Après « Fou », Sébastien Delage revient avec « Rien Compris »

Il fait environ -1°, le jour où je donne rendez-vous à Sébastien Delage afin de discuter de son album, « Rien compris ». Ses anciens morceaux, « Chanson de Baise » ou « Les amants de l’été » me rappellent le mois d’août et me donnent la force de braver le froid pour le retrouver en terrasse. C’est autour d’un thé que nous discutons de ce premier album mais aussi de sa quête d’indépendance artistique.

Photo : @jeytall_2

Ton album s’appelle « Rien compris », c’est d’ailleurs le premier titre. C’est assez drôle de commencer ainsi, avec ce texte qui s’articule autour d’une série de constats sur toi-même, de petits aveux personnels. Pourquoi avoir choisi ce morceau en introduction ?

Quand j’ai fait ce titre, j’ai tout de suite su que ça serait le nom de l’album et le titre d’ouverture. Toute la première partie qui est parlée sont les notes que je prenais en allant ou en sortant de chez la psy. Au début, j’ai voulu essayer de retravailler le texte pour en faire une chanson et je me suis rendu compte que ça ne fonctionnait jamais vraiment. J’avais juste à les lire. C’était un peu une évidence de commencer par ça parce que j’ai commencé à écrire ce disque et voir la psy en même temps. « Rien compris » me semblait être l’introduction la plus facile, c’est une mise à nu.  

Justement dans cette chanson tu dis « j’ai compris qu’une belle chanson, c’est des paroles sincères ». C’est une vraie réalisation ?

Un peu parce que j’écrivais pas du tout de chansons dans mon ancien groupe Hollydays. Moi j’étais chez Warner en édition et on recevait souvent des briefs : « Il y a tel groupe ou tel chanteur qui recherche tel chanson avec plutôt des textes matures sur ça… » et souvent on essayait pour placer des chansons et en fait je me rendais compte que ça ne fonctionnait jamais. Il y avait toujours un équilibre un peu cynique, même si on faisait ça avec toute la sincérité et la bonne volonté du monde. Au final, c’était pas quelque chose qu’on pouvait s’approprier, c’était un exercice qu’on n’arrivait pas à faire. Je me suis donc rendu compte que c’était beaucoup plus facile de faire tomber la censure et de parler de soi.

Cette sincérité elle s’illustre aussi par des aveux d’imperfections : tu évoques souvent tes doutes, le fait que tu ne sais pas si tu fais forcément les choses biens. J’ai l’impression que ça donne à ta musique beaucoup d’humanité, on se sent proche de tes expériences. Ça aussi, ça a toujours été dans ton approche artistique, ce truc de mec qui pige au fil de l’eau ?

Dans Hollydays on avait déjà un peu ça mais comme on n’écrivait pas les textes, c’était peut-être moins personnel pour moi. Quand j’ai commencé ce projet, j’avais besoin que ça sorte, un peu comme aller chez la psy. C’était pas un point de départ de mon travail de me dire « il faut que je montre des fêlures »… Je l’ai vraiment fait avant tout pour moi, c’est peut-être quelque chose que j’ai compris une fois que c’était terminé.

Tu as toujours eu cette approche un peu thérapeutique de l’art ?

Oui, vraiment. Je le fais égoïstement, au départ, pour me faire du bien. Néanmoins, je crois que c’est comme ça qu’on touche le mieux les gens.

Qu’est-ce qui différencie Fou, ton « EP » de « Rien Compris », ton nouvel album ?

Assez peu de choses finalement parce que je les ai écrit et composé en même temps. C’était juste qu’au départ, je voulais faire un album et je me suis dit « j’ai rien sorti avant, est-ce que ce ne serait pas le jeter en pâture ? » Du coup j’ai décide de faire un EP de cinq chansons et un album. Mais pour moi c’est vraiment la suite logique, l’EP « Fou » se termine par la chanson « Fou » et l’album commence par « Rien compris » qui est un peu une réponse à « Fou » . L’EP est vraiment un prologue, quelque chose d’un tout petit peu plus solaire aussi, l’album est beaucoup plus sombre.

Tu racontes qu’en 2018 quand tu étais en major, on t’a dit : « Quand tu seras en interview surtout évite de dire que tu es gay. » Qu’est-ce qui a changé depuis, pour toi ? Et est-ce que quelque chose a évolué dans l’industrie musicale, à tes yeux ?

Je sais pas parce que je gravite assez loin des milieux professionnels de la musique maintenant. Je suis plus en édition chez Warner, plus en contrat d’artiste chez Polydor… Et grand bien m’en fasse car c’était quelque chose d’assez ankylosant. Tout prenait une plombe, ils se bougent quand ils ont ce qu’ils appellent des « signes ». Et en gros, peu importe ce que tu fais, t’es jamais la priorité, il y a toujours un Nekfeu ou un Big Flo et Oli qui marche mieux que toi chez Polydor… Nous, on était un peu la dernière roue du carrosse et ils attendaient des choses que nous qu’on n’était pas vraiment. On nous a dit des trucs assez horribles : on m’a demandé de conseiller à ma chanteuse de perdre du poids, on m’a dit d’éviter de dire que j’étais gay en interview parce qu’on pourrait se couper d’une partie d’un public qui serait réfractaire à l’idée de nous écouter… Et moi j’appelle ça vraiment du nivellement par le bas. Je trouve ça scandaleux de faire ça, même en 2018. Malheureusement, je pense que tant que les postes importants sont tenus dans les majors par des hommes cis, blancs… Il y a qu’à voir les sélections des Césars 2023, c’est stupéfiant de gênance.

T’as justement désormais ton label, « Drama Queen Music ». Quelles sont tes ambitions avec cette nouvelle voie d’indé ?

Je n’ai pas cherché à signer un contrat avec une maison de disques parce que justement ils sont décisionnaires sur le plan artistique et c’est quelque chose dont j’avais plus envie, qui m’a beaucoup affecté et ralenti, qui a beaucoup parasité le processus créatif. On a fait des choses, avec Hollydays que j’estime un peu tièdes aujourd’hui, j’en suis fier mais on aurait pu le faire beaucoup plus sincèrement au lieu de faire des compromis. C’est que j’ai envie de faire aujourd’hui, quelque chose de plus radical, d’où le fait que mon disque est produit entièrement en « guitare, basse, batterie », j’avais pas envie de faire de l’électro-pop comme les labels ont tendance à imaginer les jeunes projets queers. Moi j’avais envie de me rapprocher de ce que j’aime le plus, c’est-à-dire le rock. A long terme, avec ce label, j’aimerais produire d’autres artistes queers, créer un endroit safe pour des artistes qui ont envie de s’exprimer comme ils l’entendent. J’ai un artiste que j’aime beaucoup, il’appelle Jasmin Sauvage. Il m’a envoyé une chanson récemment et c’était bouleversant, je veux toucher à rien, je veux juste le faire mixer et le mettre sur un disque. J’ai envie d’accompagner des artistes qui n’auraient pas besoin de moi artistiquement.

Tu penses continuer vers cette voie-là, assez proche du rock ?

Personnellement oui parce que c’est ma sensibilité, c’est ce que j’aime, c’est ce que je crois savoir faire le mieux en musique, même s’il y a encore beaucoup de travail. Je suis encore assez vert, c’est la première fois que je réalise un album de A à Z sans personne derrière. Mais oui, ça va garder cet ADN très analogique.

L’album « Rien compris » est disponible sur toutes les plateformes de musique. Sébastien Delage sera également en concert aux Trois Baudets le 9 février.