Ce 15 février est sorti en salles le film Un homme heureux, réalisé par Tristan Séguéla et qui raconte l’histoire d’un homme trans de soixante ans qui fait son coming-out à sa famille. Afin de se pencher davantage sur la fabrication de son film mais également sur l’évolution des représentations trans en France, nous avons eu le plaisir de discuter avec Gab Harrivelle, co-fondateur de l’association Représentrans.
Est-ce que tu peux nous parler de ton travail au sein de l’association Représentrans ?
Représentrans je l’ai co-fondé en 2020 avec Elliot Voilmy et Charlie Fabre. On se concentre sur la visibilité des profils trans avec les annuaires des professionnel·les et la formation et la sensibilisation des personnes trans aux métiers du cinéma, pour donner envie, pour montrer que c’est faisable, qu’il y a d’autres rôles que réalisateur·ice, acteur·ice ou scénariste… On propose aussi des évènements où il y a un peu de networking, où des personnes trans peuvent se rencontrer pour des projets. On fait également l’intermédiaire avec la communauté trans et le milieu du cinéma, on sensibilise à travers des ateliers et des conférences sur certains sujets…
Par ton prisme professionnel, comment ressens-tu l’évolution de la représentation trans dans le cinéma français aujourd’hui ?
Je pense qu’on va vers le mieux mais sur une pente lente qui paraît parfois être plate, avec des faux plats. Quand on regarde un film d’il y a vingt ans comme par exemple Thelma, avec une femme trans qui est personnage principal, c’est très voyeuriste, il fallait que l’actrice soit prête à montrer son corps nu parce qu’il fallait montrer la transidentité ainsi. Il fallait que l’homme soit choqué, qu’il y ait une scène sur cette réaction. Là où je veux en venir c’est : ok on a une actrice trans mais où on l’a vue ensuite ? Pas dans beaucoup de rôles. Et depuis on aurait dû faire mieux, surtout pour les femmes trans. Là, on a Un homme heureux et A good man, c’est des représentations d’hommes trans qu’on avait pas du tout avant mais ça part déjà d’un point hyper positif, on a pas du tout les problèmes qu’on avait pour les femmes trans. Depuis Thelma, on n’a pas de romance qui va vraiment dans ce sens avec des personnes trans dans les rôles trans, avec une histoire qui ne se concentre pas sur la nudité du corps. Vingt ans plus tard, on pourrait se dire que le sujet est passé.
Il y a également un focus sur la transition, le coming-out d’ailleurs ?
On est passé de rôles de représentation de femmes trans où elles sont des personnages secondaires et où la transidentité est un sujet à une période où il faut raconter la transition. C’est des choses que j’ai entendues dans le milieu, « non cette histoire, elle nous intéresse pas, nous on veut la transition ». Mais il y a des choses à raconter, on ne fait pas que transitionner dans la vie ! Je discutais récemment avec une actrice qui n’est pas out et qui disait « à un moment c’est plus un sujet dans nos vies et j’ai envie de jouer ça, la vie après » Les rôles qu’elle interprète, qu’ils soient cis ou trans, elle ne veut pas que ce soit un sujet pour elle et c’est légitime. La transition, pour le cinéma, c’est un sujet alors que ça pourrait être un élément de backstory ou autre et pas le centre de l’histoire.
Vis-à-vis de ton métier, les choses changent aussi. De manière générale, est-ce que les professionnel·les du cinéma trouvent ça davantage normal de demander des opinions extérieures sur certains sujets ?
Moi, je vais pas forcément démarcher les productions : soit elles viennent vers moi, vers l’association en disant « on a un projet, on cherche un acteur, une actrice » et là on peut aider mais ça fait un peu tard pour entrer dans le processus… Soit, ils sont à l’écriture et ils cherchent quelqu’un pour les aider. Parfois je vois des annonces passer et je me dis « Là, c’est une série ou un film tellement important, il faut que nous connaissions les intentions et savoir ce qui a été fait pour travailler le sujet. »
Clairement, il y a une écoute qui n’était pas forcément la même qu’il y a vingt ans. Aujourd’hui, il y a un peu plus d’ouverture après ça dépend des auteur·ices. Il y en a qui disent « je sais ce que je raconte », d’autres producteur·ices qui disent « c’est intéressant mais on paye pas »… A côté, iels payent bien des professionnel·les de santé pour vérifier qu’iels ne disent pas des bêtises donc c’est un peu la même idée. Si vous allez voir avec un·e avocat·e pour vérifier que votre histoire fonctionne, c’est pareil : vous n’avez pas toutes les connaissances. Et il y en a qui pensent qu’artistiquement il y a un peu de libertés à prendre parce que c’est de la fiction.
