Avec The Real Housewives of Neukölln – Partie 1 : Réda Ait

The Real Housewives of Neukölln est le dernier documentaire de THEM, une production indépendante de courts documentaires-portraits autours du genre, du corps, et de l’intimité. Ce film réalisé par Réda Ait et Joséphine Page, deux réalisateurs.ices français.es. basées à Berlin, suit les Real Housewives of Neuköln, un groupe d’artistes-performeurs du quartier de Neukölln composé de Collapsella, Cheryl Nobyl, Fanny Crackwhore, Ash traylia et Ida Entity. Ces figures plurielles questionnent et redéfinissent ce que c’est que d’être drag-queen dans notre société. On y découvre une nouvelle approche de la performance drag, à l’image de la communauté queer berlinoise et de son désir de dépasser l’idée de binarité sexuelle. À l’occasion de l’avant-première parisienne du film au Génie d’Alex, Friction a rencontré Réda Ait.

Crédit photo Réda Ait

Friction : Comment est né le projet d’un documentaire sur les Real Housewives of Neukölln? 

Réda Ait : Tout a commencé de manière très naturelle. J’étais à une soirée à Berlin et je me suis retrouvé à un after dans un petit appartement de Neukölln. Je découvrais l’ambiance berlinoise : les corps suintants entrant en contact, une ambiance osée et sensuelle comme on les aime, l’envie simple d’être ensemble et d’exister en étant soi-même, sans avoir peur de rien.  C’est dans cette foule de personnes que je rencontrais Collapsella, l’une des drag-queens à la tête de la troupe The Real Housewives of Neukölln. Elle m’invita à son prochain show. J’ai tout de suite su que je venais de signer mon prochain projet. Entre temps, j’ai rencontré Joséphine Page à qui j’ai demandé de co-réaliser le documentaire avec moi et elle a tout de suite été emballée par l’idée. Le vendredi soir suivant, nous y étions, armés de nos caméras et le tournage démarrait.

Tu as suivi les Real housewives pendant un an, ton film est le résultat d’un travail presque sociologique d’observations et d’interviews, j’imagine que beaucoup de choses se sont passé pour elles durant cette période, c’était comment de filmer un sujet en constante évolution ?

 Quand on a commencé à filmer, la salle était presque vide et plus nous avancions dans le temps, plus elle se remplissait. C’était donc très simple d’entrer en contact avec eux, on leur donnait un support qui dépassait les limites de la petite salle de representation pour s’exprimer. C’était comme si notre projet donnait soudainement du sens à un geste artistique et social. Concernant l’évolution générale de la troupe, on s’en est rendu compte seulement à la fin du film parce que pendant le tournage on est tellement emporté par l’ensemble de l’ambiance que l’on a pas eu le temps de prendre de la distance par rapport à ce que l’on faisait. On arrêtait pas de se dire avec Joséphine à quel point on avait été les témoins de ce changement et les images le montrent très bien. Performances après performances, les artistes étaient de plus en plus à l’aise sur scène et le concept de leur show se développait et se précisait.

Crédit photo Réda Ait

Tu peux me parler des différences entre la scène drag parisienne et berlinoise? 

C’est un sujet très sensible et complexe et je ne peux y répondre qu’à partir de mon experience. La confrontation avec ces performeurs berlinois par rapport à ce que je connaissais de Paris m’a énormément appris sur la liberté que l’art de la drag queen pouvait laisser aux artistes parce qu’elles sont pour la majorité, très différentes des drags queens parisiennes et spécialement les Housewives. Contrairement à Paris, il y a cette idée de diversité des sexes, du genre, de l’orientation apparente sur scènes. Il n’y a pas que des drag-queen mais un mélange de plein d’artistes différents dérivant du drag et donnant chacun leur definition personnel de cet art. Au-delà de l’apparence et de la beauté des queens ou de la technique, il y a aussi ce que l’on représente pour les autres et ce que l’on crée. On sort très vite des codes traditionnels de la drag pour réellement mettre en avant l’idée simple qu’être drag c’est aussi et avant tout, monter sur scène et kiffer. Il n’y a pratiquement jamais de simple lyp-sync chez les Housewives par exemple et elles changent constamment les paroles des chansons qu’elles interprètent – en lien avec leur état d’esprit au moment de la performance ou simplement de ce qu’elles ont envie de dire. L’utilisation de la plateforme de la scène comme moyen d’expression pour tous, comme s’il n’y avait plus de quatrième mur, plus de séparation entre l’artiste et le public, est essentielle aux drag queens berlinoises.

Quand et pourquoi as-tu créé THEM, quelle est l’importance aujourd’hui d’une production indépendante queer ?

J’ai créé THEM en 2015 lorsque j’avais eu ce projet à l’Ecole de réaliser un portrait sur un artiste ou un personnage que j’admirais. Je revenais tout juste de mon premier dragathon organisé par la House of Moda au Concorde Atlantique et j’avais été fasciné et surpris par la force et le talent de ces drag-queens. Je me souviens très bien de ce que j’avais ressenti à la fin de ce projet sur SISSY DEL BARBES ; j’étais si heureux de pouvoir partager cette expérience intime qui m’avait aussi tellement appris sur moi-même, que j’ai eu presque instantanément l’idée de créer une série qui suivrait cette ligne éditoriale. Créer une série de rencontres filmées, d’expériences intimes qui mettraient en scène des personnalités fortes me permettant d’évoquer des questions sociales plus générales liées au genre et à la thématique du corps en société. L’importance aujourd’hui d’une production indépendante est qu’elle offre cette possibilité d‘accéder, sans aucune autre contrainte que soi, à une authenticité quant à notre traitement du sujet. Elle offre la possibilité à des artistes de parler des communautés dont ils font parti et de mettre en scène leurs réelles expériences sans aucun tabou. Mais indépendant aujourd’hui signifie aussi que nous ne sommes produits par aucune institution officielle et qu’on est putain de fauché.

Quels sont tes futurs projets ?

J’ai encore quelques projets que j’aimerais réaliser ici à Berlin mais mes deux projets principaux seraient de pouvoir développer THEM à l’international, c’est à dire continuer de voyager et de rencontrer encore d’autres personnalités de la scène queer afin de continuer mes recherches. Dans un second temps, j’attends la réponse pour une bourse du CNC pour éventuellement réaliser un long-métrage documentaire qui résumerait mes 3 ans de recherches et de réalisations documentaires avant d’enfin pouvoir passer à la fiction. C’est aussi à ça que sert le documentaire ; avoir une idée authentique des personnages que l’on veut mettre en scène en fiction, débarrassés des légendes urbaines et autres fantasmes. J’ai récemment commencé une série sur mon Instagram qui constitue comme une recherche lié au thème de la performance afin de préparer mon prochain documentaire. Je pars donc à la quête de différents performeurs à travers la scène queer berlinoise et réalise sur mon compte en ligne comme une sorte de « long term teasing » jusqu’à la sortie du film. Je documente en live ma prépa et mon tournage  » PERFORMANCE est un film qui explore le sens du terme « performance » et les possibilités de cette pratique artistique permettant à la scène queer berlinoise de se créer, pour elle-même, des espaces safes.

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