas sur les relations homme/femme mais sur le masculinisme, les rapports entre hommes, les hiérarchies entre hommes, l’amour entre hommes hétérosexuels, la construction de la masculinité.

Friction : Tu as soulevé le paradoxe de la présence très ponctuelle voire quasi infime des femmes dans cet entre soi masculin et en même temps le sujet femme est omniprésent, pourrais-tu un peu approfondir ce phénomène apparemment contradictoire, presque aux deux extrêmes ?

M.G : Oui, les club anglais, les campus à la fac, les vestiaires, les cafés, sont des endroits traditionnels dans lesquels on parle beaucoup des femmes. C’est un grand classique, plus la proximité entre hommes est forte, plus on met à distance l’homosexualité, notamment en réaffirmant en permanence son hétérosexualité.

Friction : Tu es restée trois ans sur le terrain, as-tu vu des parcours d’apprentis séducteur (ou AFC) se transformer en véritable pic-up-artiste ?

M.G. : Oui, mais cette ascension fulgurante se faisait à l’intérieur de la communauté où ils sont devenus des séducteurs valorisées par leur pairs. Je ne sais pas s’ils ont plus de succès avec les femmes mais ce qui est sûr c’est qu’ils pouvaient obtenir beaucoup de reconnaissance de la part des autres séducteurs.

J’ai assisté à des cours de coaching en France où le discours commençait par une rhétorique très classique : «Oubliez vos routines ! Oubliez les phrases toutes faites ! N’écoutez plus les coachs américains ! Ce que je vous dis-moi c’est que vous devez être des hommes cultivés ! Arrêtez de regarder des trucs sur internet et allez voir des expos, des pièces de théâtre !» Et il y avait des sorties au théâtre qui étaient organisées.

Friction : Ça évoque ce que tu dis dans ton étude. Une seule masculinité est valorisée bourgeoise et policée, il y avait donc un travail volontaire pour ces hommes issus de milieu populaire de répondre à ce modèle ?

M.G : Il y avait une volonté d’ascension sociale très claire qui dit aussi beaucoup du fait qu’ils proviennent des classes populaires et moyennes. Les personnes de classes sociales plus élevées sont plutôt dans une invisibilisation de ces stratégies, pour que ça fonctionne. La masculinité qu’incarnent les apprentis séducteurs est aussi dépréciée par les hommes d’un niveau social supérieur qui les moquent et les mettent à distance.

Friction : Apprendre à séduire mais pour quelle type de relation alors ? Monogamie sérielle, éloge de l’adultère, jeu de séduction dans tous les contextes de vie, ou simple outil, et donc avec quand même une valeur attribuée à l’amour et à la conjugalité durable ?

M.G : Pas de consensus sur cette question, pas d’injonction, enfin oui une : qui est celle de ne pas avoir l’air d’être un « AFC », un pauvre type frustré et surtout pas se maquer avec la première venue par défaut : c’est-à-dire qu’il faut avoir une trajectoire de grand séducteur pour mieux pouvoir se détacher de la séduction. À la fin, ils disent vouloir se passer complètement des femmes pour revendiquer une forme d’indépendance à la fois émotionnelle, sexuelle, économique qui passe pour un attribut masculin.

Friction : Les femmes sont-elles vues comme un bloc homogène ?

M.G : Elles sont vu comme bloc homogène, car ils ne s’imaginent pas qu’il y ait des femmes d’un certain âge ou des femmes plus jeunes pour eux, les femmes, ce sont celles qui sont sur le marché de la séduction entre 17 et 35 ans et au-delà, ils ne les considèrent même pas dans leur horizon, ils n’en parlent même pas, ça n’existe pas. Ils introduisent bien des nuances sur la provenance sociale des femmes qui sont la cible de leur tentative de séduction, mais c’est dans le but d’adapter leurs techniques pour être plus efficaces.

 

 

Suite aux révélations de Mélanie Gourarier, l’amour parait impossible entre la communauté de la séduction et la tribune vieillissante des 100 femmes.  Mais que cette triste fin ne gâche pas leur St Valentin ! Ni  la vôtre ! Car on peut toujours se procurer Alpha mâle. Séduire les femmes pour s’apprécier entre hommes, qui déconstruit l’amour, la séduction, la galanterie et les rapports sociaux érotisés. Et pour cette spéciale St Valentin, allez voir du côté des conseils en séduction de la communauté s’il n’y a quand même pas une bonne idée qui traîne http://www.frenchtouchseduction.com/

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