Le Pornyourself Festival à la Mutinerie, propose une initiation au « Cruising dans les backrooms ». Une occasion pour se kinger en gay et expérimenter des techniques de dragues pour les non initié·e·s.
Je suis partie faire du cruising, pas dans l’herbe des jardins mais dans le réservoir de la littérature gay. Manière de faire avec les imaginaires qui sont plus fluides que les pratiques. Qui sait ? Jouer avec les mots pourrait toujours encourager les doigts.
Enroulée dans la couette, à une heure raisonnable, la lampe de chevet allumée, les vapeurs de mon thé deviennent l’effluve lointaine d’une pissotière. Rien ne règne dans ma tête que le seul droit de m’y aventurer. C’est le jeune Dustan qui vient. Il me tient la main comme Emmanuel, son amant, l’avait fait pour lui, m’entrainant dans cette backroom, lumière-porte-obscurité où s’adonnent les corps. Voyeuriste d’entre lignes. Je lis. Tout doucement les pages se lubrifient, les mots sont timidement sucés puis carrément enlacés. Les verbes s’enculent au fur et à mesure, les euphémismes, bien ouverts, propres sont fistés.
« On a encore avancé jusqu’à une porte ouverte sur le noir. J’ai senti une vague de chaleur. La puanteur du poppers. J’ai dit à Emmanuel que je voulais bien y aller, mais seulement s’il me donnait la main. Il me l’a donnée. Et puis il a franchi le seuil. Je l’ai suivi. J’ai serré sa main. J’ai marqué un temps d’arrêt. Je n’y voyais plus rien. J’avais peur. Il n’y avait qu’une lumière rouge au loin. J’étais parfaitement incapable d’apprécier les dimensions de la pièce, ni combien de personnes elle contenait. Mais je sentais très bien qu’elle était pleine, à cause des corps tout autour de moi, près de moi, près à me toucher […].
J’ai arrêté de pomper mais je suis resté plié en deux, fasciné par ce que je voyais, la bite que je suçais, ces mains, ces entre-jambes, tous ces corps de plus en plus indistincts qui m’entouraient. Je pouvais m’engloutir dans ce magma de mains, de bites, de bouches. Je pouvais me mette à ne plus rien en avoir à foutre de savoir à qui appartenait quoi, qui était gros, vieux, moche, contagieux. Je pouvais bien partir, devenir fou, bouffer chaque bite qui passait, devenir une bête, ressortir des heures après, les vêtement déchirés, tachés, nu, couvert de sueur, de salive, de sperme. » Guillaume Dustan, Plus fort que moi.
Tout était parfait, j’avais regardé mon agenda, mis mon réveil pour le lendemain, j’avais terminé le dernier pot de yaourt presque périmé. Les oreillers sont bien montés dans le haut du dos, positionnés pour la lecture. Mon esprit s’invente garçon en pissotière-buissonnière. Je pénètre à travers ville vers les jardins, les boites et des backrooms rencontrer Dustan, Bellock, Genet qui me partagent leurs premiers émois, leurs larmes et leurs jouissances.
La littérature permet de faire partouzer les époques, les auteurs, des géographies, des contextes sociaux. Mon imaginaire, depuis longtemps que je me souviens, fasciné de littérature gay, est devenu cet ensemble anachronique. C’est l’inexactitude de la vie fantasmée : rouler du cul en bomber, gilet cuir, en jean 501, look hard, et faire comme si les docks se situaient sur la Seine. Alors mater les marins aller au bordel et suivre des yeux Querelle sur le pont du navire.
« Il regardait un matelot laver le pont. N’ayant d’autre pont d’appui, Querelle appuyait l’une sur l’autre, ses deux mains à sa ceinture, au-dessus de sa braguette. Tout son buste était penché et la ceinture, sous ce poids, comme une corde fléchissait. […]
— Vous faites bien votre travail, Querelle. Vous faites des corvées sans me prévenir. Qui vous a dit d’aller au charbon ?
