À l’occasion du lancement de l’exposition « Caen tu squat(tes) » à la Grange aux Dîmes de Caen du 20 au 24 novembre, nous avons rencontré un membre du collectif de photographes 3ème Oeil, qui nous a parlé de cette immersion de 6 mois dans les squats de Caen accueillant des migrant.e.s.
Friction : Comment s’est passé l’immersion, le prise de contact avec les squats ?
3ème Oeil : Tout a commencé par la rencontre avec le collectif AG de Lutte Contre Toutes les Expulsions. Ces militants ont ouverts de nombreux squats à Caen, dans les sept qui subsistent aujourd’hui sont hébergés entre 300 et 350 migrants. On s’est rendu à une de leurs assemblées générales, au début ils étaient pas chauds pour avoir des photographes parmi eux, puis on leur a montré qu’on faisait pas un safari photo, que notre travail ne desservirait ni les migrants, ni les gens du collectif.
Quelles sont les conditions de vies pour les migrants là-bas ?
Les conditions de vies dans ces squats sont souvent hyper précaires : certains sont surchargés, ils doivent organiser des roulements pour dormir, il y a des fuites quand il pleut, souvent il n’y a pas de chauffage, un seul sanitaire, un lavabo, une douche froide pour entre 80 et 110 personnes..
C’est vraiment des hébergements d’urgence, l’objectif étant qu’il y ait le moins de personnes possibles dormant à la rue.
En comparaison avec les hébergements dans des CAO ?
Les conditions de vie dans les Centre d’Accueil et d’Orientation sont plus « confortables », mais c’est aussi des lieux où les migrants sont plus contrôlés et ne sont pas libres de faire ce qu’ils veulent, ne serait-ce qu’au niveau des horaires. On a voulu visiter un de ces centres à Caen mais on nous en a refusé l’accès, les autorisations dépendent exclusivement du bon vouloir de la préfecture. Il nous est donc difficile de pouvoir donner un avis sur ce qu’il s’y passe réellement.
Quels liens ces squats entretiennent-ils avec les institutions publiques ?
C’est une espèce de danse entre la préfecture et le collectif, c’est qu’une histoire de politique. La préfecture et la mairie sont contents qu’il y ait six ou sept squats ouverts, car c’est 350 personnes en moins dans les rues ; mais d’un autre côté, ils cherchent aussi à satisfaire leur électorat de droite : ils acceptent l’ouverture d’un squat et en ferment un, pour maintenir un « équilibre ».
Quant à la police, elle vient régulièrement dans les squats. À 7h du matin quand tout le monde dort, tu vois débarquer une quinzaine de flics en fourgon, ils mettent un coup de pression, prennent les mecs en photo, relèvent leurs identité puis ils se cassent.
Le but affiché est de contrôler « qui est où », mais après des enquêtes comme celle de StreetPress mettant en lumière des collaborations entre la France et des dictatures dans les pays du Sud pour l’extradition de réfugiés*, on peut se poser des questions…
Pourquoi est-ce important de témoigner de la vie dans ces espaces ?
Dès le départ, notre intention était de dédramatiser le mot « squat » et par extension les gens qui y vivent. Avec ces portraits on a cherché à intégrer les habitants dans leurs lieux de vie. C’est le quotidien de ces personnes qui sont comme toi et moi, sauf qu’elles ont fuit leur pays et n’ont ni thune, ni maison, ni travail.. Là-bas ils se font chier, ils n’ont rien à faire et en même temps n’ont pas envie de sortir car ils savent que la moindre merde va leur retomber dessus.
Comment avez-vous étés perçus et reçus par les habitants des lieux ?
On était toujours super bien reçus, alors que par rapport à un visiteur lambda, on avait l’appareil photo. Certains sont blasés des journalistes, des médias, ils n’y croient plus : tout les journalistes qu’ils ont vus et tous les reportages qu’ils ont produits n’ont rien changé à leur situation. Mais d’autres, au contraire, apprécient la démarche : ils sont complètement invisibilisés partout alors ils sont contents qu’on s’intéresse à eux, c’est une manière de reprendre une identité.
*au sujet des extraditions et des accords de Berlin, voir aussi notre vidéo sur le BAAM, ndlr.