Bref, plein de réponses et dans tout ça il y a des gens ouverts aux dialogues, qui sont preneurs et assument de ne pas tout savoir. Après, sur les projets sur lesquels je travaille, je n’ai pas de responsabilité artistique. Ce qui est important, c’est qu’ils aient eu les informations et qu’ils fassent donc un choix éclairé.
Tu as récemment travaillé sur Un homme heureux. Comment s’est déroulé le travail de consultation sur un film comme cela, par exemple ?
Alors iels ne sont pas venu·es vers moi, le film était déjà écrit et iels étaient en phase de casting. Une actrice a vu l’annonce et selon elle il y avait de gros problèmes dans le texte qu’elle avait reçu. Je lui ai demandé son contact au niveau du casting et j’ai fait remonter le fait qu’on avait un annuaire et qu’on avait des acteur·ices trans et qu’on faisait du consulting. J’ai eu un échange téléphonique avec le directeur de casting qui a été assez preneur. Il a fait remonter mon nom au réalisateur, Tristan Séguéla. On a longuement parlé de l’histoire, de ce qu’il voulait faire, de la vision de la transidentité…
À titre d’exemple, il y a eu une étude qui a été faite sur les représentations trans et comment elles pouvaient impacter un public cis. Une histoire a des éléments négatifs et positifs et créé des émotions positives ou négatives. L’étude fait ressortir que lorsque le public a ressenti des émotions négatives, il n’a pas un plus grand soutien pour la communauté trans suite au visionnage. Alors que quand il a ressenti des émotions positives, le soutien est plus marqué. En passant par le rire, il y a d’autres émotions qui passent et ça banalise un peu plus qu’une histoire où le personnage finit par se mutiler à la fin, où c’est juste horrible.
On a donc beaucoup discuté de ça, comment la comédie faisait passer un message ou un mauvais message. Il m’a après proposé de relire des scènes, notamment celles du groupe de parole et on les a travaillées ensemble. Globalement, c’était des discussions autour de l’arc narratif, de ce que le public allait recevoir et pas une relecture précise de toutes les scènes. Ce qui était important, c’était que le réalisateur comprenne les enjeux. Et après, j’ai été présent sur un jour de tournage, ce qui est bénéfique à l’acteur comme quand je l’avais fait sur Skam : s’il y avait des questions ça allait vers moi et pas vers lui. Après, quand le film a fini d’être monté, on m’a proposé de le voir. J’étais très satisfait de ce premier montage, il y avait beaucoup de tendresse pour le personnage trans qui est le personnage principal.
J’ai l’impression que beaucoup de personnes étaient assez inquiètes que le rôle du personnage principal soit joué par Catherine Frot. Est-ce que tu comprends cette critique, comment tu aimerais y répondre ?
Moi ce n’est pas quelque chose qui m’inquiète dans les films qui sortent, dans le sens où c’est absolument pas un marqueur des intentions et de la réussite en terme de représentation. Je reprends Thelma : une actrice trans dans un rôle trans mais un film avec plein de clichés et de cis gaze. C’est un marqueur d’inclusion et c’est bien mais ce n’est pas tout.
Mais oui, cette polémique je la comprends, on a pas envie de voir quelqu’un nous incarner faussement, surtout qu’on a le droit à des Césars et des Oscars qui sont remis parce que ça a été « une tellement grande performance, vous vous êtes rasé la barbe de près pendant trois mois… ».
Toutes les raisons pour lesquelles je souhaite que ce soit une personne trans dans un rôle trans, ce sont des raisons économiques et pas du tout des raisons artistiques. Parce que si je comprends tout ce que peuvent dire certain·es réalisateur·ices qui disent « un acteur·ice doit pouvoir tout jouer », je comprends l’opposé, il y a des choses aussi que tu ne vas pas connaître si tu ne te renseignes pas bien. Donc c’est plus l’approche qui m’inquiète. Accéder à ces rôles pour les acteur·ices trans, c’est aussi important car quand tu vas sur un autre rôle, on te recale parce que t’es trans même quand tu conviens parfaitement. Quand tu vas sur des rôles trans, on te dit « Non, t’es pas assez trans, au revoir ». Il faut changer ce qu’il se passe au casting.
