Fabien Randanne est journaliste culture à 20 Minutes. Il est probablement le meilleur expert français sur l’Eurovision. Alors qu’il est à Turin pour assister à la finale du concours, il a accepté de répondre aux questions de Friction.
Venez regardez l’Eurovision avec Friction Magazine ! Mieux que Stéphane Bern : nous serons avec nos drag commentatrices Emily Tante et Victoria Lachose à Petit Bain. Rendez-vous le 14 mai à partir de 20h (entrée gratuite). Plus d’infos ici.
L’Eurovision, c’est un truc de pédés ?
L’Eurovision concerne un public très large mais le concours doit beaucoup à la ferveur des pédés ! Ce que les hétéros appellent kitsch est le plus souvent du camp et les gays adorent se lover dans ce qui est une bulle à part, et même, oserais-je dire, un safe space, un endroit qui célèbre les singularités de chaque individu, de chaque culture… Même s’il ne faut pas être naïf sur le fait que le pinkwashing et le queerbaiting existent aussi. Mais l’Eurovision est le plus souvent un lieu où ne pas être dans la norme n’est pas un motif d’exclusion mais d’inclusion.
Il y a deux moments forts du concours qui font clairement partie de l’histoire LGBT. La victoire de Dana International en 1998 et celle de Conchita Wurst en 2014 : elles sont, chacune à leur manière, des pionnières, qui reflètent et annoncent les évolutions sociétales.
J’ai un peu l’impression que le concours avait une image un peu ringarde en dehors des fans mais qu’il se démocratise ces dernières années. Même mes potes trouvent ça cool maintenant alors que ce n’était pas le cas il y a cinq ans… Et France TV semble enfin y mettre un peu plus d’intérêt et de moyens depuis quelques temps. Tu as la même impression ?
Il y a indéniablement, depuis, je dirais 2014, une évolution de l’Eurovision vers une dimension plus, disons, « qualitative ». Il y a eu un moment de creux au début des années 2000 puis le concours a commencé à redevenir attractif. Peut être parce que les shows étaient mieux produits, notamment sous l’influence du savoir-faire suédois, que les chansons ont commencé à devenir plus qualitatives et la viralité offerte par les réseaux sociaux : le concours suscite les discussions durant la semaine de l’événement, et même avant dès le début d’année, lorsque les sélections nationales battent leur plein.
Concernant la France, la dernière place des Twin Twin en 2014 (la France était lanterne rouge pour la première fois de son histoire) et le piètre résultat de Lisa Angell l’année suivante, ont eu un effet électrochoc du côté de France TV. Nathalie André, qui était directrice des divertissements à l’époque, s’est rendue compte, comme elle l’a dit après coup, en arrivant à Vienne où avait lieu l’édition 2015, que la réalité du concours, cette énorme machinerie, ne correspondait pas du tout à l’image modeste et un peu désuète qu’elle s’en faisait. C’est ainsi qu’Amir est arrivé en 2016, offrant une sixième place à la France. Le public français qui pensait que le top 10 n’était plus accessible pour des raisons de pseudos votes géopolitiques a compris qu’en fait c’était jouable. La deuxième place de Barbara Pravi leur a démontré que la France pouvait briller au concours et même, qui sait, regagner un jour.
Musicalement, même si ça reste très éclectique, tu penses qu’il y a des tendances dans les chansons proposées d’année en année ? Et c’est quoi en ce moment ?
La tendance est de fuir ce qui peut paraître formaté. J’ai l’impression que cela a commencé en 2016 avec la victoire de l’Ukrainienne Jamala et sa chanson qui n’a rien d’un tube évident. Mais elle dégage une force émotionnelle, une forme d’authenticité, à rebours des recettes de la pop suédoise qui a longtemps été perçue comme la panacée. Les gagnant·e·s suivant, Salvador Sobral, Netta, Duncan Laurence, les Måneskin avaient leur authenticité propre, la capacité à porter leur chanson, à la vivre, à s’impliquer dedans, à faire corps avec elle. Leur point commun : être crédité·e·s à l’écriture et/ou à la composition.
On note aussi que sur les cinq dernières chansons gagnantes, il y en a une en italien, une en portugais, une qui comprend du tatar… L’anglais n’est plus vue comme la langue à utiliser à tout prix. L’an dernier, dans le top 5, il n’y avait qu’une chanson en anglais (et une en italien, deux en français et une en ukrainien). Cette année, un plus grand nombre encore de pays chantent dans une langue autre que l’anglais : en lituanien, en serbe, en islandais, en néerlandais, en breton, etc.
Le cycle dans lequel l’Eurovision se trouve fait la part belle aux chansons qui sont à la fois uniques et authentiques ou qui, du moins, ne donnent pas l’impression de chercher à reproduire ou suivre une recette ou d’être purement opportunistes.
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