Le collectif Agressive(s) regroupe des artistes et des danseurs•ses autour de l’envie commune d’oeuvrer pour une fête à la fois safe, décontractée et politique. L’action du collectif se décline en trois axes : l’organisation d’événements, la visibilisation d’artistes en minorité de genres via une chaîne Soundcloud et la création d’un magazine. Pour elleux, la techno et la fête doivent s’extraire des logiques capitalistes et patriarcales dans lesquelles elles semblent parfois engluées. Rencontre.
Est-ce que vous pouvez présenter votre collectif ? Combien de membres compte-t-il ? Quel est son but ?
Agressive(s) est né en septembre 2021 d’un ras-le-bol de plusieurs djs fem/afab par rapport à leurs conditions de travail ainsi que celui d’une partie du public des soirées techno qui ne se sentait plus en sécurité sur les dancefloors. Aujourd’hui nous sommes une quinzaine à travailler sur l’organisation des soirées, la programmation de la chaîne SoundCloud ainsi que notre publication autogérée.
Notre travail consiste à dessiner des espaces d’expression pour les artistes et les danseureuses victimes du patriarcat. Il faut que la peur change de camp : ce n’est pas à nous d’avoir peur d’aller en soirée mais aux agresseurs de craindre les répercussions de leurs actes ! L’empowerement est au cœur de tout ce que nous faisons : nous militons pour que nos existences ne soient plus fétichisées et que nos luttes ne soient plus les arguments marketings de nos oppresseurs.
En quoi était-ce un besoin de se réunir entre personnes queers autour de la techno ?
Les corps queers sont souvent représentés sur les flyers et posts Instagram mais très rarement sur les programmations. L’un de nos principes fondateurs est celui d’inverser l’idée de caution : au lieu d’avoir une caution queer dans un line up nous plaçons un seul mec cishet (souvent en opening). Ce projet était pour nous une évidence, c’était à nous d’enclencher le changement de représentation qu’on voulait voir (et que par pitié on arrête de nous appeller des “djettes”).
Vous avez également décliné votre goût pour la techno en créant un magazine. De quoi est-il question ?
Il y avait deux motivations principales derrière la création du magazine : élargir notre champ d’intervention et créer des archives.
Dans l’équipe on a quasiment toustes des formations artistiques (non musicales) et cela fait partie de notre ADN. On voulait que notre travail de visibilisation dépasse le champ des soirées ou de notre chaîne SoundCloud pour offrir un espace aux auteurices et artistes qui partagent nos valeurs.
Aujourd’hui, il n’y a plus de traces physiques de nos fêtes. Rares sont les collectifs qui distribuent des flyers ou placardent des affiches. Nous documentons et archivons un mouvement politico-artistique représentatif de notre jeunesse : queer et révoltée.
Tous les trois mois un•e curateurice décide d’un intitulé et de projets à exposer. Les artistes sont contactés par invitation ou via un appel à contribution. Une fois le magazine publié, les bénéfices sont redistribués aux contributeurices peu importe le niveau d’expérience ou de notoriété. Pour rendre l’objet accessible sans qu’il perde de sa valeurs nous proposons deux tarifs ainsi que la possibilité de payer son magazine en deux fois.
Votre charte graphique est très rouge et noire. Il faut y voir une affirmation politique ?
Nous sommes démasqué•es ! [rires]
Que pensez-vous de la scène techno actuelle ?
Par quoi commencer ? [rires] La techno est devenue un bien de consommation comme un autre. Les prix des places et des consos deviennent exorbitants sans que les artistes soient mieux payé•es ou que l’expérience du public s’améliore. Cette mercantilisation de la fête est vectrice de pinkwashing. Aujourd’hui, une majorité des soirées (dont le lineup est toujours composé majoritairement ou exclusivement d’hommes cis) s’affichent « safes », « lgbt » ou « queer » alors que ces termes sont incompatibles avec les logiques capitalistes de ces événements. Enfin, la communication, ou plutôt le marketing, de ces événements est souvent teinté de psychophobie et d’injonctions dangereuses notamment à la consommation excessive d’alcool comme source de jouissance.
Notre collectif n’appartient volontairement pas à cette scène et nos espaces constituent des alternatives aux fêtes sécuritaires et mercantiles. L’inclusivité étant au cœur de toutes nos actions, en plus de prix les plus bas possible, nous réfléchissons notamment à la fête sobre et comment inclure les parents célibataires dans nos espaces. Tous les membres administratifs du collectif sont bénévoles et seul•es les artistes sont rémunéré•es sur la base d’une répartition égale des revenus du projet auquel iels ont contribué.
Est-ce que les deux années qu’on vient de vivre, faites de restrictions et de privations, ont changé quelque chose à votre façon d’envisager la musique ou la fête ?
Oui, ces deux ans où il fut par moment illégal de retrouver ses copaines ont beaucoup changé nos perceptions et pratiques de la fête. En sortant du premier confinement seules les soirées techno et électro avaient repris en open air alors que les clubs généralistes étaient toujours fermés ce qui a introduit un nouveau public dans nos espaces. En étant confronté•es à des situations de culture du viol banalisée et de sexisme ordinaire qu’on n’avait pas observé et vécu depuis longtemps, on a compris que nos musiques étaient devenues mainstream et que nos espaces ne seraient plus alternatifs par défaut.
Après avoir vécu aussi longtemps à travers nos écrans, il était important pour nous de privilégier les moments de rencontres et de vie physiques. Nous trouvions la fête virtuelle profondément déprimante, symptomatique de sa mercantilisation. Les espaces que nous créons ne se consomment pas, ils se construisent collectivement. Ainsi, après s’être senti impuissant•es face à nos quotidiens et nos vies, ces expériences nous redonnent le contrôle.
Comment aborder la notion d’espace de la fête lorsqu’on refuse les discriminations et comportements oppressifs ?
Nous voyons les espaces de fête comme des espaces de survie pour celleux envers qui la société est violente. En affirmant clairement nos positions féministes, qui sont parfois perçues comme de la misandrie, nous éloignons naturellement toute personne qui se sentirait attaquée ou discriminée. On se retrouve très souvent confronté•es à des situations où des personnes hétéros ou des hommes cis (en particulier DJs) se disent offensé•es par nos publications sur Instagram ou certains contenus de notre magazine. Notre réponse est toujours là même : « Si tu es offensé•e par notre combat c’est que tu fais partie du problème. »
Est-ce que vous pouvez nous parler un peu de vos projets futurs ?
Le 14 mai on organise une deuxième édition de nos Danses Postméridiennes, un évent où on dessine un terrain de jeu festif l’espace d’une après-midi. Ça sera aussi le premier d’une longue série d’ateliers d’initiation au DJing en mixité choisie.
Notre troisième magazine intitulé Futur(s) Lesbienx sort le 16 juin. C’est un prétexte pour organiser une exposition, des concerts, une table ronde et pleins de chouettes activités sur trois jours. On communiquera bientôt la programmation et les lieux.
En plus des dj sets que nous postons régulièrement sur notre chaîne SoundCloud, nous travaillons actuellement sur une compilation qui sortira en cassette et en version digitale.