Lors du troisième atelier d’écriture en ligne que nous avons organisé, les participant.e.s ont écrit à partir d’un extrait de dialogue tiré de la pièce Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce. Voici le texte écrit par Pascale.
Il y avait eu le premier confinement.
Tout le monde avait été pris par surprise. Il y avait ceux qui avaient fui à la campagne. Ceux qui s’étaient demandé si c’était raisonnable de rejoindre leurs vieux parents, malgré le virus qui peut-être était là, tapi dans leurs poumons. Et qui avaient décidé de rester, ou pas. Il y avait ceux qui étaient restés, volontairement, parce que c’est dans la ville qu’ils étaient bien, qu’ils avaient leurs repères, et que c’était important les repères, à ce moment-là, parce que tout vacillait un peu.
Astrid, elle, c’est parce qu’elle était sidérée qu’elle était restée. Parce qu’elle était incapable de réfléchir, incapable de faire un choix, incapable de savoir ce qui était le mieux, ou le moins pire. Et puis, de toute façon, elle ne voyait pas très bien où elle serait allée.
Alors elle était restée là.
Là, c’était dans l’appart qu’elle partageait avec Paul, depuis trois ans maintenant. Ils étaient bien ensemble, mais elle ne savait plus trop s’ils s’aimaient.
Malgré tout, ça c’était bien passé, ces deux mois.
Il faut dire, ils avaient l’habitude l’un de l’autre, depuis le temps.
Il y avait eu le premier déconfinement. Ça avait duré un peu plus de cinq mois, dont avec le recul elle se disait qu’ils n’avaient pas vraiment eu le temps de profiter. Au début, cette difficulté à sortir. Ensuite, cette culpabilité d’être dehors, et cette façon de ne pas savoir ce qu’on pouvait faire, ne pas faire. Ces moments où tout lâchait, où ils oubliaient tout, allaient à des fêtes, faisait la bise à des gens, et c’était fou, que ce truc simple, se faire la bise, soit devenu un truc auquel on devait réfléchir longuement, et pour lequel, maintenant, il fallait prendre soin de demander le consentement de l’autre…
Et puis il y avait eu le deuxième confinement. Cette fois encore, Paul et elle ne s’étaient pas trop posé de questions. De toute façon ce confinement-là, assez vite, ça n’avait pas du tout ressemblé à un confinement. Enfin, pas au premier en tous cas, celui dont tout le monde pensait, à ce moment-là, que ça resterait le confinement, le seul l’unique le vrai, parce qu’on ne pourrait plus jamais les confiner comme cette première fois, pensaient-ils.
Mais le troisième confinement, qui avait succédé au deuxième sans qu’on se rende vraiment compte qu’on avait été déconfiné·e·s – parce qu’on ne l’avait jamais vraiment été en réalité – avait été bien pire.
Cette fois-là, ils avaient installé les caméras. Partout. Paul et elle, et tous les autres, tous les citoyens, ils n’avaient plus rien le droit de filmer. Par contre, ils étaient, eux, filmés. Tout le temps, et partout, depuis qu’on n’avait le droit d’enlever son masque que pour dormir.
Ça avait commencé à être dur, entre Paul et Astrid, à cause des petites incompréhensions stupides, dues au masque, à la fatigue, au non-sens de tout ça, et puis à la présence perpétuelle d’un autre, d’autres, derrière les caméras.
Mais ils y étaient arrivés, malgré tout, ils avaient continué à rire, à jouer, à boire, et à faire l’amour, même si c’était moins qu’avant, quand même.
Et puis maintenant, ça y était. Ça avait été annoncé, le virus avait disparu. « Plus aucun cas depuis 50 jours » avait annoncé le ministre à la télé, blanc comme un linge, cerné, amaigri, juste avant de démissionner.
On pouvait reprendre la vie d’avant. On s’en souvenait à peine, de la vie d’avant, et on n’était pas sûr·es de retrouver les réflexes, d’oser s’accouder à un comptoir sans le désinfecter préalablement, parler à des inconnus sans reculer autant que possible s’ils s’approchaient un peu, de manger à l’intérieur d’un restaurant…
Et ça avait été tellement déstabilisant. Pour Astrid, c’était les autres, les gens. Elle n’y arrivait plus. Ils lui faisaient peur.
Paul, c’était les objets. Il n’arrivait pas à les toucher sans frémir. Il gardait les habitudes d’avant, les coudes pour ouvrir les portes, ou les mains rentrés dans les manches du pull.
Ça s’était terminé dans un restaurant, mais en terrasse. Ils avaient eu une longue conversation. Ils s’étaient demandés si ça ne les avait pas trop usés, tout ce temps passé ensemble. A la fin, Paul avait dit :
– Qu’est-ce que tu en penses ?
– Moi ?
– Oui, toi. Qu’est-ce que tu en penses ?
– Oh moi, ce n’est pas très important. J’aimerais qu’on en finisse. Tu sais. Vraiment. Qu’on en finisse, je crois, chacun·e de son côté, désormais.
Et voilà. Ils avaient traversé ces deux longues années, et c’était pour en arriver là…