Et puis quelle histoire est racontée ? Là on a une histoire d’un homme trans de soixante ans qui fait son coming-out après une vie de famille, c’est un parcours assez rare. L’histoire est donc déjà difficile à caster car faut aller chercher un acteur trans de soixante ans qui entame une transition à son âge et qui veut jouer ce rôle. Car comme je le disais, il faut laisser aux acteur·ices trans l’occasion de jouer les rôles qu’ils veulent. Certain·es acteur·ices ne sont pas out parce que justement ils ne veulent pas jouer des rôles trans. Pareil pour A Good man : des acteurs trans ont passé le casting mais ils ne voulaient pas jouer le rôle d’un homme enceint et se retrouver avec cette étiquette toute leur vie, avoir fait ce film et puis plus rien après. Parce que l’idée c’est d’avoir une carrière pour beaucoup.
Encore une fois, la polémique je la comprends, elle est légitime mais ce qui est important c’est l’histoire. Moi, ce que je veux, c’est des personnes trans dans des rôles, trans ou non. Et je ne sais pas si, avec un film qui va faire l’objet d’autant de promo, j’ai envie qu’un acteur trans se prenne toutes les rhétoriques transphobes à la sortie. Après, je n’avais pas de responsabilité sur ce casting, je suis arrivé après ça.
J’ajoute également autre chose. Un homme trans avec qui j’ai discuté et qui a fait sa transition après trente ans disait que c’était super important que ce soit Catherine Frot parce que en dehors de Paris, on transitionne souvent plus tard. On fait un coming-out et les gens voient en face d’eux encore une femme. Avec Catherine Frot, ça force les gens à se dire que oui, c’est un homme même avant qu’il y ait un gros changement. Je trouve cet angle-là assez intéressant.
Pour continuer sur les acteurs ou les actrices trans dans des rôles trans, j’ai l’impression qu’iels ont parfois la possibilité d’intervenir sur le scénario mais que ça pose toute une question économique aussi…
Oui, il ne devrait pas y avoir une responsabilité à réécrire des scènes. Ca arrive trop souvent, iels se retrouvent à faire le travail de consultant·e alors qu’iels sont acteurs ou actrices. Moi j’ai envie qu’iels fassent leurs métiers. La responsabilité de la visibilité elle est très lourde. Sur Une femme fantastique par exemple, loué pour sa représentation exemplaire, Daniela Vega, l’actrice du film, a dû faire des retours au scénariste, pour que ce soit plus authentique. Et peut-être que le film n’aurait pas eu cette résonance auprès des personnes trans, n’aurait pas eu autant de succès si elle n’avait pas été là. Les contributions des acteur·ices cis comme trans devraient être semblables. Ce n’est pas leurs métiers, s’iels veulent le faire tant mieux mais le problème c’est qu’iels ne sont pas rémunéré·es pour cela.
Est-ce qu’il y a des démarches cinématographiques crées par des personnes trans que tu aimerais évoquer aujourd’hui ?
Il y a le court-métrage appelé Les garçon dans l’eau avec une romance trans-gay très bientôt. On va avoir le film de Preciado aussi avec vingt-cinq personnes trans au casting, c’est génial. Il y a une pluralité des transidentités assez importante dans ce film aussi. Et un projet néo-zélandais dont j’aimerais vraiment qu’il arrive en France appelé Rūrangi. Ça existe en série comme en film et il s’agit d’une production entièrement inclusive. L’histoire suit un mec trans qui retourne dans sa ville natale dix ans après avoir entamé sa transition. Il s’agit d’une histoire avec des thèmes écologiques et qui traite également de l’identité maori. À la base, on a un auteur cis qui est allé chercher un auteur trans. Ils ont fait en sorte qu’il y ait le plus de personnes trans sur le tournage. Quand il y avait besoin d’expérience, ils allaient chercher une personne cis qui allait former une personne trans en stage. On peut retrouver leurs initiatives sur leur site internet, il faut s’inspirer de ce fonctionnement en France.
Vous pouvez retrouver les actions mises en place par Représentrans sur leur site.