Le capitaine parlait d’un ton sec. Il se défendait contre l’émotion. Ses yeux faisaient d’inutiles et douloureux efforts pour ne pas trop manifestement fixer la braguette ni les hanches de Querelle. Un jour qu’il lui avait offert un verre de porto, Querelle avait répondu qu’à cause d’une chaude-pisse il ne pouvait boire d’alcool, (Querelle mentait. Spontanément, afin d’augmenter encore le désir du lieutenant, il venait de s’inventer une maladie de mâle, de « baiseur enragé »), le capitaine, dans son ignorance de ce mal, imagina sous la toile bleue le sexe ulcéré, coulant comme un cierge pascal où cinq grains d’encens sont incrustés. Il était déjà agacé contre soi-même de ne pouvoir se détacher des bras musclés et poudreux, où des particules de charbon restaient suspendues aux poils encore dorés et bouclés. Le charbon n’était pas assez épais qu’on ne devina pourtant la clarté de ses cheveux, des sourcils et de la peau, ni le ton rosé des lèvres et des oreilles. On savait qu’il ne s’agissait que d’un voile. » Jean Genet, Querelle de Brest.
Dring… C’est ma meuf qui m’appelle. Je décroche. Je dis « ça va ? » elle me répond « Oui », qu’elle rentre de la boxe, et parait vouloir discuter. Je dis « ça va, je bouquine tranquille ». On se parle, passant vite de la soupe au potiron, à ses nichons, entrecoupées, chaton, amour, loulou. Puis on raccroche.
Retour à l’odeur des bites.
« Un type dans le bois, prés du lac, avec un sac en plastique à la main. Je le suis, je veux savoir pour le sac.
Le type est contre un arbre, il sort un godemiché. J’écarte les fesses du type et j’enfonce le gode doucement, comme un thermomètre à un môme. Je sais qu’ils sont là, derrière les arbres et les troènes. Je lime sur toute sa longueur du caoutchouc, lentement. Ils arrivent. Une dizaine, plus peut-être. Je branle et je suce et je guide les queues dans l’orifice du type appuyé contre l’arbre. » Denis Belloc, Néons.
Mes pensées arrêtent ma lecture. Je me demande qu’est-ce qu’il y aurait de plus gay chez moi ? Du récit littéraire aux histoires de mes potes gays, j’ai bien l’impression qui n’y a pas trop de confusion à avoir, je baigne bien dans une socialisation sexuelle lesbienne de « l’amour romantique ». L’anonymat avec une meuf, si ça m’est déjà arrivé, c’était plus dû à des blackouts alcooliques qui m’ont fait oublier leurs noms et les tirades amoureuses que j’avais dû leur sortir ce soir-là plutôt qu’à une rencontre furtive entre deux bosquets garnis d’un chant d’oiseau. J’ai un coté porn-street quand même. Je sortirais avec une meuf que si je trouve que l’architecture des sorties de garage lui-font un beau portrait. Mais rien de bien comparable.
Alors je trouve les écarts intéressants : entre l’imaginaire, qui n’est pas les pratiques, les fantasmes non nécessairement liés à l’imaginaire et lesles pratiques qui ne découlent pas nécessairement des fantasmes. Mais aussi entre les pratiques de drague lesbiennes et les pratiques de drague gays. Les différences d’imaginaires érotiques, même s’il y a des auteures trash. Leurs vécus différentiels urbains, entre les multiples oasis de baise gay et la nécessaire inventivité DIY gouine pour fesser un cul en toute discrétion dans l’espace public.
J’ai un doute, je vérifie que le yaourt était pas trop périmé quand même. Avant d’éteindre j’envoie une petite photo de moi à poil à ma meuf, mais je ne m’emballe pas trop pour la correspondance érotique, je sais qu’elle dort.
Je m’endors aussi en pensant à elle, en me disant que l’atelier « cruising en backroom » sera l’occasion pour expérimenter les pratiques de cet imaginaire, en comptant les gays sauter.