Whole Jour 2 : ce que je leur dois

Le Whole Festival à Ferropolis, à quelques encablures de Berlin est le plus gros festival queer au monde. Des membres de Friction se sont glissé·es parmi les participant·es et Leslie nous fait partager ses sensations et émotions dans cette série d’articles. Aujourd’hui, on parle forum du Whole et « l’espace pris » par les mecs cis pédés.

J’ai regardé le forum du Whole. Deux messages ont attiré mon attention, l’un reprochait la place prise par les mecs cis pédés, l’autre leur reprochait de baiser partout. 

Moi, j’aimerais bien qu’on se souvienne de ce qu’on doit aux pédés. Par exemple, mon corps. Je crois que mon corps ne serait pas mon corps, le mien, sans mes copines pédés. Ce corps que je déteste, que je maltraité, ce n’est que grâce à eux que je l’accepte. Dès les premières discussions sur les outfits pour le Whole, j’ai joué le jeu à fond. Mini-shorts, crop tops, petite robe en simili cuir et jupes transparentes et fendues. Moi, mes copains pédés m’ont permis de faire la paix avec ce ventre trop gros, ces cuisses trop épaisses, ces kilos qui se sont installés malgré moi. Ceux qui font dire à ma grand-mère que je serai vraiment bien quand ils auront disparu. Mais non, j’écris en brassière et mini-short en jean et je m’en fous de mon ventre comme de ma cellulite. Est-ce que les espaces lesbiens m’ont apporté autant de liberté ? Non. Clairement pas. Parce qu’il y a eu toutes ces fois où on m’a dit que je ne faisais pas assez lesbienne, parce qu’il y a eu toutes ces fois où j’ai eu peur du regard des autres. Où j’ai eu peur de mon désir et du désir de celles que je désirais. C’est avec mes copines pédées que j’assume mon corps, que je le trouve beau, que je me sens puissante. Et non, à aucun moment je ne me sens oppressée par leur présence. 

Au-delà de ce qu’ils m’apportent de confiance en moi et d’assurance, j’aimerais que l’on se souvienne qu’ils ont eux pris les armes pour assiéger les citadelles qui nous excluaient. Nous devons beaucoup à celleux qui ont créé les espaces qui nous permettent à tous·tes d’être nous. 

Ils prennent de la place ? Oui, ils sont là, ils se sont battus pour être là. Est-ce qu’ils prennent notre place ? Non, si nous prenons vraiment notre place à leurs côtés, ils créent même des barrières entre nous et la laideur du cadre sclérosé hétérosexiste. 

Quand une meuf s’est plainte du fait que les mecs baisaient où ils voulaient sur le forum du Whole, j’ai dû lutter contre l’envie de lui répondre que le problème, c’est juste que les lesbiennes (parce que oui, ces reproches viennent de lesbiennes cis) sont pétries de stéréotypes patriarcaux qui font d’elles des êtres qui ne savent même pas que si elles veulent, elles peuvent vivre la même chose. Est-ce qu’on les jalouse ? Oui, sans doute. Moi, je les jalouse. Parce que les pédés ont fait le chemin que nous n’avons que partiellement commencé à défriché. Nous aussi, on veut baiser sans passer des heures à discuter, nous aussi on veut des cunis à la va vite contre un arbre, nous aussi on veut du fist et du BDSM. Est-ce que c’est la présence de pédés qui nous en empêche ? Je ne crois pas. Eux, ils s’en foutent bien de ce qu’on fait. Les espaces sont là, encore faut-il les prendre. Alors moi, je demande, j’interroge, je questionne. Je cherche à comprendre comment cette énergie sexuelle qui parcourt les beaux garçons peut circuler entre les jolies filles et moi. Je sais, oui je sais, qu’on est pétries des mêmes envies, de cette même quête de liberté. Est-ce qu’on manque d’espace ? Oui, on manque d’espace, parce qu’on ne le conquiert que trop peu. Est-ce que les lesbiennes ne peuvent pas expérimenter cette liberté qu’il est plus facile de dénigrer que d’envier franchement ? 

Moi, ici, en brassière et mini-short, avec mes cicatrices et mes vergetures, je regarde les filles droit dans les yeux. Cette fierté, je la dois aux pédales. Cette envie de vivre ma sensualité, ma sexualité, mon désir pleinement, hors des cases auxquelles mon éducation m’a assignée me vient d’elles.

Je crois qu’on peut faire plus, on peut faire mieux. On peut habiter les espaces, cohabiter. On peut créer des espaces. L’espace, il est là. Il ne tient qu’à nous de l’investir sans craindre de disparaître derrière eux. Et pour tout dire, je ne me suis jamais sentie autant dans la lumière que lorsqu’un ami pédé me poussait sous les projecteurs. Il y a des mains qui se tendent, des mains qui même peuvent nous emmener loin de là où l’on pourrait être. Nous ne sommes dans l’ombre de personne, et personne ne capture la lumière que l’on reflète. Acceptons de briller au milieu de galaxies de fantaisie et de liberté. Cette liberté, elle est là, elle est pour nous, et si l’on regarde bien, tout l’espace dont nous avons besoin est là, nous n’avons qu’à en prendre possession. 

Ici, Gräfenhainichen, Ferropolis : je me suis baignée nue, je me suis changée entre deux camping-cars, je suis en brassière et mini-short. Et ça, je leur dois. Je le dois à toute cette histoire que l’on partage, toutes ces barrières qu’ils ont enjambées, toutes ces mains que l’on s’est tendu. 

Je déteste mon ventre, je déteste mon cul, je déteste mes cuisses. Mais ici, ici et maintenant je fais un, et je vais la tête haute et j’assume tout ce que je suis. Et c’est bien parce que je suis avec mes copines pédées que je peux le faire. Et ma robe en cuir, mon harnais, mon mini-short à paillettes, c’est grâce à eux et c’est pour moi.

Je flotte, je flotte dans la simplicité d’être juste moi, comme je veux, comme je peux, comme je suis. Diamant brut, ma communauté m’a polie. Je peux franchir toutes les barrières, je peux me hisser au-delà de tous les obstacles : ils me font la courte échelle.