Lors du troisième atelier d’écriture en ligne que nous avons organisé, les participant.e.s ont écrit à partir d’un extrait de dialogue tiré de la pièce Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce. Voici le texte écrit par Nils.
– J’avais pensé à une ratatouille. Mais tu sais, une bien. Une avec les légumes cuits à part les uns des autres, tu vois. La tomate d’un côté, la courgette de l’autre, puis l’aubergine toute seule aussi, ou à la limite avec l’ail mais pas plus que ça. Et ok pour les oignons avec les courgettes. Mais pas plus ! Il paraît que c’est comme ça qu’on obtient les meilleures saveurs, tu savais ? Si on cuit les aliments ensemble c’est comme s’ils se contaminaient, tu vois. Ils mélangent leurs sucs et leur eau, et finalement tout se noie. Plus rien n’a de goût vraiment, et on mange quelque chose d’uniforme, qui manque de reliefs, de profils gustatifs assumés, d’identités variées, de panache quoi ! Moi je pense que c’est pas mal, le panache. Je pense qu’on en a besoin, de cette différence, de cette cohabitation dynamique entre les différents composants d’un plat. Sinon quoi ? Hein ? Sinon on mange de la bouillie, voilà tout. Autant tout mixer pour qu’il n’y ait plus de morceaux, si c’est ça. Ça ne sert plus à rien de s’évertuer à mélanger des choses si c’est pour ne plus les dissocier dans le résultat final. Je suis sûr que tu es d’accord avec moi. Pas vrai ? Bah oui. On est toujours d’accord toi et moi, de toute façon. C’est comme ça quand on s’aime. On se comprend et on est d’accord. Quand on change d’avis c’est pour s’accorder, s’associer, se fondre, se lier ; c’est beau je trouve. On ne fait plus qu’un. Peut-être que c’est ça l’amour. Ne faire plus qu’une. N’est-ce pas ?
… Tu dis rien ?
Oui, c’est normal. « Qui ne dit mot consent », on dit souvent. Et c’est vrai. La preuve… Tu sais, ça me fait plaisir que tu aies eu envie qu’on mange ensemble ce soir. Enfin que tu aies accepté de venir. Ça me fait plaisir que tu sois là et qu’on puisse passer ce temps à discuter, toi et moi. On ne se dispute jamais et on est sur la même longueur d’onde. C’est agréable. Tu ne le dis pas beaucoup mais je sais que c’est ça aussi l’amour quelque part. Je ne t’en veux pas tu sais, si tu parles pas beaucoup. Après tout, on ne fait qu’un. Comment en vouloir à sa moitié ? Ce serait comme se fâcher contre soi, c’est pas très malin. Bon, en tout cas, ça ne nous dit pas ce qu’on mange ce soir. Est-ce que l’idée de la ratatouille te plaisait ? On fait ça ensemble ? Tu es d’accord ? Je sais que tu avais envie d’un gratin, à la base. Un gratin de pommes de terre, avec du fromage. Je le sais, tu me l’as dit tout à l’heure. Mais même s’il n’y a ni pomme de terre ni fromage dans la ratatouille, je pense vraiment que ça peut te plaire. Si on s’applique, bien sûr. Ce sera délicieux, j’en suis certaine. Qu’est-ce que tu en dis ? C’est bon la ratatouille quand on la fait bien et qu’on pense à bien préparer les légumes séparément. C’est sûr, tu vas aimer. Qu’est-ce que tu en penses ?
– Moi ?
– Oui, toi. Qu’est-ce que tu en penses ?
– Oh moi, ce n’est pas très important. J’aimerais qu’on en finisse. Tu sais. Vraiment. Qu’on en finisse, je crois, chacune de son côté, désormais.
– Chacune de son côté, c’est-à-dire ? Comme les courgettes et les aubergines ? Pour se réunir après ?
– Non. Chacune de son côté comme le gratin et la ratatouille.
Cléo/Nils