Une vie de PD à écrire – Chronique du roman 28 jours, de L. Bigorra

Dans 28 jours, publié aux éditions Terrasses, L. Bigorra raconte ses 28 jours de traitement post-exposition (TPE) après une relation sans capote avec l’un de ses amants, Julien. Loin d’être un frein, le risque de la contamination déclenche un besoin d’action, un besoin de mouvement. Commence alors un marathon de la baise, de Paris à Barcelone en passant par Toulouse. Enchaîner les mecs et la baise pour la beauté du geste, pour le sport. Mais pas de gratuité là-dedans ou en tout cas pas au sens où on l’entend. Le récit de ces 28 jours n’est pas neutre, c’est une recherche ou plutôt une quête.

« Tout ça pour ça » écrit l’auteur dans les dernières pages de son livre, cette quête est celle d’une écriture. C’est une recherche pour nommer, pour parvenir dans une société straight à dire l’indicible – le sexe homo – et pour raconter l’invisibilisé – la vie de pédés 1. Cette quête du langage est la politique du livre, une politique pédée qui vise à rendre visible par le récit, à se réapproprier l’écriture pour imposer un récit pédé par et pour les pédés. Politique, cette recherche n’en est pas moins poétique. Elle se fait de façon transparente, l’écriture apparaît comme livrée sans ambages, brute. Les phrases sont brèves, nominales, parfois un seul mot suffit. Puis très vite, le langage écrit ou le ton oral ne suffisent plus, il faut alors inventer des termes à l’aide de tirets. Le narrateur se revendique « pédé-pute-toxico ».

L. Bigorra n’est pas seul dans cette quête. Il entre en dialogue avec les pédés de son temps, ceux qu’il rencontre sur sa route, souvent par la baise. Et pour les pédés du passé, il échange avec eux par des citations ou par des dialogues fictifs. 28 Jours s’installe dans la continuité des auteurs pédés Jean Genet, Guillaume Dustan et apporte un récit de la fin des années 2010. Son récit en forme de flux de conscience n’est pas un monologue mais une invitation à partager sa réflexion, ses pensées, ses questionnements. Au centre, une question : est-il possible d’être pédé aujourd’hui ? Ou plutôt, existe-t-il encore des pédé ? Au fil de sa quête, L. Bigorra dessine le triangle d’une identité pédée marquée par le spectre du VIH  : sexe – mort – vie de pédé. Mais lorsque le risque de mort est temporisé par le TPE, par la PrEP2, qu’en est-il du sexe et de la vie de pédé ? 28 Jours sonne alors un peu comme un cri, celui du derniers des pédés qui cherche ses semblables, celui d’un pédé en dialogue avec les pédés du passé et qui nous appelle ou nous rappelle que pédé ne doit jamais rimer avec assimilé, intégré et marié-bien-rangé.

L. Bigorra lance alors la question : qu’en est-il des pédés aujourd’hui ? Il pose la question et la réponse semble difficile à saisir. Mais prenons-le au mot. De cet auteur-narrateur qui nous contamine de ses pensées et de ses aventures, il faut alors prendre le relai. Poursuivre le geste. L’intérêt de ce roman n’est pas tellement dans la réponse qu’il apporte mais dans sa capacité à nous questionner. A la fin de la lecture, une envie se fait jour : celle de répondre, d’être audacieux et d’apporter un autre reflet de l’identité pédée.

Cela peut être revenir à l’origine : voir l’homophobie comme socle de l’identité pédée, à l’instar de Didier Eribon. Ou bien raconter d’autres réalités davantage visibles aujourd’hui. Si le spectre de la mort n’est plus aussi prédominant dans nos vies de pédés, sans doute le sexe peut aussi être remis en question. Le sexe de la sexualité bien sûr. Le sexe de l’homo-sexuel. Qu’en est-il de ces pédés qui n’appartiennent pas « à ceux qui » baisent comme Dustan ou Bigorra ? Qu’en est-il du pédé lorsqu’il ne baise pas ? Penser le pédé au-delà de l’orientation sexuelle, le penser comme identité. Mais c’est aussi penser les pédé.es au-delà de l’identité cis, écouter le récit de pédé.es trans. Ecouter le récit de pédé.es non blanc.hes. Bref, faire d’autres 28 jours, faire des récits qui parlent de ces différentes réalités pédées.

28 Jours est alors un relais, celui qui fait suite aux récits de pédés du passé, celui qui invite à la reprise. Bigorra n’est finalement pas le dernier des pédés. 28 Jours est un cri de ralliement, comme le poète pédé argentin Ioshua qui clamait griten putos, griten (« Criez pédés, criez »)3. L. Bigorra ne sera pas le dernier des pédés dès lors qu’il y aura d’autres récits de pédé.es, dès lors que le marathon de nos narrations se verra relayé de génération en génération.

Alors oui « tout ça pour ça ». 28 Jours est un geste gratuit au sens d’une gestuelle de pédé, d’une manière de pédé maniéré, d’une plume de pédé efféminé, le rappel que notre identité est une révolte qui nous mène à des quêtes sans autre sens qu’être à contre courant. Une quête pour finir et se dire « tout ça pour ça ». Oui.

1. L’identité pédée est plurielle, elle peut s’écrire au féminin ou au masculin. Ici, nous avons fait le choix d’écrire pédé au masculin lorsque, comme dans le roman 28 Jours, l’on se réfère à des pédés cis masculins. Le terme est en inclusif lorsque l’on parle des pédé.es en general.

2. La PrEP (Prophylaxie pré-exposition) est un traitement préventif contre le VIH.

3. Los Putos, Ioshua, Terrasses Editions.

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