Vibrations #19: Culkin et Doherty

Vibrations : chroniques pd à Paris - Queer - Friction Magazine

J’irai à l’Oeil le week-end prochain, c’est promis. Ce samedi, il fallait que j’aille à la Station. Il y a cette soirée immanquable et il y a des soirs où j’adore recroiser ces gens qui ont l’air d’y habiter. Il y a comme une famille d’habitués, on se fait la bise et on discute vaguement, mais j’ai le sentiment qu’ils se connaissent tous, ces jeunes gens modernes en costume électrique. C’est tellement plus excitant que la fête d’anniversaire où j’étais hier. Une femme fêtait ses 46 ans, et j’étais prisonnier dans un appartement rempli d’hétéros sur le déclin, et je n’avais pas de cadeau, et je me suis vite senti oppressé, au quinzième étage de cette tour de Bagnolet. Il y a des soirs où on sait qu’on ne sera bien que dans un club. Dans la solitude du club, et dans la communauté du club. Dans la pénombre, dans la lumière, dans la souricière du club. 

Un gars raconte à la table d’à côté que Macaulay Culkin et Pete Doherty ont vécu quelques mois en colocation dans un petit appartement parisien. Tout le monde est pensif, personne ne croit vraiment à cette histoire, mais une fille aux yeux mi-clos, en face de moi, confirme : son mec a pris de la kétamine chez eux, une fois, il y a longtemps.

Je suis allé à la Station pour voir cette communauté de gens qu’on ne voit pas ailleurs, et probablement parce que j’avais cru comprendre que Kamil irait aussi. Il y a deux gars rasés qui dansent en costume trop grand, il y a des créatures qui font des shows de temps en temps, il y a cette musique hors-normes et j’ai des sensations de fin du monde. Le temps passe vite et Oscar me dit qu’il rentre avec une fille. Je reste seul dans le club, je crois que je guette Kamil tout en sachant qu’il ne faut pas que j’aille le voir. J’ai des sensations de fin de vie. Près du bar, il y a l’un des gars de la série Skam. Il est seul et il danse comme un fou. Dehors, la pluie fine a dispersé la foule devant le bar extérieur, et il ne reste plus que ce grand mec qui porte son totebag comme un sac à dos.

Les vapeurs narcotiques s’estompent, s’effacent, au profit des lignes de fuites et des perspectives du petit matin. A peine les premières étincelles du jour ont-elles éclairé les arbres humides que la mélancolie se rappelle à moi. C’est presque automatique. Au petit matin, en after, je pleure. Quand je rentre, seul, dans le silence endormi des rues sales, et quand je croise le regard de ceux qui n’ont pas poussé le curseur aussi loin dans la nuit, je pleure. Quand j’arrive dans l’appartement et que, sans bruit, je délace mes chaussures enduites de la crasse des dancefloors de Paris, je pleure. Parce que la vie est une vipère, parce que je sais que Kamil est là, quelque part.

Il faut que j’arrête de penser à Kamil. Il faut que je parte encore quelques jours. J’ai quelques amis à Toulouse. Le train de 6h47 ne coûte pas grand chose. Le ciel se dégage, le long du canal du midi, et vers Agen, il fait tout à fait beau. Ces gens là vivent sans hiver. Je vais passer quelques jours à l’abri, et je rentrerai à l’heure pour le retour du weekend et de ses promesses.

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